Sénats d'Europe - Les Sénats et la représentation des collectivités locales
Palais du Luxembourg, 6 juin 2001
M. Nicolae Vacaroiu, Président du Sénat roumain :
Il y a onze ans, dans un contexte de profonds changements malheureusement violents, du passage d'un régime totalitaire à un régime réellement démocratique, la Roumanie a commencé la reconstruction des institutions d'un État de droit dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs. C'était une reconstruction nécessaire. En ce moment, le Sénat de Roumanie regroupe 140 sénateurs élus de façon directe. Les mandats sont répartis en fonction de la population, le rapport sénateur/électeurs étant de 140 000. Les candidats se présentent soit sur les listes des partis, soit en tant qu'indépendant.
A première vue, il y a une représentation proportionnelle des différentes régions dans le Sénat de la Roumanie. Mais les choses sont différentes en raison du grand nombre des partis qui participent aux élections (entre 40 et 160 partis), et du nombre important de candidats, si bien que dans le Sénat, en dernière instance, on ne retrouve que cinq ou six formations politiques. Il apparaît ainsi qu'un grand nombre de mandats sont répartis sur la base d'une liste. Il en résulte une anomalie de proportion : dans certaines régions, un sénateur est élu avec 2 000 voix au lieu de 140 000. Il existe donc un déficit de représentation des collectivités locales en Roumanie et c'est la même chose pour la Chambre des députés.
Prochainement, une commission mixte de parlementaires et de représentants de la société civile va réviser certains points de la Constitution de la Roumanie, parmi lesquels se trouvent des références au rôle du Parlement.
Dans la Constitution d'aujourd'hui, le Sénat et la Chambre des Députés ont pratiquement la même activité dans le rôle de législateur. La question se pose aujourd'hui de faire une séparation entre les attributions du Sénat et celles de la Chambre des Députés.
Initialement, plusieurs raisons expliquent une formulation identique pour les attributions des deux Chambres. D'abord, il fallait repartir de zéro pour créer un Parlement qui soit adapté. A première vue, le passage par une seule chambre n'était pas suffisant, parce qu'il fallait exercer un double contrôle. Je ne vous cache pas qu'il y a eu un deuxième argument, une sorte de prudence supplémentaire générée par ces années passées sous le régime du totalitarisme, c'est-à-dire un contrôle de la décision. Plusieurs yeux à regarder, plusieurs cerveaux à contrôler pour éviter les possibilités de produire une rupture dans la continuité des réformes.
C'est pourquoi la réunion d'aujourd'hui présente un intérêt tout particulier pour la Roumanie. Nous sommes très intéressés par votre expérience et votre réflexion, par celle des autres Sénats d'Europe pour qu'en dernière instance, lorsque nous interviendrons dans le remaniement de la Constitution, nous prenions une meilleure décision.
Le Sénat a par ailleurs créé des bureaux Sénatoriaux délocalisés et fonctionnel, avec un secrétariat, des assistants qui permettent d'avoir un contact permanent avec les collectivités locales. Pendant les deux jours qu'il passe obligatoirement dans sa circonscription, le sénateur a une relation directe avec ce bureau. Il peut montrer à la collectivité locale des projets qui sont en cours au Sénat, écouter ses solutions, ses idées. Ayant le droit d'initiative législative, le sénateur peut ainsi apporter des amendements qui peuvent être acceptés directement par les commissions qui rédigent les rapports. Si son amendement est rejeté par la Commission, il peut aussi le présenter devant le Sénat.
C'est donc une expérience utile. Nous avons cependant des situations où nos collègues parlementaires passent très rarement dans leur circonscription territoriale. C'est pourquoi il y a eu beaucoup de mécontentement dans certaines régions. Je ne vous cache pas que nous étions inquiets à un moment donné par l'appréciation que portait la population sur le Sénat. La même chose se passait pour la Chambre des Députés et en ma qualité de nouveau président du Sénat, j'ai pris des mesures : depuis le mois de janvier, j'ai revu l'organisation du fonctionnement du Sénat. La principale modification a consisté d'abord à affecter des sénateurs dans les commissions spécialisées, là où la loi est élaborée, analysée, là où l'on prend les décisions finales qui mènent la loi devant le vote du Sénat. La procédure a été simplifiée. Nous avons donné la possibilité de déposer les amendements lors de la séance plénière. Et de cette façon, l'activité de législateur a été accélérée plus de vingt fois par rapport à ce qui se passait auparavant. Nous avons adopté vingt fois plus de lois que lors de la législature passée, sans bien sûr en diminuer la qualité.
Il y a certes eu des critiques au début, mais il est nécessaire de bien prendre en considération que la Roumanie doit adopter, dans une période extrêmement courte, environ 12 000 lois, soit environ 2 500 par an. Vous imaginez que nous ne pouvons pas adopter une législation stable pendant une période aussi courte, comme dans les pays membres de l'Union européenne.
Les débats en séance plénière se sont donc trouvés réduits, se sont déplacés vers les commissions spécialisées et tout le monde apprécie cette initiative. Le deuxième problème, qui nous a conduits à une situation sans précédent, a été la marginalisation du Sénat et de la Chambre des députés dans le processus législatif, au travers de ces dispositions de la Constitution qui donnaient le droit à l'exécutif de prendre des ordonnances d'urgence dans certaines situations.
Pendant les quatre dernières années, il y a plus de 1 000 ordonnances simples, initiées par le gouvernement, ce qui a fait que le Sénat et la Chambre des députés sont devenus une sorte d'annexe de l'exécutif. Dans le domaine de la législation, il y a eu un phénomène d'instabilité qui a été perçu par les investisseurs, en particulier étrangers. Le phénomène de la corruption a augmenté, si bien que nous envisageons de bloquer ces procédés qui permettent au Gouvernement de prendre des actes normatifs ayant force de loi.
Nous souhaitons que le Sénat soit le médiateur réel des collectivités locales : dans cette perspective, les attributions du Sénat doivent être différentes à quelques exceptions près de celles de la Chambre des Députés: il doit être le représentant direct des collectivités locales. Le Sénat doit également porter son attention sur l'activité de contrôle de l'exécutif et enfin sur l'accroissement de son rôle dans le domaine de la politique étrangère. Dans le domaine législatif, il doit axer ses activités sur les lois fondamentales, les lois organiques.
Cette réflexion est en phase de proposition. Une décision doit être prise par la commission formée par les parlementaires et par la société civile.