Assises de la subsidiarité
Palais du Luxembourg, 24 octobre 2008
M. Francesco MERLONI, Président du groupe d'experts indépendant sur la Charte de l'autonomie locale du Conseil de l'Europe
La protection juridique de la subsidiarité en Europe
1. Les deux «subsidiarités»
Dans l'expérience juridique européenne le principe de subsidiarité a acquis au moins deux significations importantes:
a) La subsidiarité come critère d'action ("la subsidiarité UE")
Dans les Traités de l'Union Européenne le principe de subsidiarité (et de proportionnalité) c'est un critère sur l'exercice des compétences de l'Union dans les domaines divers des compétences exclusives. Le principe autorise l'Union européenne, aux conditions prévues par les Traités, d'exercer certaines activités de compétence ordinaire des États membres, utiles pour les objectifs de l'Union, sans modifier d'une manière stable la répartition des compétences.
b) La subsidiarité come critère de répartition des compétences
Dans beaucoup de pays européens le principe est adopté afin de réglementer les processus de répartition des compétences entre niveaux d'administration. Il peur s'agir d'un critère imposé par la Constitution ou par la loi, qui engage les lois successives qui attribuent compétences administratives (et ressources financières) aux divers sujet publics, en partant du bas, du niveau d'administration plus proche du citoyen.
En termes plus généraux le principe de subsidiarité s'inscrit dans un mouvement visé a simplifier l'administration pour rendre son action plus efficace et plus soumise au contrôle des citoyens, même si la plus large décentralisation des compétences qui en résulte peut rendre plus complexe l'application des politiques publiques.
Du point de vue d'expérience communautaire le thème qui s'impose est celui de la "gouvernance": la mise en place des instruments de pleine et loyale coopération entre niveaux d'administration.
Mais il n'y a pas de coopération sans une claire répartition des compétences administratives.
Le principe de subsidiarité come instrument fort de clarification dans la répartition des compétences en renforçant le processus de consolidation de la démocratie (en valorisant les autonomies locales).
2. La subsidiarité UE
La «subsidiarité UE» est un instrument de garantie de la plénitude des compétences des États membres (et des collectivités territoriales internes aux États) et de protection contre toute action excessive de l'Union, dans les matières de compétence concurrente de l'Union: «Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire» (art. 3B des Traités).
En vertu de la réserve aux États de l'organisation administrative interne, la subsidiarité UE ne peut pas devenir un principe applicable à l'intérieur des États membres. Elle s'applique seulement entre niveau national (d'Etat membre, qui comprend tout les niveaux internes d'administration) et niveau communautaire.
La protection juridictionnelle de ce principe est confiée à la Cour de Justice de l'Union Européenne sur recours des États, des institutions (y compris, importante nouveauté insérée dans le traité de Lisbonne, le Comité des régions). Les collectivités territoriales internes aux États n'ont pas ce droit de recours.
3. La subsidiarité come principe sur la répartition des compétences
Le principe de subsidiarité sur la répartition des compétences (subsidiarité «verticale»), introduit dans l'ordonnancement de chaque pays européens, impose aux sujets titulaires des pouvoir des répartition des compétences de procéder à cette répartition en évaluant la meilleure distribution et en partant du niveau plus bas (plus proche aux citoyens) vers le haut.
Il s'agit d'un critère différent de la simple réserve de loi (ordinaire, constitutionnelle ou renforcée) pour exercer les pouvoirs de répartir les compétences.
Il s'agit, encore, d'un critère différent des garanties de participation reconnues aux collectivités territoriales (et à leur associations) dans les processus (législatif) de décision.
Il s'agit d'un critère positif: on impose une procédure d'action sur le plan juridique et logique: le compétences d'intérêt local doivent rester à niveau local. Seules les compétences concernant intérêts unitaires de plus haut niveau peuvent être attribuées aux autorités supérieures.
4. La diffusion du principe de subsidiarité (comme critère de répartition des compétences) dans les États membres de l'Union
Le principe peut être adopté:
a) par une loi constitutionnelle (c'est, assez récemment, le cas de l'Italie: voir l'art. 118 Cost, comme modifiée par la loi constitutionnelle n. 3 de l'an 2001; c'est aussi le cas de la France: voir la modification de la Constitution du 2003) ou par une loi renforcée (en Espagne, les Statuts des Comunidades autónomas ont le rang de loi supérieure à la loi ordinaire: voir le récent Statut de la Catalogne, qui adopte le principe de subsidiarité à l'art. 84,3)
b) par une loi ordinaire: nationale (en Italie la loi n. 59 du 1997, adoptée avant le réforme constitutionnelle du 2001) ou régionale (dans le sens plus large, qui comprends toutes les institutions de niveau intermédiaire entre Etat et collectivités locales, comme les Länder allemands).
Dans le premier cas le principe peut avoir un effet contraignant sur le législateur ordinaire.
Dans le deuxième l'effet contraignant est douteux quant-aux lois ordinaires nationales successives, plus probable sur la législation régionale.
Le principe peut être adopté:
- de manière explicite (en l'appelant «subsidiarité»: Italie et Espagne);
- de manière implicite (en imposant l'attribution des compétences en partant du bas vers le haut, comme en France ou en Allemagne).
5. Les garanties juridictionnelles du principe de subsidiarité
Plusieurs difficultés s'opposent à la reconnaissance de droits de recours juridictionnels pour la tutelle du principe de subsidiarité:
A) la tradition, qui préfère configurer les garanties des collectivités locales relativement à l'attribution de compétences comme garanties de caractère «politique»;
B) la relative indétermination du contenu du principe: quand une compétence relève clairement, par rapport à son contenu objectif, d'un niveau d'administration? Reste toujours plus facile vérifier le respect des règles procédurales. La subsidiarité comme droit plutôt négatif.
C) la résistance à représenter un véritable «droit» à l'autonomie locale (et aux compétences nécessaires). La répartition des compétences est l'effet d'une évaluation d'un intérêt général, du système administratif, plutôt que d'une reconnaissance de droit (à l'attribution). Difficulté à reconnaître la subsidiarité comme droit positif.
Les systèmes juridiques des différents pays de l'Europe prévoient différents droits de recours:
a) d'un coté on a des recours directs des collectivités locales aux Tribunaux constitutionnels (pour l'annulation des dispositions des lois sur la répartition des compétences (Bulgarie, Espagne, Autriche, Allemagne; en Italie seulement les Régions ont un droit de recours direct contre la loi de l'Etat);
b) de l'autre coté on a des recours indirects aux tribunaux ordinaires (civils ou administratifs) pour soulever la question de constitutionnalité de lois, nationales ou régionales (plusieurs pays, Italie et Espagne)
C'est encore hors question, partout, le droit de recours direct aux tribunaux ordinaires pour la non application, dans le cas concret, d'une loi adopté en violation du principe de subsidiarité. Il s'agit d'un pouvoir prévu dans le système juridique de l'Union européenne, reconnu aux juges en cas de contraste entre une loi nationale et une disposition communautaire. Mais qui ne s'applique pas aux cas de contraste, interne, entre attribution de compétences par la loi ordinaire et le principe de subsidiarité.
6. Divergences des expériences et nécessité d'une application large et homogène du principe
Les expériences des divers pays sont encore très hétérogènes et initiales, ce qui empêche l'application diffuse et large du principe à l'intérieur de chaque pays de l'Union européenne.
La "subsidiarité UE" peut aider, dans le sens que l'UE donne le bon exemple, en appliquant de manière rigoureuse le principe pour ce qui concerne les relations UE-États membres, mais reste toujours dans la limite du respect plein de la souveraineté des États membres, il ne pénètre pas à l'intérieur de chaque pays membre.
Plus utile un instrument international, visé à promouvoir la progressive adoption du principe par les États. A ce propos très utile et intéressante s'avère l'expérience de la Charte européenne de l'autonomie locale du Conseil de l'Europe.
7. La Charte européenne de l'autonomie locale
La Charte est une véritable convention internationale contraignante, signée et ratifiée par la large majorité des pays membre du Conseil de l'Europe (42 sur 46). Chaque Etat s'engage à respecter les dispositions de la Charte.
Il ne s'agit pas d'un simple protocole annexé à la Charte européenne des droits de l'homme (on aurait pu étendre la notion de droit fondamental: la démocratie locale comme droit fondamental du citoyen).
Il ne s'agit pas d'une simple résolution ou déclaration.
Il ne s'agit pas d'un simple standard international adopté pour promouvoir l'autonomie locale.
La Charte a une valeur juridique assurée, qui est la valeur des traités internationaux fondé sur des engagements mutuels entre États.
C'est une valeur moins contraignante par rapport aux Traités sur l'Union Européenne (qui ont donné lieu à un véritable système supranational qui souvent s'applique directement dans chaque Etat membre, sans nécessité d'accueillir formellement les dispositions communautaires dans le droit interne). Ce sont les États qui ont accepté ces conséquences en signant les Traités européens.
La Charte n'est pas accompagné par la création d'une Court internationale, composée par des juges indépendants par rapport aux pays signataires (comme dans le cas des droits de l'homme) et dotée de pouvoirs directs, comme le pouvoir de faire prévaloir le droit international sur le droit interne, ou de sanctionner directement les États.
L'application de la Charte est pourtant largement remise aux États mêmes, qui s'engagent à (et pourtant ont l'obligation de droit international de) réviser, le cas échéant, leur discipline juridique (constitutionnelle où législative) interne pour l'adapter aux principes de la Charte.
Néanmoins la Charte ne reste pas un document sans suivi. Comme on verra dans la suite, le Conseil de l'Europe organise un large système de contrôle sur l'application de la Charte par les pays signataires.
8. La Charte européenne de l'autonomie locale et la protection du principe de subsidiarité
La Charte adopte (sans l'appeler explicitement) le principe come principe général: «l'exercice des responsabilités publique, doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tache et des exigences d'efficacité et d'économie» (art. 4, paragraphe 3).
La Charte engage les États à reconnaître «un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacré dans la Constitution ou la législation interne» (art.11).
De cette manière la Charte cherche, par voie indirecte (l'engagement à introduire le principe et à reconnaître un droit de recours), à imposer le respecte des principes d'autonomie, parmi lesquels, central, le principe de subsidiarité.
Les engagements des pays qui signent et ratifient la Charte sont soumis à un contrôle de caractère plutôt politique. C'est surtout à travers des rapports de monitoring du Congrès (les plus importantes sont les rapports élaborés à la suite des visites, pays par pays) que le Conseil de l'Europe vérifie le degré de respect des dispositions de la Charte dans le système juridique de chaque pays.
Les rapports se traduisent en recommandations et résolutions, d'abord du Congrès et ensuite de l'organe qui exprime la volonté du Conseil de l'Europe, le Comité des Ministres. Un jugement négatif sur la situation du pays mis sous contrôle peut faciliter le processus d'application des principes de la Charte, en donnant une forte voix aux collectivités locales et régionales (et à ses associations représentatives) auprès de l'opinion publique du pays concerné.
Cette situation est en train d'une évolution positive, dans le sens du renforcement du contrôle du Conseil de l'Europe.
D'un coté on cherche à rendre les rapports de monitoring techniquement plus solides. De là la constitution du Groupe d'experts indépendants du Congrès, que j'ai l'honneur de présider. De cette manière les rapports de monitoring son de plus en plus fondé sur une évaluation de caractère juridique. Cela ne transforme pas le contrôle du Congrès dans la création d'une instante juridictionnelle (comme la Cour européenne des droits de l'homme), mais augmente le poids du Conseil de l'Europe dans la mise en place des principes de l'autonomie locale.
De l'autre coté, plus récemment, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a élaboré et proposé au Comité des Ministres un protocole additionnel , visant à mettre à jour certaines dispositions de la Charte pour les rendre plus efficaces.
Sur le point qui nous intéresse, la protection juridique de la subsidiarité, le projet de protocole additionnel reconnait directement un droit des collectivités locales «à un recours juridictionnel afin d'assurer le respect des dispositions relatives à l'autonomie locales figurant dans la Charte et dans le présent Protocole" (Art. 14). Si le protocole est adopté et transposé dans les ordonnancements des pays signataires et ratifiant, la Charte (et son principe de subsidiarité) deviendra droit directement applicable dans les pays de l'Europe. Il s'agit d'une promotion plus directe et efficace du principe.
9. La transposition de la Charte et les instruments de contrôle sur son application dans les pays de l'Europe
La Charte reste une convention internationale engageant les États qui la signent et la ratifient
On est en train de lancer, dans les mois qui viennent, une large discussion sur la possibilité de la transposer d'une manière plus forte dans les ordonnancements des pays qui la signent et la ratifient.
La Charte pourrait devenir une directe source de droit, directement applicable par les législateurs, les administrations publiques, les tribunaux. Quelque chose de pareil à la valeur juridique des sources du droit de l'Union européenne.
10. L'adhésion de l'Union européenne à la Charte européenne de l'autonomie locale
Le Congrès a récemment proposé au Comité des ministres du Conseil de l'Europe un Protocole d'amendement visant à permettre l'adhésion directe de l'Union européenne, en tant que personne juridique autonome de droit international, à la Charte.
Si approuvé, signé et ratifié par les pays du Conseil de l'Europe un tel protocole signalerait l'ouverture de la Charte, en tant que convention internationale, à la signature d'un sujet de droit international comme l'Union.
Je connais les difficultés juridiques qui semblent s'opposer à une adhésion de l'Union à la Charte, parmi lesquelles la nécessité (ici rappelée par le juge Lenaerts) d'une préalable et explicite autorisation dans les Traités de l'Union (comme dans le cas de l'adhésion à la Charte européenne des droits de l'homme). Mais il faut considérer cette situation comme en train de rapide évolution, dans la mesure où l'Union va acquérir une propre personnalité de droit international et où elle pourra prendre de façon autonome décisions de ce genre.
La valeur d'une telle adhésion serait de très grande importance, tant sur le plan politique, comme adoption des principes de l'autonomie locale comme principes fondant de l'Union, que sur le plan juridique, comme directe engagement de l'Union à respecter les principes d'autonomie (dont le principe de subsidiarité se pose en première ligne) de la Charte dans son propre ordonnancement juridique.
M. Denis BADRÉ
Merci Monsieur Merloni. Je pense que la salle a bien entendu votre appel à faire travailler en synergie le Comité des régions et le Congrès. Il n'y a plus qu'à le faire. Nous arrivons au terme de cette série d'interventions, impressionnante par leur nombre et par leur qualité.
Merci à tous.