7ème rencontres sénatoriales de l'entreprise - La contrefaçon : risque ou menace pour l'entreprise



colloque le 31 mars 2006 au Sénat
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I. ALLOCUTION D'OUVERTURE : LÁSZLÓ, KOVÁCS, COMMISSAIRE EUROPÉEN À LA FISCALITÉ ET À L'UNION DOUANIÈRE

J'ai le regret de vous informer que je ne parle pas le français et que je présenterai donc mon exposé en anglais. En compensation, je vous épargnerai la lecture du « position paper » de la Commission, qui a d'ailleurs été traduit en français et qui sera distribué à l'issue du colloque. Je procéderai donc à quelques remarques liminaires qui permettront d'introduire nos discussions d'aujourd'hui.

Je tiens à vous faire part tout d'abord de mon immense plaisir à être présent parmi vous aujourd'hui, à l'invitation du président du Sénat et du ministre délégué à l'industrie. Devant cet aréopage représentant non seulement le Sénat, mais aussi et surtout la communauté des affaires françaises, je suis heureux d'aborder ces problèmes, qui divisent tout de même les membres de l'Union et qui font parfois l'objet d'interprétations divergentes d'un Etat à l'autre. Cette question est pourtant essentielle, puisqu'elle conditionne pour une part l'atteinte des objectifs de Lisbonne, auxquels je suis très attaché. Concurrence et maintien de l'emploi sont réellement des mots clés pour l'Europe. En effet, faute de parvenir à ces objectifs, nous ne pourrons tenir notre rôle dans la concurrence mondiale.

A cet égard, les problèmes douaniers me semblent toutefois plus simples à régler que ceux qui touchent la question de l'harmonisation fiscale. En particulier, une décision récente de la Commission, prise à la fin du mois de novembre 2005, prévoit l'élaboration d'un code douanier européen, qui servirait de base pour tous les États membres, ceci pour les points sur lesquels il n'existe pas de divergence. D'ailleurs, tous les pays soutiennent une telle simplification des règles et une amélioration des procédures qui en diminuera le coût.

La contrefaçon : un phénomène inquiétant

La lutte contre la contrefaçon me semble être l'un des domaines dans lesquels l'unanimité des Etats membres est la plus forte. En effet, chacun est convaincu du caractère alarmant de la contrefaçon. Par exemple, le nombre des saisies effectuées l'année dernière est mille fois plus important que celui enregistré il y a huit ans. Il ne s'agit pourtant que de la partie émergée de l'iceberg. Je pourrais également évoquer le nombre de produits saisis ou d'autres chiffres tout aussi inquiétants. Je me contenterai de souligner que le total estimé du produit de la contrefaçon représente environ cinq cents milliards d'euros à travers le monde, soit dix fois plus que le montant des dépenses consacrées par l'Union à la politique agricole commune.

De nouvelles tendances plus alarmantes encore se font jour. A côté des produits traditionnellement victimes de la contrefaçon qui s'avèrent inoffensifs (textiles, produits de luxe), apparaissent aujourd'hui des contrefaçons de produits alimentaires ou pharmaceutiques, de pièces détachées automobiles, etc. Or ces produits mettent en danger la sécurité, voire la vie de nos concitoyens, ce qui est extrêmement grave. De même, la complexification croissante des circuits de distribution est inquiétante. Ainsi, des contrefaçons de pièces détachées Mercedes ont récemment été saisies en Russie, en provenance de Chine. Or, ces pièces avaient transité par Hong Kong, le Liban, les Etats-Unis et finalement la Finlande, alors même que ce pays et la Russie partagent tout de même une frontière commune. Le défi auquel sont confrontées les autorités douanières est donc immense.

Autre caractéristique dangereuse du phénomène, le lien de plus en plus fort et évident entre la contrefaçon et les organisations criminelles responsables du trafic de stupéfiants. Selon certains experts, la contrefaçon s'avèrerait même plus rentable que le trafic de drogue, puisqu'il serait plus profitable de vendre un kilo de DVD piratés que la même quantité de cannabis, alors que le risque est bien moindre.

Comment lutter contre ce fléau ?

En octobre dernier, la Commission européenne a adopté un projet de communication intitulé « Stratégie contre la contrefaçon ». Il présente la réponse des douanes à ce phénomène alarmant. Le mot-clé en est « coopération ». Celle-ci doit être plus intense entre les douanes, les polices et toutes les autres agences impliquées dans la surveillance des frontières de l'Union. La coopération doit également être renforcée entre les autorités compétentes des différents Etats membres de l'Union européenne, tout comme entre l'Union et ses partenaires commerciaux.

A cet égard, je dois mentionner spécifiquement le cas de la Chine. En effet, plus de 50 % des contrefaçons saisies en Europe proviennent de ce pays. Le combat contre la contrefaçon passe donc par une coopération avec la Chine. Un bon moyen de progresser dans cette lutte passerait par un accord avec les autorités douanières de ce pays. Une première réunion dans ce but a d'ailleurs eu lieu récemment, à laquelle j'ai participé, ce qui m'a permis de rencontrer de très nombreuses personnalités, parmi lesquelles le Numéro deux du gouvernement chinois, avec lequel j'ai pu aborder l'idée d'un partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Chine. Je suis en effet convaincu qu'étant donné son poids économique et géopolitique, il est impossible de faire pression sur la Chine.

La seule voie envisageable est donc celle du partenariat fondé sur des intérêts communs. Or les autorités chinoises sont de plus en plus sensibles aux conséquences négatives de la contrefaçon. Des progrès peuvent ainsi être observés dans l'activité développée par les Chinois pour mettre en oeuvre leur législation nationale de lutte contre la contrefaçon. Ainsi, des marchés de contrefaçons ont été fermés récemment, et les propriétaires de ces lieux ont été personnellement, condamnés au côté des trafiquants. Cette coopération devrait donc s'avérer de plus en plus efficace à l'avenir, ce qui permettra d'impliquer aussi d'autres pays asiatiques.

Un autre type de coopération me semble indispensable, celle qui doit unir les douanes et le monde des affaires. En effet, les représentants de ce secteur sont les plus à même d'identifier les contrefaçons. Je crois donc que cette après-midi de débat s'avèrera très utile. C'est pourquoi la Commission apporte son entier soutien à vos travaux. J'ai eu plaisir à accepter votre invitation pour venir partager vos inquiétudes et en discuter avec vous.Voici résumée en quelques mots ma position personnelle sur le thème de vos travaux, que je vous souhaite particulièrement profitables. Je vous remercie.

II. ALLOCUTION DE M. FRANÇOIS LOOS, MINISTRE DÉLÉGUÉ À L'INDUSTRIE

L'implication des autorités chinoises dans la lutte contre la contrefaçon

Monsieur le commissaire, Mesdames et Messieurs, j'ai plaisir à vous saluer. A l'instar de Monsieur Kovács, j'évoquerai quelques anecdotes issues de mes expériences en Chine. J'ai en effet eu, au titre de mes fonctions précédentes de ministre délégué au commerce extérieur, l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises les différents ministres chinois en charge de la protection des brevets, des marques, et de la lutte contre la contrefaçon. Ceux-ci sont tous placés sous la direction de Madame Wu Yi, qui dirige le comité interministériel pour la protection des droits de propriété intellectuelle, créé en 2004. Au sein de cette instance, elle a pris les décisions nécessaires pour que toutes les administrations compétentes en ce domaine luttent efficacement contre la contrefaçon. J'ai ainsi acquis la certitude que le gouvernement chinois veut résoudre le problème de la contrefaçon. Cette volonté s'exprime y compris par la condamnation à mort de fonctionnaires, coupables de ne pas s'être acquittés correctement de leur mission en ce sens. Néanmoins, cette volonté forte ne suffit pas toujours à susciter la confiance nécessaire pour que nos entreprises s'installent dans ce pays. Elles n'ont en effet pas encore le sentiment d'être protégées par un droit aussi développé et protecteur que le nôtre.

Lors d'une visite dans ce pays, j'avais demandé à effectuer une « descente » sur un site connu pour abriter un très important marché de la contrefaçon, à Shenzhen, à proximité de la frontière avec Hong Kong. Je m'y suis rendu avec toutes les plus hautes autorités chinoises compétentes en la matière, sous l'oeil des médias locaux et français et j'ai eu l'occasion de constater comment fonctionnait ce marché. Il se trouve que le travail des fonctionnaires chinois est compliqué par le fait que nombre d'entreprises françaises n'ont pas protégé leurs marques dans ce pays. De plus, il est difficile d'exiger de ces fonctionnaires qu'ils connaissent la totalité des marques déposées dans le monde, même dans un secteur particulier. De surcroît, si une marque n'est pas déposée, il est impossible d'exiger sa protection et de sanctionner la contrefaçon. Nos entreprises doivent donc être à la hauteur des enjeux.

Une autre de ces « histoires chinoises » est, elle aussi, bien plus instructive qu'un discours. J'ai eu l'occasion de présenter au ministre chinois chargé des brevets un chef d'entreprise français dont la production est contrefaite en Chine. Il s'agit en l'occurrence de ressorts utilisés dans l'industrie sidérurgique. Cet industriel était venu présenter ces produits une dizaine d'années auparavant dans le pays, sans que cela ne débouche sur aucun contrat. En revanche, il s'était aperçu deux ans plus tard que ces ressorts étaient produits en Chine par l'un de ceux à qui il les avait présentés, avec une qualité évidemment moindre. Lors d'un voyage ultérieur dans le pays, il avait même eu l'opportunité de découvrir l'usine dans laquelle étaient fabriquées ces contrefaçons. En sa présence, le ministre en charge des brevets s'était alors engagé à faire fermer l'usine. Le plus extraordinaire en l'occurrence est que cette fermeture a réellement eu lieu, comme me l'a appris le chef d'entreprise concerné. Lorsque nous nous engageons et que les dossiers sont présentés à l'autorité appropriée, il existe donc en Chine une véritable capacité de réponse dans la lutte contre la contrefaçon. Cette lutte s'effectue parfois avec une sévérité remarquable, même si ce constat ne doit pas masquer les difficultés persistantes.

Quelques chiffres

Ces anecdotes m'amènent à exprimer ma satisfaction que le Sénat ait choisi ce thème pour ces 7 èmes Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise.En effet,ce vaste sujet n'a pas fini de nous occuper,car il s'agit d'un vrai combat, que mène collectivement le Gouvernement, dont plusieurs représentants interviendront aujourd'hui lors de ces rencontres.Tout comme nos prédécesseurs,nous sommes réellement décidés à faire en sorte que les choses changent réellement dans ce domaine, en France, en Europe et dans le monde.

Il n'est pas inutile d'ajouter quelques chiffres à ceux qu'a cités Monsieur le commissaire. En particulier, le nombre des saisies en France est passé de 300 000 en 1995 à 3,5 millions en 2004. Cette augmentation témoigne à la fois du succès remporté par l'administration des douanes, mais aussi, malheureusement, de la croissance exponentielle du phénomène de la contrefaçon, qui est proprement effrayante. Qui plus est, une part croissante de ces marchandises contrefaites est destinée au marché domestique français. En 2004, ce sont 44 % de ces produits saisis qui devaient être commercialisés sur le territoire national, alors qu'en 1995, cette part n'était que de 20 %. Cette situation est donc extrêmement grave. Elle est encore plus préoccupante en termes d'emploi, puisque l'on estime à 30 000 environ le nombre d'emplois perdus chaque année, même si les évaluations en ce domaine sont toujours délicates. Il faut également, comme l'a fait Monsieur Kovács, rappeler l'implication des réseaux mafieux dans ce commerce. En effet il est parfois difficile de convaincre les citoyens de cette réalité inquiétante. Seuls des réseaux criminels extrêmement bien organisés sont en mesure de mettre en place la logistique lourde qui est nécessaire à ces trafics et permet de contourner les obstacles que nous nous efforçons de lui opposer.

La contrefaçon est également une menace pour l'ordre public. Elle encourage en effet le travail clandestin, porte atteinte aux recettes fiscales et fait peser un risque sur la santé des consommateurs, de par la dangerosité des produits qu'elle met en circulation.

Il est indéniable que certaines zones géographiques sont plus concernées que d'autres. Il apparaît aujourd'hui que de nombreuses villes portuaires deviennent de véritables plaques tournantes de ces trafics, ce qui appelle des actions ciblées pour lutter contre ce fléau.

L'action du Gouvernement

Je souhaiterais à présent vous rappeler les différentes facettes de l'action du Gouvernement dans ce domaine.

Tout d'abord, les sanctions pénales applicables en la matière ont été renforcées. En application de la loi du 9 mars 2004, la contrefaçon est aujourd'hui passible d'une peine d'emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 400 000 euros. Si le délit est commis en bande organisée, ces peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. De plus, une circulaire de politique pénale a été diffusée auprès de l'ensemble des parquets pour les sensibiliser à ce problème. Les autres mesures annoncées en 2004 portent, elles aussi, leurs fruits, notamment en matière de contrôles douaniers, avec une augmentation de 75 % du nombre de saisies entre 2003 et 2004. L'action judiciaire sera également approfondie grâce à la transposition de la directive européenne du 29 avril 2004, que je présenterai dans les prochaines semaines. Ce texte permettra notamment d'aboutir à une meilleure évaluation du préjudice subi par les entreprises, sur lequel est basée la fixation des dommages-intérêts. Nous nous dotons donc d'instruments juridiques plus sophistiqués pour donner à la justice les moyens d'accroître son efficacité dans le domaine.

Parallèlement, le recours aux possibilités offertes par les nouvelles technologies est lui aussi accru. Un document normatif a été élaboré par l'AFNOR, qui permettra de mieux authentifier les produits et d'améliorer leur « traçabilité ». Ce document, qui sera disponible à la fin du mois, servira de base aux travaux d'harmonisation menés au niveau communautaire.

Toujours dans le but de faciliter la lutte contre la contrefaçon, les frais de défense des droits de propriété industrielle ont été intégrés à l'assiette du crédit d'impôt au titre de la recherche, dans le cadre de la loi de finances pour 2006.

Nous entendons également combattre l'utilisation d'internet pour distribuer des produits de contrefaçon. En effet, si nous nous réjouissons de l'augmentation très rapide du commerce sur internet, cette croissance ne doit pas s'accompagner d'un développement de la contrefaçon.

Au plan international, nous militons pour le lancement de discussions à l'OMC sur l'amélioration des accords ADPIC, qui régissent la protection des droits de propriété industrielle dans le commerce mondial. La France joue un rôle très actif dans ces débats. Nous disposons également, dans soixante quinze de nos ambassades à travers le monde, d'un réseau d'experts qui sont au service des entreprises pour les aider à défendre leurs droits. Enfin, l'action internationale passe par la coopération bilatérale. Dans les prochains jours, j'aurai ainsi l'occasion de présider une réunion du comité franco-italien de coopération contre la contrefaçon, qui arrêtera de nombreuses actions communes dans ce domaine.

Au-delà de ces divers moyens d'actions, l'essentiel pour nous est aussi la sensibilisation des consommateurs, de nos concitoyens. A ce sujet, une enquête a été réalisée par l'Union des fabricants, qui montre que 35 % des personnes interrogées ont reconnu avoir déjà fait l'achat d'au moins un article de contrefaçon. Ces consommateurs sont généralement convaincus d'avoir réalisé une bonne affaire en achetant un produit dont l'original était trop cher pour eux. Ce nombre est d'autant plus significatif que ces personnes n'éprouvent aucune culpabilité particulière. Il est donc impératif d'effectuer ce travail de sensibilisation. De nombreuses actions ont été menées en ce sens par les professionnels. Par exemple, cet été, a eu lieu une opération sur les plages de la Côte d'Azur, à laquelle j'ai eu l'occasion de participer. Dans les prochaines semaines, je vais lancer une campagne d'envergure nationale visant à sensibiliser le public aux méfaits de la contrefaçon. Des films d'information ont été réalisés, qui seront diffusés à la télévision aux heures de forte audience. Nous sommes aujourd'hui tous impliqués dans ce combat, et nos concitoyens doivent l'être également. Nos entreprises doivent savoir qu'elles sont protégées dans leurs efforts d'innovation. En effet, nous avons besoin qu'elles innovent. Je vous remercie.

III. TABLE RONDE : LA CONTREFAÇON : DU RISQUE À LA MENACE

Participent à la table ronde :

Gérard LONGUET, ancien ministre, sénateur de la Meuse

Christian DERAMBURE, président de la CNCPI

François GARNIER, vice-président affaires juridiques de Pfizer France

Philippe LEGREZ, directeur juridique de Michelin

Pascal NEGRE, président de Universal Music France, président de la SCPP

Gérard SCHOEN, sous directeur des douanes, chargé de la lutte contre la fraude

La table ronde est animée par Vincent GIRET, directeur adjoint de la rédaction du Parisien

Afin de tenter de mieux cerner le problème de la contrefaçon, nous allons tout d'abord donner la parole à Gérard Schoen, sous directeur de l'administration des douanes, qui va nous faire part des impressions qu'il a ressenties sur le terrain, afin de compléter les données statistiques rappelées par Monsieur le ministre et Monsieur le commissaire européen. Dites-nous, Monsieur Schoen, comment a évolué la contrefaçon sur notre territoire au cours des dix dernières années, en ce qui concerne la nature des produits, leur qualité et leur provenance.

Je vous remercie de me donner la parole pour ouvrir cette table ronde. Afin d'examiner ces évolutions que vous évoquiez, je prendrai comme référence la date du 5 février 1994 - date à laquelle a été votée la loi la plus importante dans ce domaine, qui est encore en vigueur. C'est à l'aune de cet étalon que les résultats obtenus cette année permettront de mesurer l'ampleur nouvelle du phénomène.

L'étude des saisies pratiquées par les douaniers depuis l'entrée en vigueur de cette loi montre tout d'abord que leur nombre est en progression constante. De plus, et surtout, elles se diversifient sans cesse quant à la nature des produits contrefaits qui sont l'objet de ces saisies. Ainsi, dans les années 90, la contrefaçon concernait presque exclusivement les produits de luxe et les produits textiles. Aujourd'hui, ce sont tous les secteurs d'activité qui sont touchés, qu'il s'agisse de produits industriels, de haute technologie ou de consommation courante.

Des produits qui sont parfaitement intégrés à notre vie quotidienne sont notamment contrefaits, ce qui est d'autant plus insidieux que, pour nombre d'entre eux, personne n'imaginerait qu'ils puissent faire l'objet d'une telle contrefaçon. A titre d'exemple, cette année, les douaniers ont saisi pour la première fois des bavoirs, des biberons ou encore de la pâte à modeler contrefaits. A l'inverse, des produits de haute technologie, comme des caméscopes numériques, ou destinés à des applications industrielles ont également été saisis. Il faut notamment relever la saisie de treillis métalliques destinés à renforcer les structures en béton. Dans ce cas, l'atteinte à la sécurité apparaît particulièrement grave. Si ces produits extrêmement chers à l'achat sont commercialisés à un coût moindre, c'est bien évidemment parce que les protocoles de fabrication ne sont pas respectés.

Concernant le volume de ce trafic, on évoque le chiffre de 5,5 millions de produits saisis en 2005.

C'est effectivement le chiffre qui a été présenté par Monsieur le ministre. Pour atteindre ce chiffre de 5,5 millions, la progression du nombre de produits saisis entre 2004 et 2005 a été quasiment similaire à celle intervenue entre 2003 et 2004. Il est également très intéressant de noter l'augmentation du nombre de constatations. En effet, il ne suffit pas de saisir un grand nombre de marchandises ; il faut aussi, et surtout, créer un climat d'insécurité pour les trafiquants en multipliant les opérations. Or, cette année, nous avons pratiqué 11 000 constatations, soit plus du double qu'en 2004. Plus de 20 000 personnes ont été interpellées, ce qui contribue à susciter chez tous les acteurs du trafic (acheteurs, grossistes, semi-grossistes, revendeurs) ce sentiment d'être menacés personnellement. De plus, cette tendance ne devrait pas changer à l'avenir, puisque le plan mis en place par Monsieur Jean-François Copé, ministre du budget, prévoit que le combat contre la contrefaçon bénéficiera du même niveau de priorité que celle accordée à la lutte contre la contrebande de cigarettes et contre le crime organisé en général.

Quelle est la provenance de ces produits ?

En l'espèce, tout dépend de la nature des produits. Pour autant, certains pays se distinguent clairement. Il s'agit de la Chine, de l'Inde, de la Corée du Sud, du Pakistan et de la Turquie. Certains produits proviennent aussi de pays européens (au premier rang desquels la Bulgarie) et parfois d'Amérique Latine. Cependant, pour l'essentiel, ils arrivent d'Asie.

La seconde caractéristique majeure qu'il convient de souligner, c'est la volatilité des produits contrefaits. J'entends par-là que ce sont surtout les produits innovants qui sont contrefaits, pour une durée d'un ou deux ans seulement, avant que la contrefaçon ne se porte vers d'autres marchandises. Les trafiquants s'adaptent donc au marché, dont ils suivent les évolutions. Par exemple, en 2005, des matériels médicaux d'un type nouveau ont été contrefaits l'année même où ils avaient été mis sur le marché. De même, en 2002, tous les objets commémoratifs de la Coupe du monde de football en Corée et au Japon avaient été contrefaits. La contrefaçon suit même parfois des phénomènes de mode qui durent moins d'une année, avant d'évoluer vers d'autres productions.

Merci beaucoup, Monsieur Schoen, pour cette introduction. Nous reviendrons vers vous, notamment pour détailler la riposte mise en place par les douanes et les services offerts aux entreprises. Auparavant, nous allons tenter d'illustrer vos propos par les témoignages des représentants d'entreprises qui participent à cette table ronde. François Garnier, le cas de votre entreprise illustre tout à fait les évolutions contemporaines du phénomène de la contrefaçon. En effet, de marginale, la contrefaçon de médicaments est devenue une réalité de grande ampleur. Expliquez-nous comment votre laboratoire a été confronté à ce problème.

Je vous remercie de me donner la parole. Je commencerai par relever la formulation du sujet qui nous rassemble aujourd'hui : « La contrefaçon, risque ou menace pour l'entreprise ? ». Pour moi, la véritable question devrait plutôt être formulée de la manière suivante : « La contrefaçon, risque ou menace pour le consommateur ? ».

Dans le domaine du médicament, qui est celui de Pfizer, il est évident que la contrefaçon est un phénomène en pleine expansion. A l'origine, elle touchait uniquement les pays en développement, dans la mesure où ceux-ci ne possédaient pas les infrastructures et les circuits nécessaires pour l'acheminement des médicaments. Aujourd'hui, plusieurs phénomènes se télescopent et viennent s'ajouter à ce problème déjà ancien. Ainsi, l'amélioration des réseaux de transport et le développement de la vente par internet décuplent les possibilités de circulation et de commercialisation des médicaments contrefaits. A cela, il faut ajouter l'arrivée de nouveaux médicaments - un phénomène qui a d'ailleurs été l'élément déclencheur de notre prise de conscience. En effet, avant même que le Viagra ne soit mis sur le marché, des « contrefaçons » existaient déjà, ce qui nous a amenés à réaliser un travail d'anticipation contre la vente de ces copies.

Avez-vous pu évaluer le préjudice que cela représente pour Pfizer ?

Le coût pour notre entreprise est difficile à chiffrer, même s'il n'est certainement pas très important. Naturellement, nous souhaitons que le patient qui achète un produit pharmaceutique acquière le vrai médicament, et non une contrefaçon inefficace. Ce produit doit lui assurer la sécurité et l'efficacité que nous lui garantissons sous la surveillance des autorités réglementaires. Pour atteindre cet objectif, nous avons, depuis le lancement du Viagra, beaucoup travaillé avec les douanes pour former leurs agents et leur apprendre à distinguer nos produits de leurs contrefaçons. A ce titre, l'année dernière, nous avons été récompensés de nos efforts par une saisie très importante de produits en transit. Pourtant, la tâche n'est pas aisée. En effet, comme vous pouvez le constater avec les échantillons que j'ai apportés, il est très difficile de distinguer visuellement le vrai médicament du faux.

Sur ce point, il me parait essentiel de rappeler qu'aujourd'hui, en France, le médicament prescrit sur ordonnance par le médecin et acheté en pharmacie est toujours le vrai produit. La sécurité du système de distribution pharmaceutique, qui est extrêmement réglementé, garantit son caractère fermé. Deux grands dangers menacent pourtant le consommateur.

Le premier renvoie à la vente sur internet. Je rappelle que Pfizer ne commercialise pas ses produits sur internet et que tout achat de Viagra effectué par ce biais est donc très probablement un achat de contrefaçon. Il est en effet impossible de retracer l'origine de ce produit et son circuit de distribution. Le second danger, qui ne concerne pas encore la France pour l'instant, est celui de l'intrusion de contrefaçons dans les circuits officiels de distribution. En effet, nous avons été récemment confrontés aux premiers cas de ce type en Angleterre, où des contrefaçons ont été retrouvées chez les pharmaciens. Ces produits étaient passés par le circuit des importations parallèles. Dans certains pays, il est en effet possible de reconditionner les médicaments avant de les vendre dans le pays de destination. C'est précisément ce système qui a été mis à profit par les contrefacteurs.

Encore une fois, notre principal souci face à ce risque vise à assurer l'efficacité du produit et la sécurité du consommateur. Dans ce but, nous avons très récemment introduit des emballages de médicament qui intègrent une puce RFID, c'est-à-dire un émetteur radio permettant de suivre en permanence les déplacements de chaque produit.

J'imagine que cette innovation représente un coût considérable pour l'Entreprise.

Pour nous, il est fondamental de maîtriser l'acheminement de nos produits et de garantir le circuit de distribution. En conclusion, les éléments qui doivent être rappelés sont les suivants. Le phénomène se développe. Cependant, pour l'instant, il ne touche pas la France, grâce aux actions de formation menées à destination des agents des douanes, qui sont extrêmement efficaces.

A ce sujet, j'aimerais ajouter que quatre cent cinquante entreprises ont aujourd'hui conclu, comme Pfizer, des partenariats avec les douanes, qui nous permettent de connaître les lieux de production, les circuits d'acheminement et les lieux de distribution. En confrontant ces données avec nos propres renseignements, nous sommes plus à même d'identifier les risques d'intrusion dans ces circuits et de cibler nos opérations. C'est en identifiant le conditionnement et le moyen de transport les plus adéquats que nous pouvons anticiper les techniques qui seront utilisées par les trafiquants.

D'un point de vue juridique, il est également essentiel de pouvoir agir dans des délais très courts. Lorsque les douanes nous annoncent qu'un doute pèse sur un colis en transit, il faut avoir la capacité juridique d'intervenir immédiatement pour bloquer la circulation de ces produits et s'assurer qu'ils sont retirés du marché. Dans un second temps, nous engageons la responsabilité des contrefacteurs grâce à des actions en contrefaçon de marque ou de brevet.Toutefois, notre objectif principal n'est pas ici d'obtenir la condamnation au versement de dommages-intérêts, mais de sortir le produit du marché.

En évoquant le cas de Michelin, nous allons aborder un autre exemple d'entreprise confrontée à la contrefaçon. Certains produits de cette société ont en effet été au coeur d'une affaire très médiatisée, il y a environ dix huit mois, lorsque des contrefaçons de pneumatiques pour poids lourds ont été repérées sur le marché. Dans un article de presse, vous aviez estimé que 50 000 à 70 000 pneus contrefaits avaient ainsi été commercialisés. A partir de quel moment avez-vous observé l'apparition de ces contrefaçons et quelles sont aujourd'hui les conséquences de ce phénomène pour votre entreprise ?

Il me semble nécessaire d'apporter en préambule quelques précisions techniques et de rappeler tout d'abord que le pneumatique est un produit de haute technologie. Cette remarque ne concerne pas, bien entendu, la structure du pneu ou ses composants mais la bande de roulement, c'est-à-dire la partie en contact avec la chaussée. Cette partie du pneu porte des sculptures, qui sont précisément l'objet de la contrefaçon. Les producteurs de faux pneus Michelin réalisent des moulages de ces sculptures, à partir desquels ils peuvent fabriquer les contrefaçons qui sont commercialisées. Les pneus concernés sont essentiellement ceux qui sont montés sur des camions ou des bus.

Nous avons découvert ce phénomène voici un ou deux ans, essentiellement en Chine, où sont situés la plupart de nos contrefacteurs, et pour une moindre part en Inde et en Corée du Sud. Une dizaine de contrefacteurs chinois ont été identifiés, qui commercialisent leurs produits dans le monde entier, alors que les chiffres cités ne concernent que l'Europe. On peut trouver aujourd'hui ces contrefaçons aussi bien sur le marché nord-américain qu'en Amérique du Sud et, très récemment, au Maghreb.

Je suppose, Monsieur Schoen, que ces produits passent forcément, à un moment ou un autre, par des douanes ?

Il est évident que ces produits franchissent des bureaux de douane lors de leur transport, et j'ai d'ailleurs eu une entrevue avec Monsieur Degrez en marge de ce séminaire pour renforcer notre coopération. Par ailleurs, je précise que nous avons, comme dans de nombreux autres pays, un agent douanier en Chine, grâce auquel nous pouvons repérer plus facilement les expéditions de contrefaçons. Or, une fois que la source a été repérée, il est possible de saisir les produits. Cette faculté de saisie n'est d'ailleurs pas limitée au territoire français, mais s'étend à l'ensemble de l'Union européenne.

Philippe Degrez, expliquez-nous comment vous avez réussi à identifier les dix entreprises chinoises qui, à votre connaissance, fabriquent des contrefaçons de pneus Michelin.

Il faut tout d'abord savoir qu'historiquement, Michelin est l'une des premières entreprises françaises à s'être installée en Chine, puisque nous avons construit une première usine dans le nord du pays il y a près de trente ans. L'ancienneté de notre présence et l'étendue de notre réseau expliquent que nous ayons pu détecter ces contrefacteurs relativement aisément.

La coopération entre les douanes et les entreprises françaises, qu'encourage Monsieur Schoen, me semble effectivement essentielle, car la difficulté principale tient à l'identification des contrefaçons. En effet, même pour nos techniciens, il n'est pas toujours facile de distinguer visuellement la copie et le véritable pneu Michelin. Il est facile de comprendre que tous les douaniers ne peuvent avoir l'expérience requise dans ce domaine, ce qui rend éminemment nécessaire leur formation.

Pour ce qui est du problème posé plus précisément par la Chine, permettez-moi de décrire en quelques mots la façon dont Michelin a réagi à ce problème. Entre 2004 et 2005, nous avions constaté un triplement du nombre de contrefaçons de pneus vendus sur les marchés nord-américain et européen. Suite à ce constat, nous avons adressé, en octobre 2005, une lettre à l'ensemble des revendeurs et distributeurs de pneus européens. Dans ce courrier, nous les informions de nos découvertes de pneus contrefaits, en leur rappelant que ceux-ci s'appuyaient sur un savoir-faire propre à Michelin, protégé par des droits de propriété intellectuelle dûment enregistrés. Enfin, nous mettions également en demeure ceux qui commercialisaient ces contrefaçons de cesser cette activité immédiatement, les informant que nous nous réservions la possibilité d'exercer tous les recours utiles pour mettre un terme à la fabrication et à la distribution de ces copies.

Comme on le voit, Monsieur Schoen, qu'il s'agisse de pneumatiques ou de médicaments, il y a une dangerosité indéniable des produits contrefaits.

Vous avez tout à fait raison d'insister sur ce point. En effet, lorsqu'on évoque la dangerosité des contrefaçons, c'est l'exemple des médicaments qui vient tout de suite à l'esprit. Pourtant, cette dangerosité affecte tous les produits, et c'est là une autre des évolutions marquantes observées au cours des années passées.

Durant les années 90, lorsque vous achetiez un T-shirt de contrefaçon, il devenait inutilisable après deux lavages parce qu'il avait rétréci et qu'il était décoloré, mais cela ne représentait aucun risque pour votre santé. Aujourd'hui, en revanche, de très nombreux produits sont dangereux, comme en témoigne l'exemple des cigarettes. De très nombreuses cigarettes contrefaites transitent en effet par le territoire français. Or, lors de la dernière saisie dans ce domaine, les analyses toxicologiques ont relevé la présence dans ces cigarettes de taux élevés d'insecticide, de produits toxiques, ainsi que des traces de mercure.

Le second exemple, celui des jouets, est encore plus effrayant. Ces produits sont largement victimes de la contrefaçon, quel que soit le type de jouet envisagé. Sur la totalité des saisies effectuées dans ce domaine l'année dernière, nous n'avons pas trouvé un seul produit qui réponde aux normes de sécurité en vigueur. Pire, 62 % des jouets saisis exposaient leurs utilisateurs éventuels à un risque grave et imminent. J'ai ainsi apporté un ours en peluche destiné aux très jeunes enfants dont on constate que la tête se détache très rapidement à l'usage, dévoilant un clou extrêmement affûté qui dépasse du corps de la peluche. Ce cas est malheureusement loin d'être isolé, alors que le phénomène n'existait pas dans un passé récent. Il est donc essentiel d'en prendre conscience.

Après les informations très inquiétantes de Monsieur Schoen, tournons-nous vers un aspect moins « effrayant » du problème avec Pascal Nègre, président d'Universal Music France. Son entreprise est doublement victime de la contrefaçon. En effet, dans le domaine de la contrefaçon physique, on estime qu'un disque sur trois vendu dans le monde est un disque piraté. Par ailleurs, la question de la contrefaçon immatérielle est éminemment d'actualité : chacun sait qu'il est aujourd'hui possible de se procurer sur internet de la musique sans acquitter de droits d'auteurs. Expliquez-nous, Monsieur Nègre, comment votre entreprise fait face à cette double menace.

Je commencerai par rappeler que, dès les années 60, l'ensemble des producteurs de musique se sont rassemblés pour lutter contre la piraterie. A cette menace d'ampleur mondiale, c'est donc une réponse mondiale qui est apportée. L'ampleur de ce phénomène transparaît dans l'origine des produits et dans la liste des pays dans lesquels ceux-ci sont commercialisés. Quasiment tous les pays du monde sont touchés à commencer, pour les pays producteurs, par l'Asie, l'Europe de l'Est (Bulgarie, Roumanie, Pologne...) et la Méditerranée. Dans cette dernière catégorie sont d'ailleurs inclus des pays européens, comme l'Espagne ou l'Italie. Dans ce dernier pays, qui compte pourtant une population similaire, le marché du disque est six fois moins développé qu'en France, à cause de l'ampleur de la piraterie. De même, en Espagne, il est extrêmement facile d'acheter, à la porte même des magasins de produits culturels, une copie d'un disque pour 10 % de son prix officiel. Dans ces deux pays de l'Union européenne, le problème est donc réel.

En France, notre système de distribution bien sécurisé nous met à l'abri de ce risque. De plus, nous travaillons de manière très efficace avec les douanes pour lutter contre ce phénomène. Ce travail est d'ailleurs facilité par le fait que, dans notre cas, il est assez aisé de différencier l'original et la contrefaçon, l'aspect extérieur ne laissant guère de doute.

Le véritable problème, en ce qui nous concerne, est donc celui posé par internet. Il est à la fois plus complexe et plus polémique. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à y être confrontés, puisque l'industrie cinématographique fait également face aux mêmes difficultés depuis l'avènement des connexions à très haut débit qui permettent de télécharger des fichiers en quelques minutes. Un seul chiffre me semble suffisant pour donner l'ampleur du problème : l'an passé en France, un milliard de chansons et 120 millions de films ont été téléchargés. L'impact de ce phénomène a été immédiat, en corrélation directe avec le développement de l'accès à internet. Il est d'ailleurs ironique de constater que la France a été l'un des derniers pays à être massivement touchée, justement parce que le développement d'internet y a été plus lent qu'ailleurs.

Nous nous trouvons donc confrontés à une nouvelle forme de contrefaçon. En revanche, il me semble que la question posée ne diffère pas des formes classiques : il s'agit de savoir s'il faut punir le consommateur ou le distributeur. Si le premier est plus facile à toucher, il est évident que le problème posé par le second est bien plus grave. Sur internet, la situation est exactement la même. La plupart des logiciels de peer-to-peer qui permettent l'échange des fichiers musicaux appartiennent à des entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux et tirant leurs revenus à la fois de la publicité et de la vente de ces logiciels. Si l'idée d'échange est, à l'origine, connotée très positivement, il en va autrement lorsque 99,9 % des fichiers échangés sont protégés par des droits d'auteur.

Aujourd'hui, l'idée fait donc son chemin dans les juridictions étatiques qu'il faut lutter contre les logiciels qui permettent ces échanges. Le récent débat à l'Assemblée nationale, qui a déchaîné les passions avant d'être suspendu, est très intéressant à cet égard. En effet, la solution vers laquelle le législateur semble souhaiter se diriger est, a contrario, celle de la « licence globale ». Plutôt que de lutter contre la piraterie, il s'agirait de légaliser cette dernière, ce qui est après tout une façon comme une autre de résoudre le problème. Personne en revanche n'est capable d'expliquer comment l'on pourrait ensuite répartir le produit de cette taxe entre les producteurs, mais il ne semble pas que cette difficulté ait arrêté les députés. Je profite donc de ma présence dans ces murs pour dire mon soulagement à l'idée qu'il existe une chambre haute qui pourra retrouver la raison. La solution me semble pourtant simple : elle consiste à lutter contre les logiciels d'échange. Si l'on réussit à éradiquer ces logiciels, le problème de la piraterie sera quasiment résolu.

Venons-en à présent aux conséquences de ce fléau. On estime la perte subie par l'ensemble de l'industrie de la musique à environ dix milliards d'euros. Universal Music représentant environ 25 % de l'industrie, je vous laisse faire le calcul du préjudice considérable subi par l'entreprise. Pour ce qui est de la piraterie par internet, le marché de la musique en France a diminué de 40 % en trois ans. Dans un monde idéal, sans piraterie physique ou immatérielle, on peut ainsi considérer que le chiffre d'affaires de l'industrie musicale serait multiplié par trois, ce qui est énorme.

Je me tourne à présent vers Gérard Longuet, dont la grande loi sur la contrefaçon porte la marque. Cette loi avait à l'époque fait de la France un pays en pointe dans la lutte contre la contrefaçon. Face aux témoignages que nous venons d'entendre, j'ai envie de vous poser une question très simple : que peut faire le politique pour lutter contre la contrefaçon ? Peut-on même lutter contre ce phénomène ?

Pour être honnête, je ne le pense pas. Je suis convaincu que la contrefaçon est un vol à l'état brut, mais je n'en suis pas moins persuadé qu'elle va perdurer. Concernant la loi de février 1994, que vous avez eu la gentillesse de citer, je me dois de préciser que je n'en suis pas l'auteur, puisque ce texte avait en fait été préparé par mon prédécesseur. Toujours est-il que beaucoup de choses ont changé depuis cette époque, qui expliquent mon pessimisme.

Le premier élément notable tient à l'immatérialité de la valeur. Le premier exemple de cette réalité qui ait frappé l'opinion, c'est celui du billet de banque. Celui-ci est d'ailleurs le premier produit à avoir été contrefait. En effet, avec une valeur matérielle extrêmement faible, il était possible de bénéficier d'une valeur libératoire très élevée si le billet était correctement imité. Or cette immatérialité de la valeur n'a cessé de progresser, affectant un nombre de plus en plus grand de produits, dont la musique. La valeur de la musique est totalement immatérielle : un disque qui plaît ne coûte pas plus cher à fabriquer qu'un mauvais disque. Il s'agit là d'un premier élément qui pousse à la contrefaçon. Or l'objectif de tout industriel vise à conférer à son produit une valeur supplémentaire à sa valeur de production, afin de dégager une marge. Le paradoxe est que par-là même, il suscite une tentation chez le contrefacteur.

Le deuxième élément tient à la fluidité du système productif. Il n'est guère besoin de s'étendre sur ce point, puisqu'il suffit de constater qu'elle est aujourd'hui totale. Ainsi, en matière de confection, les producteurs français pouvaient par le passé se prévaloir de leur réactivité, puisque les vêtements pouvaient être livrés très rapidement. Aujourd'hui, grâce aux progrès du secteur des transports, il en va de même pour des vêtements produits sur d'autres continents, y compris les contrefaçons. Cette fluidité se combine en effet avec une universalité du système productif. A titre personnel, je m'intéresse beaucoup à l'histoire industrielle. J'ai ainsi appris que, lors de la fondation d'une cristallerie en Lorraine au XVIII e siècle, un espion avait été envoyé à Murano pour copier les secrets des maîtres vénitiens. L'espionnage industriel existait donc déjà à cette époque, même s'il s'agissait d'une mission risquée et difficile à réussir. Aujourd'hui, il serait stupide de mettre en oeuvre de telles techniques, puisque, pour recueillir ce type de renseignements, il suffit de déambuler dans les allées des salons professionnels ou de se procurer les produits dès leur commercialisation.

Enfin, la troisième raison qui motive mon pessimisme est liée au caractère extrêmement tardif de la perception du caractère nocif de la contrefaçon par le grand public. De par l'aspect récréatif de l'achat d'un faux sac en cuir lors de vacances au soleil, cette prise de conscience a en effet beaucoup tardé. Celui qui effectuait un tel achat était persuadé d'avoir réalisé une bonne affaire, plutôt que d'avoir commis un vol. De plus, les fabricants de produits de luxe, bien que mécontents ; n'étaient pas totalement opposés à cette forme de contrefaçon. Pour eux, en effet, les acheteurs de ces contrefaçons n'étaient pas leurs clients habituels, mais des consommateurs moins fortunés qui s'offraient ainsi une part du rêve que vend le secteur du luxe, contribuant ainsi à accroître la notoriété de ces marques. Ils n'étaient donc pas partisans, au départ, d'une extrême sévérité dans la lutte contre la contrefaçon. Ce faisant, le véritable problème posé par la contrefaçon, celui de la sécurité, restait à l'arrière-plan. Dans ce domaine, il est plus difficile d'expliquer aux citoyens que la contrefaçon ne constitue pas une bonne affaire. Ceux-ci sont, certes, prêts à le croire pour ce qui concerne les médicaments, mais pas pour d'autres produits.

Lors des discussions au Sénat, nous serons particulièrement attentifs à la défense des droits de propriété. Ce droit s'applique notamment aux biens immatériels : ainsi, un jeune qui refuse le vol d'un objet physique lui appartenant doit également s'abstenir de voler un objet numérique qui ne lui appartient pas.

Les professionnels de la lutte contre la contrefaçon ne sont donc pas menacés par le chômage ! Selon moi, ce phénomène va perdurer et la bataille d'opinion sera difficile à gagner. Il s'agit de faire reconnaître que le vol doit être sanctionné, parce qu'un tel comportement tue l'économie. La contrefaçon réduit les marges des fabricants. Or lorsque ceux-ci ne dégagent plus de marge, ils ne gagnent plus d'argent et l'économie s'arrête. La poursuite de l'activité économique est fondée sur l'état de droit, dont les principes incluent le droit de propriété.

Je salue le caractère passionnant de l'analyse de la valeur qui vient d'être faite par Monsieur Longuet, et je tiens à apporter une précision. La valeur est en fait victime d'un double effet de cliquet, puisque l'accès gratuit au produit contrefait dévalue le produit original. En d'autres termes, lorsque le produit piraté ne vaut rien, le produit dont il est la copie ne vaut plus rien à son tour. De plus, comme Monsieur Longuet l'a rappelé, le produit dégagé par la vente permet de financer la recherche pour la production future. Ce raisonnement est tout à fait valable pour l'industrie de la musique, même si, dans ce cas, la recherche en question est celle des nouveaux talents.

Il faut également rappeler les devoirs qui s'imposent à l'industriel. Celui-ci doit savoir gérer convenablement la propriété de son bien. Je veux prendre ici l'exemple des producteurs de pièces détachées pour l'automobile. En effet, quiconque voudrait construire son propre véhicule à partir de l'achat de pièces détachées doit posséder un capital important, bien supérieur à la valeur finale de la voiture. L'exploitation excessive d'une rente de propriété aboutit évidemment à une augmentation du risque de contrefaçon. Le prix de vente doit refléter le coût et la marge, mais il ne doit pas être prohibitif. La propriété donne des droits, mais elle confère également des devoirs en ce qui concerne la relation avec les clients.

Je suis d'accord et je tiens à faire remarquer que la dématérialisation a permis à l'industrie du disque de baisser considérablement ses prix. Ainsi, un single qui était vendu cinq euros en magasin ne coûte plus aujourd'hui que 99 centimes en téléchargement. Cependant, ce prix semble encore exorbitant pour beaucoup, puisque le même produit est accessible gratuitement sans difficulté.

Je rassure Monsieur Nègre : son entreprise n'est pas la seule victime de ce problème, qui touche depuis fort longtemps le service public. Il est parfois difficile de faire comprendre à nos concitoyens qu'un service gratuit coûte de l'argent.

Je tenais à rebondir sur votre remarque, Monsieur Longuet, concernant l'avenir de la contrefaçon. Il est en effet impossible d'ignorer que la Chine s'est dotée au cours des dernières années d'une capacité productive très importante. Le marché asiatique ne pouvant absorber cette production, faut-il s'attendre à un déferlement de produits contrefaits en provenance de ce pays, qui inonderaient le marché mondial ? Que peut le politique face à cela ?

A condition qu'il commence par balayer devant sa porte, le politique peut faire énormément en ce domaine. Au plan national, le législateur peut et doit légiférer sur la question. Au plan communautaire, Monsieur le commissaire nous a rappelé l'engagement de l'Union européenne face à l'indifférence d'un certain nombre de ses membres à l'égard de la contrefaçon. Au plan international enfin, les outils disponibles nous offrent des marges d'action considérables, qu'il s'agisse des règlements internationaux ou des accords, dont les règles s'appliquent effectivement, malgré la conception que s'en fait l'opinion générale. Il ne faut donc pas désespérer de la capacité normative d'un système politique national, européen, et international.

Par ailleurs, le politique doit mener la bataille des idées : « Au début était le Verbe ». Les hommes politiques doivent avoir des idées en ce domaine et les défendre, afin de convaincre l'opinion qu'il n'y a pas de progrès sans propriété.

Il me semble que la transition est toute trouvée pour permettre à Monsieur Derambure de nous présenter en détail le rôle des conseils en propriété industrielle auprès des entreprises attaquées par des contrefacteurs.

Les conseils en propriété industrielle sont des professionnels libéraux qui assistent les entreprises dans la gestion de leurs droits de propriété industrielle, qu'il s'agisse de leur acquisition, de leur valorisation ou de leur défense. Les entreprises sont confrontées à deux types de problèmes, l'un n'étant pas moins grave que l'autre. Dans la première situation, leurs produits sont contrefaits, en violation de leurs droits de propriété intellectuelle. Dans la seconde situation, qui est trop souvent négligée, c'est l'entreprise qui se retrouve en position de violer les droits de propriété intellectuelle d'un tiers. Cet angle ne doit surtout pas être sous-estimé. Cette situation est en effet devenue beaucoup plus fréquente, corollaire évident de la très forte augmentation du nombre de droits de propriété intellectuelle protégés, notamment aux Etats-Unis et au Japon.

Aujourd'hui, avant de songer à faire protéger ses droits, une PME française doit envisager les conditions dans lesquelles elle est confrontée aux droits de tous les tiers. Pour cette raison, la compagnie nationale des conseils en propriété industrielle milite pour que les brevets soient délivrés avec un haut degré de précision, afin que les tiers aient une idée exacte de ce que couvrent les droits du déposant.

Le droit de la propriété intellectuelle doit être honnête, de manière à ce que s'établisse un équilibre entre les intérêts des créateurs et ceux des tiers.

Peut-on dire qu'aujourd'hui, certaines entreprises protègent « tout et n'importe quoi », notamment pour verrouiller leurs marchés et en interdire l'accès aux concurrents ?

Il y a effectivement deux manières d'utiliser un droit de propriété intellectuelle. La première consiste à protéger l'innovation, tandis que la seconde vise à utiliser l'arme du brevet pour éliminer un concurrent du marché. Certaines entreprises mettent ainsi en oeuvre une stratégie consistant à miner le terrain par des dépôts de brevets infondés. Il me semble nécessaire, de ce point de vue, de repenser le modèle de la propriété intellectuelle, et de réfléchir, comme l'a fait Monsieur Longuet, aux modèles économiques qui fondent ces droits de propriété intellectuelle. Chacun sait effectivement que la contrepartie du droit de propriété intellectuelle est la sur-marge. Cependant, si celle-ci devient insupportable pour le client, il se tournera bien évidemment vers la contrefaçon. Il le fera d'autant plus facilement que la contrefaçon est aisée à réaliser, ce qui est techniquement le cas aujourd'hui pour un grand nombre de produits.

Que faut-il faire pour rendre plus efficace notre riposte contre la contrefaçon ?

Comme cela été dit à plusieurs reprises depuis le début de l'après-midi, la contrefaçon est un fléau, qui n'est pas prêt de s'arrêter. Pour cette raison, nous demandons que la propriété intellectuelle soit élevée au rang de grande cause nationale, ce qui témoignerait d'une volonté politique forte. Défendre la propriété intellectuelle, c'est défendre l'emploi et l'innovation. Cette volonté ne sera toutefois pas suffisante, si nous ne nous dotons pas des moyens nécessaires.

Parmi ces moyens, nous demandons tout d'abord la constitution d'un pôle judiciaire spécialisé dans la propriété intellectuelle. Le volume du contentieux actuel n'est pas tel qu'il justifie sa répartition entre une dizaine de tribunaux de grande instance. Un seul tribunal devrait être compétent, ce qui permettrait de mutualiser les compétences, de manière à mener une répression efficace de la contrefaçon.

Deuxièmement, il faut faire en sorte que le contrefacteur n'ait pas intérêt à se livrer à cette activité. C'est ici le problème de la réparation du dommage qui doit être posé. Si cette question devait être réglée par la directive évoquée par Monsieur le commissaire, nous en serions très heureux, car la situation actuelle n'est absolument pas satisfaisante. En France, les dommages-intérêts, de par leur caractère réparateur, ne sont pas suffisamment dissuasifs.

Troisièmement, il faut renforcer la filière française de la propriété intellectuelle, dont les professionnels ne sont pas assez nombreux, aussi bien du côté des conseils que de celui des avocats. L'incompatibilité même de ces deux professions pose actuellement des problèmes.

Enfin, l'accent doit porter sur les efforts entrepris au niveau européen. Le système de l'EPLA (European Patent Litigation Agreement), par exemple, est élaboré sans la France, qui est absente de ce débat. Cela est totalement anormal et nous nous battrons pour que les pouvoirs publics s'impliquent en ce domaine, afin que la France prenne toute sa place dans la défense de la propriété intellectuelle.

Je voudrais tempérer quelque peu les propos particulièrement dynamiques de Monsieur Derambure concernant notre système judiciaire. De par ma propre expérience, je dois reconnaître la très grande compétence des juges français en matière de propriété intellectuelle. Quant à l'arsenal juridique, même s'il peut être amélioré, il me semble d'ores et déjà suffisant. Le problème est son inadaptation à la globalisation et aux spécificités d'internet. Ainsi, il est extrêmement difficile d'identifier la localisation physique des sites internet de vente de contrefaçons et de déterminer l'action légale qui doit être mise en oeuvre.

Mon intention n'était absolument pas de critiquer la qualité des décisions rendues par les tribunaux français, auxquels il faut rendre hommage pour la qualité du travail qu'ils accomplissent. Ma proposition vise seulement à concentrer la force de frappe, de manière à pouvoir répondre à l'organisation très sophistiquée des contrefacteurs.

Par ailleurs, je reviens sur le cas de la Chine, qui a été citée à de nombreuses reprises. Ce pays était l'invité des cinquièmes rencontres internationales de la propriété intellectuelle qui se sont déroulées en octobre 2005. A cette occasion, les représentants chinois nous ont expliqué quel était le processus économique qui soutenait la contrefaçon dans ce pays, et quels étaient les cycles qui allaient se développer. Afin d'approfondir l'étude de ce phénomène, mais aussi de renforcer les liens entre les professionnels des deux pays et d'élaborer des solutions, la CNCPI effectuera très prochainement un voyage officiel dans ce pays.

Je souhaitais revenir sur l'évolution de la répression de la contrefaçon. Depuis les années 90, cet acte est considéré comme un délit, réprimé sévèrement. En effet, la loi autorise la confiscation du produit contrefait, à laquelle s'ajoutent une amende égale au double de la valeur du produit authentique et, éventuellement, une peine d'emprisonnement. Peu à peu, nous sommes même passés du délit à la criminalité organisée. Désormais, les acteurs de ce trafic effectuent de véritables analyses de marché et anticipent la sortie des produits. De même, leur capacité d'organisation transparaît à travers leur capacité à segmenter les circuits de transport, puisque le producteur et le destinataire ne sont jamais en contact direct, les marchandises empruntant au moins deux moyens de transport différents. Enfin, ces mêmes criminels sont impliqués dans le trafic de drogue et dans la contrefaçon, comme le mettent en évidence les procédures pénales en cours.

Le produit de la contrefaçon est réinvesti dans le trafic de cigarettes et dans celui des stupéfiants, et inversement. L'imbrication des deux milieux est aujourd'hui extrêmement forte, avec une collusion directe et immédiate des diverses organisations criminelles. C'est cet aspect qui doit être retenu et rappelé sans cesse : participer à la contrefaçon, c'est se compromettre avec des organisations qui ne respectent aucune des règles en vigueur dans les Etats, qu'il s'agisse des droits de l'homme, du droit du travail ou des règles fiscales.

Le discours de Monsieur Schoen est incontestable, comme l'attestent un grand nombre d'exemples. Toutefois, il ne faudrait pas croire que la contrefaçon est uniquement un phénomène criminel. Le problème est aussi lié au retard technologique qu'accusent aujourd'hui encore un certain nombre d'industriels, notamment en Chine. Ce retard ne leur laisse pas d'autre choix pour vendre leurs produits que de copier ceux inventés par leurs concurrents occidentaux.

Je suis un entrepreneur qui collabore avec des firmes chinoises pour essayer d'importer en Europe des produits intégrant des technologies américaines et des savoir-faire français. Les seuls risques et menaces qui ont été évoqués jusqu'à présent sont ceux encourus par les grandes entreprises françaises. Or la contrefaçon représente pour la plupart des petites entreprises une opportunité, qu'elles soient européennes ou, plus fréquemment, extraordinaire-communautaires. En effet, les contrefacteurs viennent rechercher, notamment en France, les savoir-faire et les tendances qui leur permettront de copier les produits à succès, ce dont nous ne pouvons pas nous plaindre. Cette dimension a-t-elle été véritablement intégrée, étant donné qu'elle ne touche pas les grandes entreprises représentées ici ? Les entreprises françaises ont-elles suffisamment réfléchi à la manière de traiter la valeur de leurs produits et à l'utilisation des canaux de distribution pour que le consommateur accepte de payer la prime au produit original ? Il me semble que ce processus est beaucoup plus avancé en Allemagne, par exemple.

Je pense que Michelin illustre parfaitement votre remarque.Toute notre force de vente est en effet axée sur la perception du supplément qualitatif apporté par nos produits, par rapport aux pneus concurrents et contrefaits

Le temps nous étant compté, je vais moi-même poser une question à Pascal Nègre, qui concerne la pénalisation, sujet qui a été évoqué à plusieurs reprises au cours du débat. Dans quelle mesure jugez-vous cette pénalisation des comportements nécessaire ? Jusqu'où faut-il aller en ce domaine ? Quelle est selon vous la valeur pédagogique des quelques affaires qui ont défrayé la chronique ? Ou bien ces affaires ont-elles un effet négatif sur l'image de l'entreprise ?

Il est vrai qu'un certain nombre d'actions ont été menées, en France comme à l'étranger, non pas contre des personnes qui téléchargeaient de la musique, mais contre celles qui la mettaient à disposition des internautes en violation des droits de propriété intellectuelle. Les décisions obtenues me semblent avoir été raisonnables : il ne s'agissait pas de mettre quelqu'un en prison sous prétexte qu'il aurait diffusé plusieurs milliers de titres. En revanche, le montant relativement important des amendes me semble justifié et nécessaire. De manière plus large, la problématique est en effet celle de la sensibilisation de l'usager. Si l'on prend l'exemple des limitations de vitesse sur route, on s'aperçoit que les automobilistes ont commencé à les respecter lorsque des radars automatiques ont été installés et que les amendes se sont multipliées. Pendant les années précédentes, en revanche, toutes les campagnes de communication étaient restées sans effet, parce qu'elles n'étaient pas accompagnées de ces sanctions nécessaires.

Dans notre domaine aussi, c'est aux pouvoirs publics qu'il revient de lutter, et non aux industriels. Il nous est d'autant plus difficile de mener cette répression de la contrefaçon que cela nous conduit à poursuivre des personnes qui partagent a priori la même passion que nous, celle de la musique. Nous devons trouver un équilibre entre la séduction et la sensibilisation, afin que l'une et l'autre se concilient au mieux. La première doit revenir aux professionnels, la seconde aux pouvoirs publics. C'est à ce résultat que doit amener la loi actuellement débattue au parlement. Il faut dépasser les raisonnements qui prévalent actuellement, comme celui qui peut amener un député à dire : « Mon fils télé-charge illégalement et pourtant ce n'est pas un voyou, la preuve c'est que c'est mon fils ! ». Je comprends cette idée puisque, après tout, le chiffre d'un milliard de téléchargements annuels que j'évoquais précédemment ne correspond finalement qu'à un morceau téléchargé par semaine par chaque internaute, ce qui ne semble pas particulièrement grave. Le problème tient pourtant à la multiplication de ces actes et, donc, à l'aspect global du problème. Là encore, il faut trouver le bon équilibre.

Je pense que cette recherche d'un équilibre constitue une bonne perspective sur laquelle nous pouvons conclure notre débat. Je remercie tous les intervenants et laisse la parole aux prochains invités.

IV. ALLOCUTION DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Madame la ministre, chère Christine Lagarde, Mesdames et Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, chers collègues, Mesdames et Messieurs, et, m'adressant à tous sans aucune formule protocolaire, chers amis.

Au nom du Sénat tout entier, j'adresse tout d'abord à tous mes souhaits de cordiale bienvenue dans cette enceinte, au sein de laquelle nous sommes ravis de vous accueillir. Nous espérons bien sûr que vous conserverez de votre passage dans cette institution un excellent souvenir, ce qui ne saurait bien entendu être considéré comme une offre de candidature ; notre nombre est déjà satisfaisant.

J'ai ouvert lundi après midi la quatrième édition de la Semaine de l'Entrepreneur, à l'occasion des Masters de la création d'entreprise. Après la tenue du forum franco-roumain ce matin, cette après-midi est consacrée aux 7èmes Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise. La préparation des négociations de Hong Kong en 2005, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce - organisation à laquelle, je le rappelle, toutes les sensibilités politiques ont exprimé la nécessité de participer - m'a sensibilisé à la question de la contrefaçon. Les effets désastreux de ce phénomène en France et en Europe, ainsi que mes deux récents voyages officiels en Inde et en Chine, m'ont convaincu de consacrer les 7èmes Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise à ce thème. La disparition de l'accord multifibre, que j'avais personnellement négocié voilà quelques années, avec le concours efficace du ministre des affaires étrangères de l'époque, mon collègue et ami Maurice Schumann, et ses effets induits, notamment dans le département des Vosges, ont conforté ce choix. Ces accords multifibre avaient prévu le maintien de quotas sur les exportations de produits textiles, qui disparaissaient au 1er janvier 2005. Ces dispositions avaient été parfaitement prises en compte par certains producteurs, qui se sont dotés, au cours des années précédentes, des capacités de production nécessaires pour envahir nos marchés. Dès le 2 janvier 2005, l'Europe a donc été « inondée » par ces produits textiles.

Longtemps considérée comme anecdotique et touchant uniquement le luxe, la contrefaçon apparaît aujourd'hui sous une autre nature. Les 103 millions de produits contrefaits et piratés en 2004 représentent une augmentation de 12 % par rapport à 2003 et de 1 000 % par rapport à 1998, ce qui rend incontestable la réalité du problème. Les contrefaçons de pièces détachées pour véhicules, de denrées alimentaires, médicaments, produits cosmétiques, jouets, articles ménagers ne constituent pas seulement un risque pour la santé et la sécurité des consommateurs, mais aussi et surtout un risque et une menace pour nos entreprises. En 2003, le World Economic Forum a estimé à 450 milliards d'euros par an le coût de la contrefaçon. Les fraudeurs sont aujourd'hui en mesure de produire des contrefaçons à une échelle industrielle, ce qui leur permet d'accroître leurs bénéfices et de disposer d'un nouveau mécanisme efficace de blanchiment de l'argent du crime. L'annonce récente, par le commissaire européen László Kovács, de la mise en place d'un plan d'action stratégique à court terme, afin de protéger les citoyens européens contre cette menace est à ce titre particulièrement bienvenue, même si elle est tardive.

La contrefaçon, comme la mondialisation, est aujourd'hui au coeur de tous les débats. Ces phénomènes, dont les prémices remontent à la nuit des temps, focalisent aujourd'hui toutes les attentions, en raison de la globalisation de l'espace économique et financier qui est à l'oeuvre, tout comme des progrès du secteur des transports et de celui des technologies de l'information et de la communication. Il faut également tenir compte des facteurs sociaux, tous les pays du monde étant aujourd'hui engagés dans un conflit économique global, quels que soient leurs systèmes politiques ou administratifs. Tous partagent la même préoccupation : produire, écouler leur production, gagner des marchés, proposer le meilleur prix. Les armes employées dans ce sens sont certes moins meurtrières que celles qui ont été utilisées par nos aînés pour préserver notre liberté et la paix. Pour autant, une défaite n'en serait pas dénuée de conséquences douloureuses.

La première table ronde de l'après-midi a montré à quel point la contrefaçon suscite des comportements et des stratégies souvent contradictoires, donnant lieu à des réactions souvent réductrices. La seconde partie de notre colloque devrait nous donner des pistes d'actions. C'est en effet un trait bien français que d'exceller dans le diagnostic, sans parvenir à toujours faire preuve d'une imagination fertile pour découvrir des solutions. Le Français excelle à distribuer les richesses - celles des autres, bien évidemment. A l'inverse, lorsqu'il s'agit de produire ces richesses, ce qui est pourtant l'essentiel, l'enthousiasme est moins grand. Face au problème de la contrefaçon, il nous faut rassembler nos forces pour envisager une réaction et une riposte. Ces rencontres s'inscrivent résolument dans une démarche concrète et utile pour le monde de l'entreprise.

Pourtant, lorsque j'ai engagé pour la première fois, voilà sept ans, la première initiative du Sénat en direction des entreprises, que n'ai-je pas entendu ! Il est vrai qu'en France, dès qu'on prend une initiative, on dérange. Nos concitoyens sont certes de grands partisans de la réforme sous toutes ses formes, mais cela n'est valable que tant qu'ils ne sont pas touchés personnellement.

J'ai été critiqué lors du lancement de ces rencontres entre le Sénat et les entreprises. Bien sûr, les critiques ne venaient pas de mes collègues sénateurs - qui ont toujours considéré, dans leur grande sagesse, les entrepreneurs comme le ciment de la prospérité de notre nation

- mais d'une multitude d'acteurs politiques et médiatiques. Comment le Sénat de la République pourrait-il ne pas s'intéresser à l'économie de la France ? En 2006, la réalité est venue donner raison au Sénat, confortant le changement des mentalités. Ce qui apparaissait comme un pari risqué est devenu une réalité incontestée. L'entreprise a droit de cité au Sénat et s'impose au coeur même de notre société comme la source essentielle de vrais emplois et de vraies richesses. Il n'y a pas de progrès social sans une économie suffisamment puissante pour le soutenir.

La France est un grand peuple d'entrepreneurs, auxquels nous avons rendu hommage hier, lorsque cinq cents créateurs d'entreprise ont siégé au Sénat et que douze d'entre eux ont pu interroger directement le Gouvernement.

J'adresse mes remerciements les plus chaleureux aux intervenants des deux tables rondes de cette après-midi. Comme vous l'avez compris, les entrepreneurs sont, de mon point de vue, des acteurs importants de notre société. Si le Sénat a pu contribuer modestement à changer l'esprit du temps, il le doit en premier lieu à l'ensemble des sénatrices et des sénateurs. Je remercie donc mes collègues qui, depuis sept ans, ont effectué des stages d'immersion en entreprise afin de mieux comprendre les difficultés, les attentes et les espoirs de tous ceux qui participent à la prospérité de notre nation. Le Sénat français est la seule institution démocratique au monde à faire partir ses élus en stage dans les entreprises, s'ils le désirent bien entendu. Bien connaître la matière sur laquelle on va légiférer permet de bien légiférer, comme le recommandait Jules Ferry, qui estimait que le Sénat devait veiller à ce que la loi soit bien faite. Plus de la moitié des sénateurs, appartenant à toutes les formations politiques, ont accompli de tels stages, avec satisfaction.

Je n'oublie pas que nous avons été aidés dans cette mission par un grand nombre de partenaires, au premier rang desquels figure le Salon des Entrepreneurs. A cet égard, la Semaine de l'Entrepreneur qui se déroule en ce moment même est une oeuvre commune du Sénat de la République et du Salon des Entrepreneurs, lequel ouvrira ses portes demain. Je vous invite à vous y rendre, comme je le ferai moi-même jeudi matin.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention ; je vous souhaite bon courage et surtout des travaux fructueux, car il y va de l'avenir de mon pays. Merci.

V. TABLE RONDE : L'ORGANISATION DE LA RIPOSTE

Participent à la table ronde :

Christine LAGARDE , ministre déléguée au commerce extérieur

François HUREL , président du forum de l'entrepreneuriat de l'OCDE

Alain BAUER , criminologue, président du conseil d'orientation de l'observatoire national de la délinquance

Louis DE GAULLE , avocat

Marc-Antoine JAMET , président de l'union des fabricants, secrétaire général de LVMH

Philippe JEAN-BAPTISTE , vice-président du conseil de surveillance de la mécanique aéronautique pyrénéenne

La table ronde est animée par Sylvain ATTAL, éditeur à Public Sénat, et retransmise en direct sur cette chaîne.

Comme cela a été répété lors de la première table ronde et rappelé par Monsieur Poncelet, la contre-façon est un phénomène vieux comme le monde, mais nouveau par son ampleur et sa diversité. Un aspect de ce problème n'a été que peu abordé précédemment : il s'agit du manque à gagner en recettes fiscales qu'il entraîne pour l'Etat, évalué à environ six milliards d'euros par an ; Aussi Madame Lagarde ne me contredira certainement pas si j'affirme qu'il s'agit là d'une bonne raison pour lutter contre ce problème.

Il ne s'agit pas seulement d'une question de manque à gagner pour l'Etat ; c'est avant tout la défense de l'intérêt général qui est en jeu. Je souhaiterais tout d'abord remercier le président Poncelet pour le grand intérêt que la Haute Assemblée porte aux entreprises. Je participais ce matin à l'ouverture du colloque franco-roumain, et je dois avouer qu'il est réconfortant de voir les sénateurs aussi fortement engagés dans une démarche de soutien à l'entrepreneuriat.

Concernant la contrefaçon en elle-même,il me semble nécessaire de faire trois remarques.Tout d'abord, et c'est l'enseignement principal que j'ai tiré des quelques jours que j'ai passés à Davos pour défendre l'attractivité de la France, il est évident que dans le grand jeu économique mondial, rien ne nous sauvera, si ce n'est l'innovation et le « branding », pour utiliser une expression anglo-saxonne. Sans ces deux éléments, nous ne pourrons tirer notre épingle du jeu en utilisant de manière intelligente nos avantages par rapport aux autres grands acteurs du marché mondial.

Ensuite, je suis convaincue qu'à la globalisation de la menace doit répondre une mondialisation de la défense. Dans ce contexte, en ma qualité de membre du Gouvernement et en coopération avec mes collègues de l'industrie et du budget, nous avons un rôle à jouer pour engager une véritable coordination régionale avec nos collègues européens, afin de bâtir des défenses communes. Le soutien à la directive européenne, qui associe des sanctions pénales aux infractions commises dans le domaine de la propriété intellectuelle, est une première étape indispensable dans cette voie. Au-delà, c'est toute une série de démarches bilatérales qui doivent être mises en oeuvre. Je m'y consacre avec application, tout comme mes collègues du Gouvernement. Il peut s'agir ainsi de lutter, avec mon homologue belge, contre le rôle de plaque tournante du port d'Anvers ou de se rendre en Turquie, comme je le ferai au mois de juin pour évoquer ces questions de contrefaçon au plus haut niveau. Ces démarches concernent bien entendu aussi la Chine, où je me suis rendue à quatre reprises au cours de six derniers mois, évoquant à chaque fois ces questions de propriété intellectuelle. J'ai également rappelé aux autorités chinoises la nécessité absolue de renforcer encore leurs efforts dans ce domaine, en particulier pour faire appliquer sur le terrain la réglementation destinée à lutter contre la contrefaçon.

Enfin, il faut rappeler que la contrefaçon et la protection sont inséparables. Je n'oublierai ainsi jamais l'expérience que j'ai vécue lors d'un voyage à Shanghai avec certaines entreprises françaises.

A cette occasion, j'avais été consternée d'apprendre que ces entreprises n'avaient pas songé à protéger leur marque ou leurs procédés inventifs en les déposant en Chine. Il ne faut donc pas crier haro sur la contrefaçon, même si ce fléau appelle une lutte de tous les instants. Il faut aussi s'armer et se protéger, chaque fois que cela est possible.

Un phénomène a été abordé brièvement lors du débat précédent, qui me semble essentiel. Monsieur Jamet, quelle analyse faites-vous du rôle joué par le développement d'internet dans la contrefaçon ?

Depuis l'Antiquité, l'économie dite « grise » a toujours suivi les chemins empruntés par l'économie transparente. Il n'est donc pas étonnant que le développement du commerce en ligne s'accompagne d'un essor de la distribution de contrefaçons par ce canal. Le contrefacteur utilise aujourd'hui les moyens modernes de l'économie, des moyens de production intensifs, fait passer ses produits par des « villes-monde » comme Dubaï, où se trouvait récemment Madame la ministre, Singapour et Hong Kong. Il utilise également les mêmes compagnies d'armateurs pour le transport maritime, et des moyens de distribution modernes pour atteindre le client final. Lorsqu'il le peut, il utilise enfin le « trio infernal » de l'économie virtuelle d'aujourd'hui : le transport express, le paiement par carte bancaire et l'enregistrement sur internet. Or ce schéma, tout le monde l'aura reconnu, c'est celui des ventes aux enchères sur internet, qui est véritablement criminel pour les fabricants, parce que ces sites cachent en fait des ventes déguisées de contrefaçons. En 2005, nous avons ainsi repéré 150 000 référencements de contrefaçons sur ebay. De son domicile, le consommateur a ainsi accès à un nombre faramineux de faux médicaments, de copies de produits de luxe et de produits plus ou moins sensibles.

Face à cette évolution, nous devons inventer de nouveaux moyens de lutte, qui sont en fin de compte très simples. Nous demandons ainsi depuis longtemps aux sites de ventes aux enchères de bannir les vendeurs de contrefaçons en les identifiant à partir de leurs coordonnées bancaires. Surtout, nous souhaitons les amener à faire eux-mêmes « la police » sur leurs sites, plutôt qu'ils attendent que nous leurs signalions les infractions, comme c'est le cas actuellement. De même, les transporteurs express pourraient refuser les paquets expédiés par des personnes déjà identifiées comme des contre-facteurs. Cela allègerait considérablement le travail de la douane qui, chaque nuit, ouvre plusieurs milliers de colis pour vérifier leur contenu. De plus, concernant les cartes bancaires, nous avons adressé de longue date une demande au gouvernement, consistant à pouvoir utiliser les moyens de Tracfin, organisme destiné à repérer les mouvements de blanchiment d'argent, pour identifier les distributeurs qui commercialisent des contrefaçons. Enfin, nous souhaiterions que la charge de la preuve soit renversée dans les affaires de ce type, pour peser sur les intermédiaires repérés, plutôt que sur les fabricants.

Il me semble que s'ils étaient représentés ici, les sites de ventes aux enchères sur internet vous objecteraient que tout cela ne les concerne pas. Ils soutiendraient qu'il ne leur revient pas de faire ce travail. Peut-être iraient-ils même à sous-entendre que tout le référencement et la vente de produits contrefaits participent à leur chiffre d'affaires. On touche là l'un des paradoxes de la contrefaçon, qui fait qu'une économie criminelle est aussi pour certains une économie légale.

Je pense que le vol virtuel de la pomme à l'étalage numérique est équivalent au vol d'une pomme réelle à l'étalage d'un marché. A ce titre, je me félicite d'un progrès considérable qui se décline actuellement à travers le monde sous la forme du programme « landlord ». Cette procédure consiste, lorsqu'on ne peut atteindre le contrefacteur lui-même, à condamner le propriétaire du marché sur lequel les produits sont commercialisés. Une décision en ce sens du 20 décembre 2005 a ainsi permis de fermer le « marché de la soie » à Pékin. Une condamnation a également été prononcée le 25 janvier 2006 par le tribunal de New York, à l'encontre de la propriétaire de locaux dans Chinatown, où étaient commercialisées des contrefaçons. Or ces propriétaires gagnaient eux aussi de l'argent grâce à la vente de contrefaçons dans leurs locaux. Ce qui est possible dans l'économie matérielle doit donc pouvoir également s'appliquer à l'économie virtuelle.

N'y a-t-il pourtant pas une différence entre le vol sur internet et le vol physique ? Pascal Nègre affirmait tout à l'heure qu'il n'était pas question d'emprisonner une personne qui avait téléchargé 10 000 ou 15 000 morceaux de musique. Cependant, il est évident que si cette personne volait un millier de disques dans un magasin, elle serait interpellée. N'y a-t-il donc pas ici une contradiction, et si oui, comment la résoudre ?

Le problème est avant tout d'ordre moral et personnel. Comme cela a été annoncé, une grande campagne d'information télévisée sera lancée dans quelques semaines, qui permettra de sensibiliser le consommateur sur ce sujet. Une des questions que doit se poser celui-ci est la suivante : est-ce que, au prétexte que cela ne concerne qu'un tout petit nombre d'objets, je suis heureux de concourir à ce que des enfants travaillent dans des conditions innommables ? Puis-je accepter que l'argent que je débourse soit réinvesti dans la production et la vente de faux médicaments, dont 10 % d'entre eux pourront entraîner la mort des patients qu'ils sont censés soigner en Afrique ? Il s'agit donc bel et bien d'un problème éthique que doit se poser le consommateur, en mettant en balance l'emploi, la croissance, les entreprises et les cotisations sociales dans son pays. Souhaite-t-il également maintenir en état de sous-développement des pays entiers, qui souffrent d'être condamnés à produire ces contrefaçons ? Enfin, il faut rappeler qu'en termes de diversité culturelle, les premières victimes sont les cultures des pays du Sud.

Tournons-nous à présent vers Alain Bauer pour éclaircir la question de la collusion entre contrefaçon et grand banditisme. Comment différencier ce qui peut relever de la « débrouillardise » et ce qui ressort de la criminalité organisée ?

Je pense qu'une certaine confusion règne en la matière, entre la fraude et la contrefaçon d'une part, et entre la contrefaçon et la délocalisation d'autre part. Or ce type d'amalgames favorise rarement la compréhension d'une situation complexe. C'est le rôle des criminologues que de comprendre les criminels, même s'ils ne peuvent apporter qu'une visibilité relative sur une science par nature inexacte. Entre fraude et contrefaçon, il faut donc distinguer deux niveaux. Au départ, la fraude et la contrefaçon sont des industries de monoproduction, des entreprises comme les autres, qui fonctionnent selon les règles du marché et nécessitent une accumulation de capital, des investissements, etc. La gestion de la concurrence y est, certes, parfois plus définitive dans ses méthodes que dans l'économie officielle, mais elle répond à la même logique.

Le problème tient à ce que, dans un premier temps, le monoproduit criminel était soit une contrefaçon identitaire, soit de la fausse monnaie. Ces produits ne servaient alors qu'à une seule activité, ne s'exportaient pas, et ne se vendaient qu'à une clientèle par nature restreinte. Par la suite, l'économie criminelle a considéré qu'un certain nombre d'éléments de fraude pouvaient être destinés à deux types de population :

- les touristes du Nord, à qui il s'agissait d'offrir les mêmes produits que ceux que pouvaient acheter leurs concitoyens plus fortunés (essentiellement des produits de luxe) ;

- une partie de la population du Sud, dont les comportements de consommation se calquent sur ceux des premiers.

Enfin, la troisième phase de cette évolution est intervenue lorsqu'une partie des habitants des pays où sont produites les contrefaçons sont devenus suffisamment fortunés pour acheter les produits originaux et réaliser de tels achats afin d'afficher leur richesse. Ainsi, le moment où la Chine changera définitivement son attitude par rapport à la contrefaçon coïncidera avec celui où elle commencera à avoir suffisamment de marques nationales pour devoir les défendre efficacement. S'il est légitime de lutter contre la contrefaçon, il faut aussi bien comprendre les spécificités de ce phénomène complexe. Si la marque est victime de la contrefaçon, le marché lui-même ne l'est pas, puisque le marché couvert par la contrefaçon n'aurait pas existé pour le seul produit original, trop cher. La nécessaire criminalisation du phénomène du point de vue des marques qu'il faut défendre pose un problème pratique quant à l'identification des victimes.

Alain Bauer semble nous dire que la contrefaçon est un moyen, quasiment nécessaire, pour les pays du Sud de se développer. J'aimerais avoir l'avis de François Hurel sur cette question.

Cela peut être une façon de voir les choses, mais ce n'est pas du tout sous cet angle-là que l'OCDE approche le problème. Nous nous attachons tout d'abord au caractère international de la contrefaçon, qui nécessite une collaboration effective entre les différents pays. Une première série de travaux a ainsi visé à analyser le phénomène pour identifier les meilleures politiques à mettre en oeuvre dans chacun des pays concernés. La seconde question consiste à savoir dans quelle mesure la contrefaçon est une source d'emploi et de richesse pour un certain nombre de pays. En la matière, l'OCDE consacre ses efforts au développement d'un entrepreneuriat de qualité, qui viendra se substituer à la production de contrefaçons. Ma conviction est en effet qu'on ne luttera jamais efficacement contre ce fléau si on ne donne pas à ces pays les moyens de remplacer ces productions par d'autres, cette fois légales.

Parmi ces pays avec lesquels travaille l'OCDE, et au-delà de « l'épouvantail » chinois, figurent des états contrefacteurs qui sont soit de nouveaux membres de l'Union européenne, comme la Pologne, soit frappent à sa porte, comme la Turquie. Que faire face à cette situation ?

S'il est un point sur lequel nous insistons avec vigueur, c'est sur le fait que la dénonciation légitime de la contrefaçon ne doit pas remettre en cause la mondialisation et la participation des pays du Sud au commerce mondial. Nos efforts concernent donc tous les pays touchés, quelle que soit leur situation politique.

Est-il alors possible d'établir un parallèle avec la lutte contre le terrorisme qui, cela est fréquemment rappelé, ne doit pas nous amener à changer notre mode de vie et à nous replier sur nous-mêmes ?

Là encore, il faut distinguer les problèmes que nous rencontrons. On constate, d'une part, un élargissement géographique de la vente de contrefaçons, qui sont exportées et plus seulement mises à disposition des touristes et des nationaux et, d'autre part, un élargissement de l'éventail des produits contrefaits, au-delà des produits de luxe. C'est ce second élargissement qui fait peser des risques sur la santé du consommateur qui achète de produits contrefaits. Il peut s'agir notamment des médicaments ou de pièces détachées d'avions civils. Dans ces cas-là, on bascule sans aucun doute dans la criminalité pure, car chacun des acteurs est conscient du danger extrêmement grave que ces contrefaçons peuvent faire courir au consommateur.

Si ces phases sont assez bien identifiées, il existe en revanche une difficulté quant à la lisibilité de l'action gouvernementale, notamment à propos des moyens mis en oeuvre. Je prendrai pour exemple la nouvelle phase de criminalisation de la fraude qui, il faut le rappeler, n'est pas de la contrefaçon. Il s'agit concrètement du téléchargement illégal, qui commence à représenter des sommes similaires à celles en jeu dans la contrefaçon physique. Le débat qui a eu lieu récemment à l'Assemblée nationale sur ce sujet est, en lui-même, une illustration parfaite de la confusion absolue et des paradoxes qui conduisent à une absence totale de lisibilité de l'objectif des pouvoirs publics. La proposition d'une licence globale représente une autorisation de frauder offerte en contrepartie du paiement d'une somme modique. Il ne s'agit pas d'un impôt, mais plutôt d'une dérogation à l'impôt ; la logique est la même que celle des permis de polluer instaurés dans le cadre du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Qui plus est, le montant de ce « permis de frauder » a été fixé uniquement sur la base de sondages d'opinion.

Nous en revenons toujours au problème de l'alternative. Si la réponse au téléchargement illégal ne peut se trouver ni dans la licence globale, ni dans la répression des utilisateurs, comment lutter contre ce problème ?

Certains pays ont fait des choix en la matière, en reconnaissant que l'élément majeur du marché est le client. Dès lors, il est illogique de considérer que la sanction ne doit pas être la même, sous prétexte que le bien volé est dématérialisé. De surcroît, en bout de chaîne, c'est le crime organisé qui récupère l'essentiel des profits générés par ces trafics, y compris au travers du téléchargement illégal. Les organisations criminelles se sont en effet adaptées, non pas pour remplacer les crimes d'antan par de nouveaux, mais pour mener de front ces activités. L'argent de la contrefaçon est ainsi réinvesti dans des activités beaucoup plus criminelles, comme la traite d'êtres humains ou le trafic de drogue.

La complexité du phénomène et de ses enjeux a été parfaitement présentée par Alain Bauer, qui a même évoqué le cas spécifique des pièces détachées pour l'aviation. Sur ce sujet, je me tourne à présent vers le représentant de cette industrie, Philippe Jean-Baptiste.

En 2005, 1 500 personnes sont mortes dans des accidents d'avion, soit le double des années précédentes. La situation est donc aujourd'hui d'une ironie cruelle, puisqu'elle peut être résumée de la sorte : des populations qui vont se fournir en produits contrefaits sont transportées dans des avions qui sont eux-mêmes partiellement contrefaits ! On considère à l'heure actuelle que 2 à 4 % des 26 millions de pièces détachées utilisées dans le monde sont des contrefaçons.

Dans ce secteur restreint, il faut également distinguer plusieurs phases dans la contrefaçon. Il existe tout d'abord une forme de brigandage, qui voit des pays « exotiques » vendre à des brokers des contrefaçons de pièces, lesquelles sont par la suite intégrées au circuit officiel, ces brokers (situés pour 80 % d'entre eux aux Etats-Unis) revendant ces pièces à des sociétés de maintenance dans le monde entier. Des pièces contrefaites arrivent donc dans ces « stations-service », accompagnés de certificats quasi authentiques. Celles-ci les intègrent ensuite aux avions qui leur sont confiés pour maintenance en ignorant la plupart du temps leur nature contrefaite. Certains pilotes ont dénoncé ces dysfonctionnements, se plaignant de ne pouvoir connaître le véritable niveau de sécurité des appareils sur lesquels ils volent. Le principal problème, dans ce contexte, est celui du sous-effectif chronique des autorités de l'aviation civile qui les empêche d'enquêter efficacement sur ces trafics. Ceci alors même, et c'est peut-être le plus inquiétant, que le marché est émergent à l'heure actuelle, et donc appelé à se développer à l'avenir.

Est-ce lié au fait que l'on se trouve dans un secteur où les entreprises cherchent en permanence à réduire les coûts ? Plus précisément, peut-on établir un lien entre le développement des compagnies low-cost et celui de la contrefaçon ?

Avec le développement des compagnies low-cost, les gens trouvent aujourd'hui normal de ne payer qu'un euro leur billet d'avion (en dehors des taxes aéroportuaires). La qualité générale du service offert par les compagnies d'aviation s'en ressent forcément. Pour autant, aucune compagnie low-cost ne va sciemment utiliser des pièces contrefaites, car cela reviendrait à saboter son propre commerce si un tel comportement était révélé. En revanche, par leur recherche d'économies maximales, ces compagnies peuvent entrer en contact avec des prestataires de service moins fiables, qui peuvent eux-mêmes utiliser des contrefaçons. Ce risque est d'autant plus grand que, pour la plupart des pièces contrefaites, les constructeurs eux-mêmes sont quasiment incapables de distinguer, parmi les débris d'un appareil qui s'est écrasé, leurs produits des copies.

Je tiens à réagir à certains des propos qui ont été tenus par les intervenants précédents. En effet, à cinq reprises au moins, ceux-ci m'ont en effet semblé erronés. Auparavant, je tiens à rappeler l'importance pour l'économie française de l'industrie du luxe, qui souffre, elle aussi, de la contrefaçon. Ainsi, le produit des exportations françaises de parfums et cosmétiques représente l'équivalent de 50 % des sommes dépensées pour l'achat de pétrole, ce qui n'est pas négligeable. De plus, les entreprises du luxe emploient leurs salariés et paient leurs cotisations sociales en France. Enfin, il existe aussi une dimension citoyenne indéniable de ces entreprises implantées depuis longtemps sur le territoire.

Concernant les erreurs que j'ai relevées, la première est relative au poncif selon lequel la contrefaçon représenterait un moyen pour certaines personnes d'accéder à des produits qu'elles ne pourraient pas acheter autrement. Or lorsque nous effectuons des contrôles à la frontière italienne par exemple, les personnes arrêtées sont le plus souvent très riches. Elles se livrent à des achats de contrefaçons pour le simple plaisir du jeu. De même, les personnes qui se rendent en Chine et y achètent des contrefaçons ont du s'acquitter du prix de leur billet d'avion qui, malgré la démocratisation de ce mode de transport, représente encore une somme non négligeable.

Deuxièmement, il a été soutenu que la production de contrefaçon constituait une étape incontournable dans le développement économique de certains pays. Par mes fonctions, je suis fréquemment amené à me rendre dans ces pays, où l'on me tient un discours exactement inverse. Les industriels me demandent tous de les aider dans la lutte contre la contrefaçon au niveau international.

Troisième erreur, celle qui consiste à dire que la contrefaçon est la contrepartie de la délocalisation. En effet, de nombreuses entreprises qui ne produisent pas en Chine sont tout de même contrefaites dans ce pays.

Quatrième problème, celui des saisies et de la signification de ces statistiques. En effet, les objectifs annoncés pour cette année seront très certainement tenus. Cependant, ce n'est pas en soi suffisant. Je crains malheureusement que la hausse de la température ne signifie pas une meilleure lutte contre la maladie, mais une aggravation de l'état du malade.

Enfin, l'idée qu'un faux sac de luxe ne tue pas n'est vraie que dans une mesure très restreinte. Cette contrefaçon ne tue certainement pas autant qu'une ailette thermique de turboréacteur, mais la dangerosité est tout de même avérée, comme en témoigne le fait que le Congrès des Etats-Unis ait, dans une loi actuellement en cours de discussion, affirmé que l'argent de la contrefaçon venait systématiquement renforcer une contrefaçon beaucoup plus dangereuse.

Alain Bauer, cette relation entre le financement de la contrefaçon et celui d'autres activités criminelles s'étend-elle jusqu'au terrorisme islamiste ?

Les vendeurs de sacs contrefaits, à commencer par ceux qui exercent sur la 5 e Avenue à New York appartiennent presque toujours à l'une des deux grandes confréries africaines connues, lesquelles ont des stratégies de conquête du marché parfaitement élaborées, incluant des accords de répartition des tâches avec les organisations criminelles internationales. Des choix de protection sont également faits par les dirigeants de ces deux confréries, qui pourraient s'impliquer dans n'importe quel type de trafic, tant l'hybridation est la caractéristique moderne des organisations illégales. Nous sommes passés d'une stratégie d'entreprise spécialisée à une logique de conglomérat. Pour certaines organisations, la gamme des activités s'étend effectivement jusqu'au financement du terrorisme. Il est intéressant d'examiner la façon dont les choses ont évolué pour en arriver à la situation actuelle. En effet, l'économie criminelle est aujourd'hui la plus globalisée du monde et rien ne ressemble plus à un entrepreneur qu'un criminel qui a compris les lois du marché. Ceci tient au fait que ces lois économiques « démocratiques » sont extrêmement perméables à la pénétration de l'argent issu d'activités criminelles.

La gestion de la marque n'est, elle, pas encore devenue une préoccupation pour les organisations criminelles, et reste une problématique propre aux entreprises. La question se pose du lien entre la contrefaçon et cette gestion de la marque, qui a pu se traduire par l'exigence d'une rente de propriété excessive. Ce problème ne se pose-t-il pas avec une acuité plus grande qu'ailleurs dans le domaine du logiciel, où il s'ajoute à celui de l'immatérialité de la valeur ?

L'informatique présente des caractéristiques particulières, similaires à celle de l'industrie de la musique, quant à sa sensibilité à la contrefaçon. Dématérialisation du support et immatérialité de la valeur sont des problèmes d'une importance capitale dans les deux cas. Dans l'informatique, le taux de contrefaçon est extrêmement élevé, mais ce secteur a ceci de particulier que les plus grands contrefacteurs y sont les entreprises, volontairement pour une part d'entre elles et par ignorance, manque de temps ou manque de moyens pour les autres. Comme pour la musique, un nouveau problème est apparu avec le développement de l'internet haut débit, celui de l'échange universel gratuit. Cette possibilité technique remet en question les fondements de la propriété industrielle et amène certaines associations de consommateurs à demander la suppression pure et simple du droit de propriété intellectuelle. Enfin, l'industrie informatique fait face à une donnée spécifique, qui renforce la dévalorisation de la propriété intellectuelle : l'essor des logiciels libres. Ceux-ci reportent la valeur non plus sur ce qui a fait l'objet de la création, mais sur le service fourni en accompagnement du produit.

De la confrontation de ces problèmes divers, spécifiques à l'industrie informatique, émerge l'idée générale d'une nécessaire revalorisation de la propriété intellectuelle. Cette revalorisation devrait, à mon sens, passer par un rappel essentiel : la propriété intellectuelle sert aussi à protéger le consommateur. En matière d'informatique, ce constat est notamment vrai pour les entreprises « consommatrices » de logiciels. Celles-ci doivent avoir la certitude qu'elle pourront utiliser dans la durée, sans risque d'être attaquées, les technologies logicielles, justement parce que celles-ci sont protégées par la propriété intellectuelle.

Malheureusement, chacun sait que la propriété intellectuelle peut aussi être utilisée comme un moyen de verrouiller un marché contre la concurrence, comme l'a clairement montré le procès Microsoft. On se trouve confronté ici à une autre ambiguïté du sujet.

C'est exact, mais cette réalité ne doit pas servir d'argument pour une dévalorisation systématique de la propriété intellectuelle, d'autant plus que la législation communautaire de la concurrence réprime sévèrement ces utilisations abusives de ces droits. Ce qu'il faut combattre, ce sont les pratiques qui banalisent une prétendue gratuité des biens échangés.

Le fait que le piratage sur internet ait eu pour conséquence une baisse du prix de la musique n'accrédite-t-il pas dans une certaine mesure l'idée d'une exploitation abusive des rentes de propriété ?

Il me semble important de souligner que cette baisse du prix s'accompagne d'une diminution de la diversité de l'offre culturelle, qui devrait aller en s'aggravant. Le prix à payer est toujours justifié par une diversité de facteurs, et non par la seule exagération de la marge du fabricant. De plus, la contrefaçon dévalorise également des produits sur lesquels cette marge est extrêmement réduite. Ainsi, si les constructeurs automobiles s'abstiennent soigneusement de communiquer sur la contrefaçon, c'est pour ne pas susciter un doute sur la qualité de leurs produits, qui aurait des effets désastreux sur leur image de marque et sur leurs ventes. J'insiste enfin sur l'appauvrissement intellectuel, culturel et économique engendré par la contrefaçon. Le contrefacteur n'est en effet jamais un innovateur. Par définition, il se porte toujours vers le produit qui existe déjà, qui est déjà un succès et qui a la diffusion la plus large.

Peut-on dire que le problème est devenu d'autant plus grave aujourd'hui que la qualité des contrefaçons s'est améliorée ?

Je ne pense pas qu'on puisse dire que la qualité de la contrefaçon s'est améliorée, puisque cela ne serait pas logique pour les contrefacteurs, qui n'ont aucun intérêt à proposer un produit de qualité. Le principe de base de la contrefaçon est d'économiser partout ou cela est possible (sur la qualité des matériaux, sur l'emballage, sur le mode d'emploi, etc.). De ce fait, il n'y a jamais réellement de gain pour l'acheteur de contrefaçons. En effet, non seulement la qualité du produit sera toujours largement inférieure à celle de l'original, mais le contrefacteur s'efforcera toujours de vendre son produit à un prix aussi proche que possible de celui de l'original. Plutôt que d'un gain, c'est donc toujours d'une double perte qu'il s'agit pour le consommateur, et même d'une triple perte si l'on prend en considération la dangerosité du produit contrefait.

Ne pensez-vous pas que le consommateur a appris à faire le tri entre les produits pour lesquels il peut se permettre ce risque de perte et les produits de plus grande qualité pour lesquels il préfèrera les garanties apportées par l'original ?

Il est très difficile de se mettre à la place du consommateur. Il est tout aussi délicat de promouvoir une lutte contre la vie « pas chère » : le réflexe « naturel » du consommateur est en effet d'aller vers le moins cher.

Ceci étant dit, le vrai problème est de trouver une méthode efficace pour lutter contre la contrefaçon, au-delà, à la place ou en complément de la répression. La nature et l'intensité de cette répression doivent être déterminées. Pour moi, cette méthode doit prendre la forme d'une véritable coopération internationale. Celle-ci ne pourra être effective que si les pays qui « bénéficient » de la production de contrefaçons peuvent bénéficier de contreparties économiques suffisantes.

L'industrie informatique mène depuis longtemps déjà une lutte sévère contre la contrefaçon et l'expérience qu'elle est accumulée est riche d'enseignements. La mise en oeuvre de cette répression passe évidemment par la mobilisation de la force publique. Or il est assez facile d'obtenir cette mobilisation des pouvoirs publics lorsqu'il s'agit de lutter contre les pirates « industriels » et lorsque des intérêts économiques important sont en jeu. En revanche, il est beaucoup plus difficile de parvenir à la même mobilisation pour lutter contre la fraude individuelle des particuliers. Il est vrai qu'étant donnée l'ampleur du phénomène, cette lutte demande des moyens très importants et l'on pense souvent que la valeur d'un logiciel ne justifie pas leur engagement. Pourtant, on se rend compte qu'en tolérant trop largement ces comportements, ceux-ci ont fait école et sont devenus un véritable phénomène social.

Ce risque de banalisation semble fort heureusement écarté dans le domaine de la contrefaçon aéronautique.Y a-t-il pour autant suffisamment de contrôles et les sanctions sont-elles suffisamment dissuasives ?

Concernant les contrôles, il faut d'abord rappeler que tous les contrats conclus par les deux principaux constructeurs aéronautiques avec les grands pays en développement prévoient aujourd'hui l'installation de chaînes de montage dans ces pays, ce qui augmente de façon significative le risque de contrefaçon puisque cela conduit à mettre quasiment les produits à la disposition des contrefacteurs. Le contrôle est également rendu plus difficile dans la mesure où seules les entreprises qui fabriquent les pièces sont certifiées (et non les produits eux-mêmes). Rien n'empêche donc un producteur qui a obtenu la certification d'une autorité de l'aviation civile de produire et de mettre en vente des contrefaçons présentées comme des produits certifiés.

Avant de donner la parole à Madame la ministre pour qu'elle conclut cette après-midi, nous allons terminer cette table ronde en répondant à quelques questions du public.

En tant que conseil en propriété industrielle, je pense que la question de la contrefaçon a été particulièrement bien présentée dans toute sa complexité lors des débats de cette après-midi. Il a notamment été rappelé la nécessité d'une protection contre les atteintes aux droits de propriété industrielle, qui est notoirement insuffisante en France. Si les marques sont relativement bien défendues, il en va différemment de la technologie, puisque seulement 13 000 brevets sont déposés chaque année dans notre pays. En Allemagne, ce chiffre est de 50 000. On recense 180 000 dépôts dans toute l'Europe, alors que les Etats-Unis sont titulaires d'environ 50 % des brevets mondiaux. De plus, lorsque des brevets sont déposés, leur portée géographique n'est pas assez étendue. Ainsi, de très nombreuses entreprises déposent des brevets qui ne sont valables qu'en France ou en Europe, et non dans les pays où sont réalisées les contrefaçons. Je pense donc qu'avec l'aide du Gouvernement, les entreprises doivent fournir un effort beaucoup plus important pour protéger leurs droits. En dehors de quelques grandes sociétés, la plupart des entreprises ne prévoient en effet aucun budget pour cette protection, alors que le dépôt de brevet coûte moins cher en France que partout ailleurs. Il s'agit réellement d'une question de stratégie industrielle, dont la défense de la propriété intellectuelle doit être un élément essentiel.

Merci pour cette intervention enrichissante ; nous allons prendre encore quelques questions avant de conclure.

Ma question est très simple ; elle pourrait même sembler naïve : le livre de poche est-il une contrefaçon ? Il existe en effet deux moyens de se procurer un livre : l'acheter très cher au moment de sa sortie avec une couverture luxueuse et un papier de qualité ou bien, pour celui qui souhaite uniquement accéder au contenu, attendre sa sortie en format de poche, pour un prix bien inférieur. Il en va de même avec l'alternative offerte depuis des années entre écouter de la musique à la radio (et éventuellement l'enregistrer) et acheter un disque.

Le problème n'est pas celui de la variabilité du prix en fonction de la qualité du support, mais celui d'avoir, par le biais d'internet, un accès illimité et gratuit (ou forfaitaire) à la production musicale, cinématographique et logicielle.

Les produits contrefaits sont achetés par des personnes qui auraient les moyens financiers nécessaires pour s'offrir le produit original. Dans ces conditions, comment les marques de luxes peuvent-elles faire en sorte que leurs produits restent suffisamment attirants pour justifier leur achat ?

Il faut d'abord commencer par rappeler les sanctions qu'encourent ceux qui se livrent à ce type d'achat, puisque cela n'a pas encore été fait. La contrefaçon est doublement punie. Si les douaniers constatent à l'aéroport qu'un voyageur rapporte une contrefaçon, ils doivent exiger de sa part le paiement du double du prix du produit authentique, auquel viennent s'ajouter une amende qui peut aller jusqu'à 300 000 euros, voire une peine de prison de trois ans pour la simple détention de cette contrefaçon. Je rappelle également que la contrefaçon est un délit permanent, pour lequel il n'y a pas de seuil de valeur ou de nombre de produits, pas plus que de durée d'utilisation. Enfin, en cas de récidive ou de criminalité en bande organisée, les peines sont portées à 500 000 euros d'amende et cinq ans de prison. J'en viens à présent au coeur de votre question, qui est : « Comment conserver le rêve ? ». La réponse est bien évidemment difficile, puisque le « rêve » est une alchimie subtile et un mélange de nombreux facteurs, qui ne peut se perpétuer qu'en continuant à fabriquer ces produits comme ils le sont actuellement. L'emballage et l'image de marque ne sont que le reflet et l'accompagnement de cette qualité de fabrication. C'est pourquoi les contrefacteurs ne pourront jamais les reproduire.

Je me permettrai de rappeler une boutade avant de poser ma question : la contrefaçon peut être un argument publicitaire. Je pense que nombre des personnes ici présentes ont en mémoire le slogan d'une grande marque d'alcool : « souvent imitée, jamais égalée ». Au-delà de cette anecdote, ma question porte sur l'irréalisme dont me paraissent être victimes ceux qui espèrent l'application de la loi en matière de contrefaçon. L'écart actuel entre les sanctions prévues et celles qui sont appliquées en pratique me semble en effet tel qu'il est illusoire d'espérer une mise en oeuvre pleine et entière de cette loi et, donc, une lutte efficace contre la contrefaçon.

Il est vrai que lorsque l'on demande devant le juge pénal une condamnation pour contrefaçon de marque ou de logiciel, le procureur préfère souvent classer sans suite, en prétextant qu'il s'agit d'une affaire de concurrence déloyale, entre commerçants. Utiliser la procédure de citation directe se révèle extrêmement risquée puisque, sans instruction préliminaire, le dossier est souvent assez léger. Enfin, les plaintes en constitutions de partie civile ne permettent pas d'obtenir un droit de regard sur l'évolution du dossier, ce qui conduit le plus souvent à ce que cette plainte ne soit en fait pas traitée. Il existe donc un décalage entre les textes, très répressifs, et la pratique des juges, qui y sont très peu réceptifs. Une circulaire ministérielle a, certes, été publiée l'an dernier, et une coopération efficace avec les services de police et de justice reste effectivement possible sur certains dossiers. Il n'en demeure pas moins que la défense en justice de la propriété intellectuelle est une entreprise difficile. Qui plus est, s'il est difficile de conduire le juge à prononcer des peines d'amende et d'emprisonnement, il a longtemps été presque impossible d'obtenir le versement de dommages-intérêts, notamment au pénal. Toutefois, les choses évoluent petit à petit dans ce domaine, grâce à la formation progressive d'une jurisprudence en ce sens.

La constitution d'un pôle spécialisé, avec des juges formés aux problèmes spécifiques de la contrefaçon, qui est en train d'émerger, est à ce titre une évolution absolument nécessaire.

Etant pris par le temps, je vous propose que nous en restions là afin de laisser la parole à Madame Lagarde qui va conclure cette après-midi de débats.

VI. ALLOCUTION DE CLÔTURE : CHRISTINE LAGARDE, MINISTRE DÉLÉGUÉE AU COMMERCE EXTÉRIEUR

Je me propose de faire, avec beaucoup d'humilité, compte tenu de la qualité des intervenants, un récapitulatif des enseignements de l'après-midi. Au préalable, je tiens à remercier à nouveau le président Poncelet et le Sénat dans son ensemble d'organiser ce type de rencontres extrêmement enrichissantes, aussi bien pour les participants que, je l'espère, pour les membres de l'auditoire.

Je commencerai donc par rappeler cinq points. Puis, je rappellerai les orientations de la politique gouvernementale, afin de répondre aux critiques qui ont été émises sur son manque de lisibilité.

Il existe un accord unanime pour considérer que la contrefaçon est un phénomène mondialisé et de plus en plus dématérialisé. L'opinion selon laquelle la Chine est aujourd'hui de très loin le premier pays producteur de contrefaçons me semble tout aussi largement partagée. Il est d'ailleurs frappant de constater, dans ce pays comme ailleurs, la capacité et la rapidité d'adaptation des contrefacteurs aux évolutions technologiques, à celles du marché, et aux techniques de protection mises en oeuvre par les propriétaires de marques et de brevets.Témoin de cette rapidité, le raccourcissement continu du délai qui sépare le dépôt d'un brevet de la mise sur le marché d'une contrefaçon du produit protégé. Cette rapidité d'adaptation témoigne à l'évidence de l'existence, au niveau international, de réseaux criminels spécialisés dans la contrefaçon. Parallèlement, force est de constater que les efforts quotidiens de nos entreprises pour concevoir des dispositifs permettant de sécuriser la création et d'entraver la réalisation de copies s'avèrent insuffisants pour limiter l'expansion du phénomène de la contrefaçon. Les contrefacteurs s'efforcent en effet en permanence de tromper les consommateurs et de copier aussi bien que possible les moindres détails (emballages, étiquetages, etc.).

Deuxième point d'accord notable, celui de l'étendue des produits touchés par la contrefaçon. Tous les types de produits sont en effet victimes de ce problème, qu'ils soient lourds ou légers, volatiles ou non, corporels ou incorporels, etc. Une nouvelle contrefaçon est très clairement en train d'envahir de façon préoccupante nos marchés : elle touche les produits immatériels musicaux ou audiovisuels. Il s'agit là aussi d'un véritable fléau, d'ailleurs probable-ment beaucoup plus difficile à appréhender compte tenu de sa nature et de la diffusion de ces produits sur internet. Il apparaît que les systèmes de vente aux enchères qui s'y sont développés offrent un abri aux contrefacteurs de toute sorte, ce qui justifie qu'on leur applique la théorie du « landlord » qui se développe actuellement à travers le monde.

Par ailleurs, la contrefaçon est un phénomène non seulement économique, mais aussi sanitaire. C'est, avec la question des conséquences de la contrefaçon, le troisième point qu'il me semble important de relever. Je voudrais en effet rappeler que, dans le domaine pharmaceutique, nous nous trouvons, en particulier vis-à-vis des pays les plus pauvres, dans une situation sanitaire extrêmement grave. Ainsi, au Cameroun ou au Nigeria, 80 % des médicaments en circulation actuellement sont des produits contrefaisants, dont certains ont des effets véritablement nocifs relativement aux maladies qu'ils sont réputés soigner.

Pour ce qui concerne le volume de la contrefaçon, il varie selon que l'on s'attache aux chiffres de l'Union des fabricants ou à ceux avancés par d'autres organisations. De toute façon, établir des chiffres sur l'économie souterraine est toujours un exercice particulièrement difficile. Le flux de la contrefaçon représente toutefois une part importante du commerce international (entre 7 % et 10 % probablement). Son impact sur l'emploi peut être estimé à 30 000 postes pour la France ou 200 000 pour toute l'Europe. Au-delà de l'emploi, ce sont la vie, la sécurité et la santé des consommateurs qui sont mises en jeu par la contrefaçon. Enfin, il faut ajouter les difficultés liées aux investissements que les sociétés se trouvent forcées d'engager pour lutter contre la contrefaçon et qu'elles ne peuvent donc consacrer à des dépenses plus utiles.

Le quatrième point à rappeler concerne les liens indéniables entre la contrefaçon et le grand banditisme. Les mécanismes par lesquels l'argent du crime et celui de la contrefaçon se trouvent amalgamés, substitués et réutilisés ont été exposés ici de la manière la plus convaincante qui soit.

Enfin, je souhaitais rappeler la nécessité d'une action énergique, mais aussi concertée entre tous les acteurs. Celle-ci doit comprendre de toute évidence une part de prévention et une autre de répression. Cette riposte doit être organisée autant que possible au niveau régional et mondial. A ce titre, la France se réjouit de l'intérêt que suscitent les négociations en cours à l'OMC sur les questions de protection de la propriété intellectuelle.

Permettez-moi à présent d'indiquer brièvement les trois axes autour desquels le Gouvernement organise la riposte à ce phénomène. A titre préliminaire, je considère tout à fait injuste l'affirmation selon laquelle la politique gouvernementale ne serait pas lisible dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la contrefaçon audiovisuelle par le biais du peer-to-peer. La France dispose en effet aujourd'hui d'un arsenal juridique qui est l'un des plus développés et les plus répressifs en Europe, ce qui témoigne de la lucidité des autorités dans leur approche du problème. L'objectif poursuivi est tout aussi clair : il s'agit de protéger les auteurs et les inventeurs et de leur garantir le droit à une rétribution juste de leur travail, tout en permettant la diffusion la plus large possible de la culture par les moyens technologiques les plus modernes.

Le premier axe de la politique gouvernementale a donc trait à la protection de la propriété industrielle. Par conséquent, nous encourageons une démarche volontariste de la part des entreprises, en particulier de celles d'entre elles qui fondent leur avantage concurrentiel sur l'innovation ou sur la marque et la notoriété. Comme cela a été rappelé, 13 000 brevets sont déposés chaque année en France, dont seulement 5 000 sont des brevets internationaux, tandis que 200 000 de ces brevets internationaux sont déposés dans le même temps aux Etats-Unis. Un certain nombre d'experts de grande qualité sont au service des entreprises pour les aider dans cette démarche de protection. A l'étranger, la France dispose, dans nombre de ses missions économiques, de spécialistes économiques et juridiques à même d'apporter le soutien nécessaire aux entreprises exportatrices. Une démarche est actuellement en cours pour renforcer ce réseau d'experts, à laquelle j'entends apporter tout mon soutien dans les mois à venir.

La sensibilisation des consommateurs est au coeur du deuxième grand axe de la politique gouvernementale. Les Français doivent en effet savoir qu'en achetant des produits contrefaits, ils ne lèsent pas seulement des pans entiers de notre économie, mais mettent également en danger leur santé, celle de leurs proches, de leurs concitoyens, et des citoyens du monde, et se rendent ainsi complices de criminels internationaux. Cette prise de conscience est aujourd'hui très clairement insuffisante, comme en témoignent toutes les enquêtes réalisées sur le sujet. Ainsi, en 2005, 51 % des Français déclaraient ne pas être dissuadés d'acheter des produits contrefaits. La sensibilisation doit donc être renforcée, et c'est le sens des campagnes de communication menées dans les aéroports à l'occasion des périodes de départ en vacances. Ce travail sera complété par une campagne audiovisuelle qui sera lancée très prochainement. Les Français doivent en effet comprendre qu'en achetant des produits contrefaits, c'est de manière directe ou indirecte à eux-mêmes qu'ils nuisent.

Enfin, le dernier volet de la politique gouvernementale s'attache à la sanction des contrefacteurs. A la suite du plan d'action du 2 juin 2004, lequel a considérablement renforcé les pouvoirs des douanes, la politique du Gouvernement en la matière est et restera de sanctionner les consommateurs et les contrefacteurs, avec justice et sévérité. Notre arsenal législatif est l'un des plus répressifs des pays d'Europe et le Gouvernement soutient activement le projet de directive communautaire visant à pénaliser les infractions et les délits relatifs à la contrefaçon. Cette politique de répression doit également être mise en oeuvre dans les pays de production et de transit des contrefaçons. A cet égard, j'ai grande confiance en l'efficacité des négociations bilatérales que j'ai commencé à entreprendre, en liaison avec François Loos et Jean-François Copé, avec nos homologues dans différents pays.

Je profite de l'occasion pour revenir sur le risque de confusion entre contrefaçon, délocalisation et mondialisation, qui aboutirait à accentuer une tentation naturelle à la frilosité et au repli sur soi. Une telle conception revient à développer un imaginaire dans lequel l'étranger incarnerait la menace absolue pour nos économies. Je crois au contraire que la protection de la propriété intellectuelle est une des armes indispensables pour maîtriser la mondialisation, qui doit profiter à tous. Ce combat contre la contrefaçon est indispensable à la marche de l'homme vers le progrès et l'innovation, et par-là même, à une mondialisation raisonnée.

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