L'évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire



Palais du Luxembourg, 24 et 25 janvier 2001

VI - LES PARLEMENTS PEUVENT-ILS AMÉLIORER LEUR RÔLE DE SURVEILLANCE BUDGÉTAIRE ? ÉVOLUTIONS RÉCENTES

1. RENFORCER LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR L'EXÉCUTIF par M Alain Lambert, Président de la commission des Finances du Sénat français

Le contrôle du gouvernement constitue une des missions essentielles du Parlement, avec celle de proposer et celle de voter la loi. Ce contrôle se fonde sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dispose, dans son article 14, que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité l'assiette, le recouvrement et la durée ».

Le fondement du contrôle du Parlement est donc ancien, et centré sur l'aspect financier, car en tant que représentants des peuples, nous devons avant tout déterminer dans quelle mesure la contribution publique est nécessaire et si elle est utilisée de manière efficace et conforme à l'autorisation donnée par le Parlement. La surveillance du budget de l'État est donc ancienne - elle n'en a pas moins considérablement évolué.

Dans chaque pays, les modalités de surveillance et de contrôle du gouvernement par le Parlement sont issues de traditions et le fruit de l'histoire politique et institutionnelle qui leur sont propres. Je souhaite vous présenter rapidement la pratique parlementaire française en matière de contrôle budgétaire et, plus particulièrement, ses évolutions récentes et ses perspectives d'avenir.

Les commissions des finances ont un rôle de contrôle permanent de l'exécution du budget, et elles disposent de prérogatives et de pouvoirs dédiés à cet effet ; il s'agit en particulier du pouvoir de convocation de toute personne dont elle juge l'audition utile.

Mais les prérogatives des commissions des finances sont en fait, surtout, celles de leurs membres, qui sont spécialisés et rapportent sur un budget ministériel déterminé. On appelle ces parlementaires " rapporteurs spéciaux ". Une ordonnance du 30 novembre 1958 dispose en effet que " les membres du Parlement qui ont la charge de présenter, au nom de la commission compétente le rapport sur le budget d'un département ministériel suivent et contrôlent de façon permanente sur pièces et sur place, l'emploi des crédits inscrits au budget de ce département. Tous les renseignements d'ordre financier et administratif de nature à faciliter leur mission doivent leur être fournis ".

Les rapporteurs spéciaux rédigent chaque année, à l'occasion de la discussion de la loi de finances, un rapport sur le budget du ministère dont ils ont la charge. Mais ils effectuent également, au cours de l'année, des missions de contrôle sur les services de l'État qui entrent dans leur champ de compétence. Ces missions peuvent ensuite donner lieu à des lettres d'observations adressées au gouvernement, ainsi qu'à des rapports d'information confidentiels ou publics.

Par ailleurs, les commissions des finances bénéficient, selon l'article 47 de la Constitution, de l'assistance de la Cour des comptes dans le contrôle de l'exécution des lois de finances. La Cour des comptes est chargée du contrôle du gouvernement, de l'administration et des organismes publics, mais sous un angle juridique et comptable, tandis que le contrôle parlementaire est par nature, un contrôle essentiellement politique, assorti de jugements de valeur. Ce sont donc deux modes de contrôle complémentaires. L'assistance de la Cour des comptes se caractérise d'une part, par le fait que les commissions des finances peuvent lui demander de procéder à une enquête, et d'autre part, par la communication aux commissions des finances de ses rapports confidentiels sur l'exécution des lois de finances et sur les organismes publics.

Au cours des dernières années, de nombreuses mesures ont été prises afin de développer les moyens de surveillance, de contrôle et d'évaluation.

Ces évolutions sont parties du constat que le Parlement ne disposait pas réellement des capacités d'évaluer les politiques publiques.

D'abord, un office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, commun aux deux assemblées, a été créé en 1996. L'expérience n'a pas été concluante, puisque l'Assemblée nationale a souhaité abandonner ce projet en 2000, dont elle a considéré que le fonctionnement bicaméral n'était pas satisfaisant. Cependant, le souci de permettre au Parlement d'avoir un regard autonome sur les politiques publiques est demeuré dans les deux assemblées. L'Assemblée nationale a donc créé la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) au sein de sa commission des Finances, dont les travaux bénéficient d'une collaboration importante de la Cour des comptes. Le Sénat a créé quant à lui un Comité d'évaluation des politiques publiques, rattaché à la commission des Finances mais ouvert à des sénateurs membres d'autres commissions. Le comité est doté d'un budget autonome, mais il n'a pas de moyens humains. Il s'agit pour le Parlement de se saisir d'une politique publique et d'en effectuer une évaluation avec l'aide, le cas échéant, d'experts extérieurs, mais toujours sous la responsabilité des parlementaires.

Ensuite, la loi du 14 juin 1996 a développé les pouvoirs du Parlement en instaurant des dispositions nouvelles telles que des sanctions en cas de refus de déférer à la convocation d'une commission, ainsi que la possibilité de se voir attribuer les pouvoirs des commissions d'enquête.

Enfin, l'année passée, plusieurs articles relatifs aux pouvoirs de contrôle des commissions des finances ont été votés dans la première loi de finances rectificative pour 2000.

Ces mesures nouvelles ont consisté à étendre le champ de contrôle des rapporteurs spéciaux au périmètre du contrôle effectué par la Cour des comptes en matière d'organismes publics d'une part, et aux recettes publiques affectées, d'autre part. Elles ont également limité les entraves que le gouvernement pourrait apporter aux pouvoirs de contrôle : le pouvoir général de contrôle des dépenses et des recettes est désormais reconnu au rapporteur général et au président des deux commissions des Finances qui avaient été oubliés par les lois précédentes. Une possibilité de lever le secret professionnel et l'instauration d'une sanction en cas d'entrave à la mission des rapporteurs spéciaux est prévue.

La commission des Finances du Sénat est très favorable à un développement des prérogatives de ses membres en matière de contrôle de l'exécution des lois de finances. Elle l'a montré à plusieurs reprises au cours des derniers mois. Notamment à la suite de l'affaire de la « cagnotte budgétaire » - la commission des Finances dénonçait le fait que le gouvernement cherchait à dissimuler les plus values de recettes fiscales enregistrées au cours de l'année 1999 -, le Sénat a, le 29 avril 2000, accordé les prérogatives des commissions d'enquête à la commission des Finances pour une durée de six mois. Cette procédure a permis à la commission d'auditionner de nombreuses personnalités, qui ont dû prêter serment, assorti de sanctions pénales en cas de faux témoignage, et d'effectuer des contrôles dénommés « sur pièces et sur place » au ministère de l'économie et des finances. Au cours d'un contrôle de ce type, les administrations sont tenues de fournir aux parlementaires tous les documents qu'ils demandent. L'enquête a donné lieu à un rapport public citant les personnalités auditionnées et les documents obtenus lors des contrôles sur pièces et sur place. Ce rapport a été largement commenté dans les médias, dès lors qu'il tentait, pour la première fois avec cette ampleur, de lever un coin du voile de la « culture du secret », souvent dénoncée, des gouvernements en matière budgétaire.

Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de modifier en profondeur le champ, la nature et l'objet du contrôle exercé par le Parlement. Celui-ci a montré qu'il pouvait mettre en oeuvre un contrôle efficace.

Pourtant, les insuffisances du contrôle parlementaire sont encore nombreuses.

D'abord, parce que les relations institutionnelles ne permettent pas toujours d'utiliser pleinement les prérogatives prévues par la loi. Il en est ainsi, en particulier, de la mission d'assistance de la Cour des comptes. Si les relations avec la Cour des comptes se développent dans le sens d'une collaboration accrue, elles restent à parfaire, car les besoins du contrôle parlementaire ne correspondent pas toujours aux services que la Cour peut rendre. Le travail de la Cour s'inscrit dans la longue durée, alors que les organes politiques agissent souvent dans l'immédiat. Les parlementaires disposent certes de moyens propres efficaces mais limités : les fonctionnaires des assemblées, en nombre assez réduit, et pour des études spécifiques, des experts extérieurs, en particulier des instituts d'études économiques.

Ensuite, le contrôle du Parlement souffre d'insuffisantes retombées. C'est toute la problématique du passage du constat à l'action, car le diagnostic ne sert à rien si on ne porte pas remède. En effet, l'activité de contrôle est une activité peu visible de l'opinion publique et dont les retombées médiatiques sont souvent faibles. Par ailleurs, la prise en compte des observations formulées à l'issue des contrôles parlementaires par les gouvernements est rare. Nos collègues de l'Assemblée nationale se sont ainsi plaints, en particulier, de l'absence de suites données aux travaux effectués dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle.

Le contrôle doit donc gagner en visibilité, par exemple, en organisant de manière plus régulière des auditions publiques et contradictoires, à l'image des pratiques de certains pays voisins de la France, afin de prendre toute la place qui lui revient au sein de notre équilibre institutionnel.

Enfin, le contrôle doit faire l'objet de davantage de volonté politique pour s'ancrer dans le cadre de rapports normaux entre le Parlement et le gouvernement. En effet, s'il apparaît naturel aux parlementaires de s'exprimer dans leur activité de législateur, ils délaissent encore trop souvent le contrôle, et n'utilisent pas assez les prérogatives à leur disposition. De la même façon, le contrôle est souvent vécu comme une agression par les administrations, alors qu'il est l'exercice d'un droit de l'Homme.

Ceci implique d'effectuer une véritable révolution culturelle tant chez les parlementaires que dans les administrations.

La réforme de l'ordonnance organique de 1959, qui est la véritable « Constitution financière » de la France nous offre l'occasion de faciliter ces évolutions dans le cadre d'un texte solennel. Il conviendrait, notamment, d'enrichir les informations dont dispose le Parlement en les inscrivant dans une perspective pluriannuelle. Il faut également que le gouvernement ne puisse faire obstacle à l'exercice du contrôle, soit en en contestant les modalités, soit en ignorant délibérément les conclusions des contrôles effectués. L'accès facilité aux documents administratifs, le renforcement des dispositions relatives aux délais de transmission des documents, l'obligation de réponse aux lettres d'observations des rapporteurs spéciaux, et la reconnaissance des moyens du contrôle parlementaire, pourraient faire partie de ces ajouts dans le cadre de cette réforme.

La budgétisation par objectifs qui constitue l'une des innovations centrales de cette réforme, devrait faciliter une évaluation plus fine des performances des administrations ; les ministres seront alors tenus de fixer des objectifs et de comparer les résultats obtenus à ces objectifs à l'issue de l'exercice, rendant ainsi compte de l'efficacité des services à la représentation nationale. Je souhaite que cette modification en profondeur de la construction du budget de l'État et de son vote puisse donner un nouvel élan au contrôle et à la surveillance de ses finances. Après cette réforme, les moyens du contrôle évolueront sans doute encore, du point de vue des textes ou des pratiques parlementaires. Des questions récurrentes relatives à la création d'un organisme de contrôle spécialisé et dépendant exclusivement du Parlement, par exemple, montrent que les attentes demeurent grandes en la matière.

« Au-delà de la réforme des textes, je souhaite l'impulsion d'une nouvelle culture du contrôle auprès des parlementaires et dans les administrations » indiquait le rapporteur général de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale pour 2000. En effet, si les moyens du contrôle existent, c'est souvent la volonté politique qui fait défaut pour en consacrer pleinement l'utilité et améliorer l'utilisation de l'argent public, au profit des citoyens dont nous sommes les mandataires.

Une rencontre telle que celle d'aujourd'hui est le témoignage que cette volonté est de plus en plus affirmée en France.

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