CLÔTURE DES TRAVAUX
Gérard
LARCHER,
président du Sénat
Monsieur le premier président,
Monsieur le premier avocat général,
Monsieur le doyen,
Mes chers collègues,
Mesdames et messieurs,
Je suis particulièrement heureux, en un temps où l'on tente souvent d'opposer politiques et magistrats, de cette célébration conjointe, à votre initiative monsieur le premier président de la Cour de cassation, du dernier des grands codes napoléoniens, par nos deux Institutions, dont l'une vote les lois et l'autre les applique.
La codification de la législation pénale, sous l'impulsion de Napoléon I er , a permis de fixer les règles de droit pénal en conservant l'essentiel des principes proclamés sous la Révolution : légalité des délits et des peines, non rétroactivité des lois, égalité devant la loi, proportionnalité des peines à la gravité des infractions. Principes fondateurs et pérennes que notre époque a vu réaffirmés et enrichis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Mais je ne voudrais pas conclure ce colloque en laissant croire qu'il ne fut qu'un instant de mémoire, alors qu'il a été, comme en ont témoigné les débats de cette seconde journée, un temps de réflexion, riche du regard croisé de sénateurs, de magistrats, d'avocats, d'universitaires, sur les questions pénales contemporaines et le sens de la peine. Ce regard croisé était non seulement important mais fondamental, car le droit pénal, reflet d'une société donnée et instrument de régulation sociale, est en constante et indispensable évolution.
Le Sénat, particulièrement attaché à son rôle de protection des droits et libertés et soucieux de la sécurité des Français, se doit d'accompagner et de participer à cette évolution. Les travaux parlementaires illustrent ainsi la volonté des sénateurs d'adapter le code pénal à notre société et aux exigences de notre temps, comme cela a été le cas avec le nouveau code pénal, adopté en juillet 1992 et entré en vigueur le 1 er mars 1994. Il y a une constance, une sédimentation positive des travaux de la commission des lois à ce sujet. Ainsi, sous la III e République, le sénateur René Béranger, qui s'était attaché à prévenir la récidive, fit voter, dans les années 1885-1891, les textes instituant la libération conditionnelle et le sursis à exécution de la peine.
Mais accompagner les évolutions de la société ne veut pas dire céder à la législation d'impulsion. Dans un domaine propice à l'émotion, perçu le plus souvent à travers le prisme déformant des médias, où le sensationnel le dispute à la réflexion de fond, il convenait de pouvoir réfléchir sans passion et au-delà des clivages qui traversent notre société, au sens de la peine au XXI e siècle, à nos valeurs républicaines et au devenir de notre société.
De même, faut-il également se garder de la tentation d'une « pénalisation » excessive des rapports sociaux. En effet et d'abord, le « tout pénal » et le « trop pénal » portent atteinte aux principes de légalité criminelle. En ce qu'elles sont limitatives de liberté, les incriminations et les sanctions doivent, comme l'affirmaient déjà les philosophes des Lumières et les hommes de la Révolution, strictement respecter un principe de nécessité et de proportionnalité.
Ensuite, le foisonnement législatif et la complexité rendent la loi obscure et de plus en plus malaisée à connaître et à faire respecter. Notre responsabilité, en tant que parlementaire, est de faire en sorte que nos concitoyens comprennent l'acte de justice, alors qu'il leur paraît de plus en plus étranger. Comment ne pas considérer que la loi en est dévaluée ?
Enfin, dans une société à certains égards très individualiste où chacun souhaite traîner son adversaire devant le juge -si possible pénal-, n'est-il pas préférable de recourir, pour le règlement de petits litiges nés d'infractions pénales, à des mécanismes de conciliation, ou de médiation-réparation d'ailleurs encouragés par notre actuel code de procédure pénale ?
Au moment où la société porte une attention toujours plus vive à sa justice pénale, où le justiciable peut désormais poser des questions prioritaires de constitutionnalité, le Sénat s'est voulu, à l'occasion de cette commémoration, passeur d'idée, avec vous, monsieur le premier président, pour ce pan essentiel de notre législation, qui doit en permanence allier le souci de garantir l'ordre public et le souci du respect des libertés fondamentales.
La présence d'un large public, d'élus, de praticiens du droit, d'universitaires et d'étudiants au cours de ces deux journées montre combien ce débat de tous les citoyens est chaque jour plus nécessaire. C'est pourquoi, je vous remercie, monsieur le premier président, de l'avoir suscité.
Je voudrais adresser un dernier remerciement au doyen André Decocq auquel nous devons la très belle exposition que vous avez vue. Permettez-moi d'ailleurs de vous lire deux des citations qu'il a souhaité mettre en exergue de cette exposition. La première est de Louis XVI, le 1 er mai 1788, lors de la déclaration relative à l'abolition de la torture : « La législation de notre royaume sollicite particulièrement notre vigilance. Nos lois criminelles surtout, cette portion si importante de l'ordre public, méritent d'autant plus de fixer notre attention qu'elles intéressent à la fois notre humanité et notre justice » . La seconde est de Treilhard, l'un des rédacteurs du code pénal, lors de la séance inaugurale du 1 er février 1810 des débats du Corps législatif sur le projet de loi relatif au code des délits et des peines : « Que manque-t-il encore à notre législation ? Un code pénal qui inflige au coupable la peine qu'il a encourue : une peine juste, proportionnée au crime ; car la société doit la justice même à ceux qui se déclarent ses ennemis et la justice exclut également l'excès d'indulgence et l'excès de sévérité ».
Les chambres hautes, dont le mode électoral n'est pas lié aux pulsions de l'instant, ont une tradition de responsabilité particulière en matière de protection des libertés publiques, des libertés individuelles et des victimes. En tant que président du Sénat mon rôle est d'en assurer la pérennité et la force.