Mercredi 22 mai 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 35.

Rapport de la Cour des comptes sur la politique de périnatalité - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous entendons cet après-midi Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la politique de périnatalité, publié il y a deux semaines.

Nos auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque, notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité et l'obésité. Ces indicateurs marquent des différences territoriales parfois importantes, vous nous préciserez quelle analyse vous en faites.

Cependant, et nous avons régulièrement l'occasion de le souligner, l'analyse précise de ces indicateurs se heurte manifestement à l'impossibilité actuelle de croiser les données pertinentes en vue de constituer un véritable registre des naissances, sujet abordé au cours de pratiquement toutes nos auditions. La Cour a, je crois, fait un diagnostic analogue, que vous nous présenterez ; nous suivrons avec attention vos recommandations sur ce plan.

Plus généralement, nous voulons aujourd'hui échanger avec vous sur la prise en charge des mères et des nouveau-nés, ainsi que sur l'organisation territoriale de l'offre de soins et des parcours de suivi qui peuvent être construits au niveau local.

La Cour des comptes a une expertise ancienne sur ce sujet, puisqu'avant le rapport publié ce mois-ci, elle avait produit une enquête sur les maternités en décembre 2014 pour la commission des affaires sociales du Sénat. Vous nous direz dans quelle mesure les recommandations formulées par la Cour voilà dix ans ont été suivies ou non.

Surtout, la Cour constate cette année, sur la politique globale de périnatalité, que « malgré les moyens importants consacrés à cette politique, 9,3 milliards d'euros, la situation apparaît globalement insatisfaisante ».

Cet état n'est pas tenable, alors qu'un débat est également ouvert sur la restructuration de l'offre de soins.

Il nous paraît donc aujourd'hui indispensable de bénéficier de l'éclairage de la Cour sur ce débat animé par une tension particulièrement importante entre les enjeux de proximité et de sécurité de soins. Vous le savez, cette mission a aussi été constituée en réaction au rapport de l'Académie nationale de médecine, qui préconise une rationalisation du nombre de structures de type 1 au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2.

L'offre de soins actuelle représente-t-elle parfois un risque pour les mères et leurs enfants ? La fragilité de certaines structures au regard de la capacité à assurer des équipes fixes et stables est-elle selon vous le signe d'un « pourrissement », comme le qualifiait le professeur Yves Ville, et donc l'amorce de fermetures qui ne sont pas assumées, mais lentement rendues inévitables ?

Si vous semblez partager le constat d'une raréfaction préoccupante de la ressource médicale et paramédicale en maternités, vous n'en tirez pas explicitement la conclusion d'une restructuration inévitable, comme a pu le faire l'Académie : vous nous expliquerez pourquoi. Des regroupements ou des réorganisations sont-ils envisagés, notamment en anticipation de la révision des décrets de périnatalité ?

Surtout, vous faites un constat plus qu'alarmiste et titrez votre rapport Des résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier, quand l'an dernier, l'Académie appelait à une réforme d'urgence. La mobilisation et la réforme vous semblent-elles engagées ?

Nous avons également constaté une forte disparité entre les régions concernant les modalités d'organisation des réseaux de périnatalité ou la mise en place de processus innovants dans le suivi et la prise en charge des parturientes et de leurs bébés.

Par ailleurs, je note que la Cour s'est intéressée à certaines particularités ultramarines dans l'analyse de cette politique. Cet éclairage territorial est particulièrement utile pour notre sujet.

Enfin, je constate que votre rapport aborde relativement peu la question du financement. Cependant, cette question est déterminante et la sixième chambre a, l'an passé, consacré un rapport à l'évolution de la tarification à l'activité (T2A). Notre rapporteure pourra également vous interroger à titre prospectif sur la réforme du financement des activités de gynécologie, d'obstétrique, de néonatologie et de prévention ou encore sur les hôtels hospitaliers.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Merci pour votre invitation à venir présenter ce rapport qui est une évaluation de politique publique. Nous avons pour le réaliser établi des partenariats académiques, notamment avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Nous avons également travaillé avec les data scientists de la Cour, spécialisés dans l'analyse complexe de bases de données et leur mise en relation.

Les travaux ont été présentés tout au long de l'instruction à un comité d'experts de dix-neuf membres représentant toutes les parties prenantes. Le docteur Mathieu Levaillant a également accompagné notre équipe, placée sous la houlette de François de la Guéronnière ; Robin Gonalons, présent aujourd'hui, en était l'un des rapporteurs.

Notre rapport se distingue par cet accompagnement scientifique solide et étroit avec notamment l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (ÉPOPé) de l'Inserm et l'université Paris Cité. Elle a été particulièrement précieuse pour réaliser certaines analyses, ainsi que pour en garantir la rigueur sur le plan médical et épidémiologique.

L'instruction repose sur l'exploitation des principales bases de données nationales disponibles, mais aussi sur des données internationales et des analyses approfondies des données hospitalières comme celles relatives à la médecine de ville.

Les enquêtes épidémiologiques principales, à l'instar de l'enquête nationale périnatale (ENP), l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) ou les données de l'observatoire des morts inattendues du nourrisson (OMIN) ont été bien sûr exploitées.

Élément distinctif d'une évaluation de politique publique, l'instruction du rapport a été guidée par des questions que nous nous sommes posées et auxquelles l'équipe de rapporteurs a cherché à répondre. Les facteurs explicatifs des résultats sanitaires médiocres de la France en matière de santé périnatale sont-ils bien identifiés ? L'organisation de l'offre de soins, notamment les maternités, permet-elle de répondre aux enjeux ? Les mesures de prévention actuelles permettent-elles de réduire les risques pour les mères et les enfants ? Enfin, l'accompagnement des parents avant et après la naissance est-il suffisant et adapté ?

Ce sont les indicateurs alarmants en matière de périnatalité qui nous ont amenés à conduire cette enquête. La France est en très mauvaise position par rapport aux autres pays d'Europe et la situation se dégrade encore ; nous voulions comprendre ces mauvais résultats. Le rapport sur la santé des enfants, que la Cour a publié en décembre 2021, qui était une communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, comportait un volet spécifique sur la périnatalité ; nous avions alors été convaincus qu'il fallait creuser cette question.

Après ce cadrage général, j'en viens à la présentation du premier chapitre du rapport qui porte sur les indicateurs dégradés de la santé périnatale en France.

La prévalence des risques, généralement admis comme ayant une incidence sur la santé périnatale de la mère et de l'enfant, se situe à des niveaux élevés, parfois en progression. Surpoids, obésité maternelle, tabac, alcool, drogue, grossesses tardives sont autant de facteurs de risque en matière de santé périnatale. Ceux-ci sont majorés par les inégalités sociales et territoriales, surtout en outre-mer. Les principaux indicateurs de santé périnatale mettent en évidence la situation durablement médiocre de la France.

Dans ce contexte, le dispositif de surveillance et d'analyse épidémiologiques est insuffisant. Une centralisation des données est désormais nécessaire, d'où notre première recommandation : enrichir le système national des données de santé avec les bases de données manquantes, notamment les bulletins de l'état civil et les certificats de santé de l'enfant, de façon à aboutir à un registre unique des naissances - la France est le seul pays d'Europe à ne pas s'être mis en règle vis-à-vis de cette préconisation.

Le deuxième chapitre du rapport examine l'offre de soins périnatals, qui apparaît inadaptée aux enjeux actuels de la périnatalité et peu efficiente : elle ne répond pas aux exigences de sécurité optimale.

Elle repose sur des bases réglementaires - des décrets de 1998 - qui ne sont plus adaptées aux enjeux actuels. L'évolution de cette offre de soins apparaît insuffisamment pilotée, tant du point de vue de la démographie des professionnels de santé concernés que de la cartographie des maternités. La persistance préoccupante de structures qui dérogent aux exigences minimales d'activité prévues par le cadre réglementaire de trois cents accouchements annuels en est l'illustration. Les difficultés croissantes des maternités assurant moins de mille accouchements annuels pour attirer et conserver du personnel médical qualifié plaident par ailleurs pour une analyse au cas par cas des conditions d'exercice de leurs missions.

Dans un autre rapport, nous nous sommes intéressés à l'intérim médical et aux contrats courts dans les établissements hospitaliers. Le même constat se retrouve dans les maternités : plus les établissements sont de petite taille, plus le recours à l'intérim et aux contrats courts est important, jusqu'à atteindre un tiers du personnel dans certains établissements. Cela emporte des conséquences sur l'organisation de l'offre de soins et des services, sur la capacité à assumer des gardes, sur l'implication des personnes et in fine sur la qualité et la sécurité des soins.

La Cour a relevé qu'un consensus scientifique et médical se dégageait en faveur de structures de taille plus importante : c'est le modèle retenu par certains pays européens, ainsi que par l'Académie nationale de médecine qui plaide en faveur du rehaussement du seuil minimal d'activité à mille accouchements annuels.

Nous n'allons pas aussi loin, puisque nous proposons d'examiner les solutions au cas par cas. La Cour ne propose pas de seuils minimaux d'activité et ne désigne pas de maternités qu'il conviendrait de fermer. Nous avons toutefois établi la liste des établissements se situant en dessous du seuil de trois cents accouchements.

Nous invitons les pouvoirs publics à engager sans délai une réelle planification de l'offre de soins et à assurer une revue régulière des maternités les plus fragiles. La Cour propose que cette revue porte notamment sur les maternités réalisant moins de mille accouchements par an et qu'elle soit réalisée au moins annuellement, afin de vérifier que ces maternités présentent toutes les conditions nécessaires pour assurer une prise en charge sécurisée, qualitative et continue.

Pour les maternités qui ne répondraient pas à ces critères, les pouvoirs publics doivent interroger la transformation de ces structures en centres périnatals de proximité (CPP), qui sanctuarisent le suivi de la femme sur place au cours de sa grossesse et après la naissance. En revanche, l'accouchement lui-même intervient dans une maternité partenaire, sécurisée et de taille suffisante. Ces évolutions doivent intervenir dans le cadre d'une réflexion territoriale incluant l'ensemble des acteurs, afin d'éviter toute rupture brutale des prises en charge.

Le rôle des services de protection maternelle et infantile (PMI) dans la détection et la prise en charge périnatale des personnes particulièrement vulnérables reste insuffisant du fait de fragilités structurelles qui tardent à être traitées. En définitive, depuis 2016, l'organisation des soins n'a pas suffisamment évolué dans un sens qui favoriserait l'amélioration de la sécurité et de la qualité des prises en charge périnatales.

J'en viens au dernier chapitre de notre rapport. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant, récemment instaurée, porte une ambition renouvelée en matière de périnatalité, mais cette politique publique a un champ d'action trop limité selon nous. Il faut ici souligner une situation paradoxale : alors que les résultats observés sur le plan sanitaire restent défavorables et que la natalité recule, les dépenses augmentent pour atteindre 9,3 milliards d'euros. Cette évolution pose la question de l'efficience de la politique périnatale. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant est plus orientée vers la prévention, en particulier la prévention des risques psychiques et de développement, et la lutte contre les inégalités sociales et de santé, moins vers les enjeux de qualité et de sécurité des soins périnatals. Par ailleurs, l'application de la stratégie en outre-mer suit étroitement celle mise en oeuvre dans l'Hexagone sans s'adapter aux caractéristiques spécifiques de ces territoires.

Nombre de mesures de prévention et de recommandations sanitaires, pour certaines promues de longue date, restent insuffisamment mises en oeuvre et ne permettent pas de toucher les publics pourtant les plus à risque, comme les femmes en situation précaire ou les femmes cumulant certaines pathologies.

Enfin, un renforcement, une mise en cohérence et une plus grande intelligibilité des dispositifs de soutien à la parentalité pourraient être utiles, de même qu'une meilleure coordination des professionnels de santé et des acteurs sociaux intervenant dans ce domaine.

La protection et la bonne prise en charge des femmes enceintes, des mères et de leurs nouveau-nés sont des enjeux primordiaux ; leur prise en compte par les politiques publiques est un enjeu démocratique et d'égalité. À travers ce rapport, c'est évidemment plus largement les questions centrales de l'accès au soin, de la parentalité et de l'égalité qui sont posées.

J'en viens aux points particuliers que vous avez soulevés, madame la présidente. L'analyse des inégalités territoriales montre la situation particulièrement précaire de l'outre-mer ; nous devons approfondir notre réflexion en la matière.

Vous avez souligné les difficultés relatives aux données : au minimum, il faut que la France respecte les règles européennes sur le registre consolidé des données sur les naissances. Il y a un caractère d'urgence dans ce domaine.

L'organisation de l'offre de soins doit être revue, en tenant compte des seuils de trois cents et de mille accouchements. La coordination des acteurs et l'accompagnement pré et postnatale sont encore insuffisants. Par exemple, nous regrettons la mise en extinction du dispositif Prado maternité : il faut conserver ce service, voire le renforcer, tant que d'autres dispositifs n'auront pas été instaurés. Le recours au Prado pour les femmes éligibles est très en-deçà des seuils cibles dans un quart des ARS. Nous considérons par ailleurs l'objectif de recours à 80 % des femmes éligibles devrait être considéré comme un plancher et non comme une cible.

Nous avons en effet constaté un « pourrissement », dans certaines régions : il faudrait avoir le courage de prendre des décisions pour éviter de telles situations et en effet décider de fermetures quand celles-ci s'imposent du fait d'une insuffisante sécurité des soins pour la mère et le nourrisson. Il faut favoriser les regroupements. Nous préconisons de transformer de petites structures en lieux spécialisés dans l'accueil avant et après l'accouchement et orienter les femmes vers de plus grosses structures quitte à développer l'accueil hospitalier. Le coût estimé est raisonnable : 10 millions d'euros, ce pour une sécurité des soins qui en serait véritablement renforcée.

Peu de nos préconisations issues de nos précédents rapports ont été mises en oeuvre. La réorganisation de la cartographie des maternités n'a pas été mise en oeuvre, les recommandations sur la sécurité non plus.

Nous constatons une réelle mobilisation sur la stratégie des 1 000 premiers jours, mais celle-ci se concentre sur l'accompagnement psychologique - nous ne remettons pas en cause son caractère indispensable. Cela dit, nous regrettons que les volets relatifs à la sécurité et à la qualité des soins soient absents de la stratégie. Sur ce point, nous avons un désaccord avec le ministère, qui considère que cela relève d'un autre dispositif. Nous le regrettons et nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces résultats médiocres.

Le financement ne me paraît pas constituer la question fondamentale des problèmes constatés autour de la périnatalité : cela n'explique pas les difficultés rencontrées et nous ne l'avons pas vraiment abordé. La réforme du financement de la T2A, avec la création d'une part forfaitisée, va toutefois dans le bon sens.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous évoquez un manque d'efficience du système et nos mauvais résultats par rapport à d'autres pays, malgré des dépenses de 9,3 milliards d'euros... Les financements sont-ils mal répartis ? L'organisation doit-elle être revue ?

Mme Véronique Hamayon. - Il s'agit plus d'une question d'organisation que de financement. Nous n'avons pas établi de corrélation entre le niveau des financements et les risques constatés.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Ma première question portait sur les restructurations, mais vous y avez en partie répondu. La Cour plaide en faveur d'une réorganisation territoriale depuis une dizaine d'années. Or, malgré la fermeture des petites maternités, les chiffres ne se sont pas améliorés. Comment l'expliquez-vous ?

La Cour suggère d'analyser la situation des maternités pratiquant moins de mille accouchements annuels ; c'est une préconisation différente de celle de l'Académie nationale de médecine. Avez-vous réfléchi à des indicateurs permettant de juger si les maternités sont ou non sécurisées ?

Les établissements de petite taille peinent à recruter : les professionnels veulent travailler dans des équipes plus grandes, plus hiérarchisées, avec moins de gardes et un nombre plus acceptable d'astreintes et de nuits. Dans son rapport, la Cour évoque un redéploiement du personnel au profit de plateaux plus importants. Avez-vous creusé ce scénario ?

Des maternités de moins de trois cents accouchements devraient être fermées ; or elles ne le sont pas. Prenons l'hypothèse de la transformation de ces structures en CPP. Pensez-vous que les femmes doivent revenir à leur domicile après l'accouchement ? Ou doivent-elles rejoindre le CPP ? Quel est votre point de vue sur les hôtels hospitaliers ? Des financements pourraient-ils leur être alloués et comment pourraient-ils être organisés ?

Vous dressez un bilan plutôt positif des CPP. Comment réussir la transformation d'une maternité en CPP ? Avez-vous élaboré plusieurs scénarios dans lesquels ceux-ci joueraient un rôle accru ?

Mme Véronique Hamayon. - Les premières restructurations remontent aux années 1990. Force est de constater que la transformation n'a pas suffisamment fonctionné ou que nous ne sommes pas assez loin dans celle-ci, pour entraîner des effets palpables sur les données.

Plusieurs indicateurs pourraient guider la réflexion : les événements indésirables, la permanence et l'effectivité des soins, la complétude des équipes, mais aussi le nombre de naissances, les difficultés de recrutement ou encore la part de personnel non permanent. L'ensemble de ces indicateurs permettrait de définir un seuil d'alerte en deçà duquel il serait vraiment déraisonnable de maintenir la maternité ouverte.

Nous n'avons pas élaboré de scénarios précis sur le redéploiement des agents vers de plus grandes maternités. Cela dit, les rapporteurs ont constaté à plusieurs reprises que cette démarche était pertinente dans de nombreux territoires ; c'est pourquoi nous avons formulé cette orientation dans le rapport.

La transformation des cliniques en CPP permettrait de garder le suivi à proximité des mères, tout en sécurisant les phases de préaccouchement et d'accouchement. Les hôtels hospitaliers existent déjà, avec l'expérimentation Engagement maternité, au profit des mères les plus éloignées des lieux assurant un accouchement sécurisé. Cela fonctionne bien.

Mme Annie Le Houerou. - Nous partageons votre constat : fortes inégalités sociales et territoriales, un tiers d'intérimaires ou de contrats courts dans les petites maternités, difficultés de recrutement dans les territoires difficiles d'accès, entre autres.

Vous dites avoir noué un partenariat « solide et étroit » avec des scientifiques. Avez-vous aussi noué un partenariat solide et étroit avec les usagères ?

Vous soulignez que le dispositif Engagement maternité fonctionne bien. Sur quels critères objectifs fondez-vous votre appréciation ? Les femmes sont-elles bien accueillies ?

Disposez-vous de chiffres précis quant aux événements indésirables graves ou au taux de mortalité dans les maternités selon les catégories - 1 et 3 notamment - permettant de soutenir les orientations de votre rapport ?

Je suis d'accord avec vous : il faut mieux planifier l'offre de soins. Mais il faut aussimieux répartir les effectifs. Or nous traversons une crise des ressources humaines, mais je considère que ce n'est pas une fatalité. Dès lors, pourquoi préconiser la fermeture des petites maternités ? Pourquoi ne pas miser sur un renforcement des ressources humaines afin de faire fonctionner les maternités de proximité dans des conditions sécurisées ?

Les dernières études soulignent une forte mortalité des jeunes mères, notamment à cause de suicides. Les éloigner de leur environnement et des équipes qui les accompagnent avant l'accouchement n'est-il pas un facteur supplémentaire d'anxiété pour elles ?

Avez-vous mené une analyse spécifique de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les outre-mer ? Je pense aux Antilles et surtout à Mayotte. En revanche, à La Réunion, nous avons constaté que les conditions d'accueil étaient de bonne qualité.

Mme Céline Brulin. - Avez-vous examiné l'évolution de la démographie médicale depuis la restructuration survenue dans les années 1990 ? Cette démographie semble plutôt s'étioler : avez-vous des chiffres confirmant ou infirmant cette impression ?

Vous dites que l'on pourrait imaginer des seuils d'alerte en deçà desquels il serait déraisonnable de maintenir une maternité. Mais ne pourrait-on pas imaginer des seuils d'alerte en deçà desquels il serait déraisonnable de fermer une maternité ? Certains départements ne comptent plus qu'une seule maternité. Prenez-vous en compte ces éléments, sachant que les inégalités sociales et territoriales comptent parmi les facteurs de risques accrus ?

Un tiers des contrats courts et des missions d'intérim sont recensés dans les petits établissements. Est-ce lié uniquement à leur taille ou cela tient-il au manque d'attractivité de certains territoires ? Une attention particulière est à avoir sur ce point, une concentration des maternités dans les grandes métropoles risquant d'accroître les inégalités.

Je partage ce qui a été dit concernant le Prado ; certains facteurs de risques préexistent à la grossesse et à la maternité. On ne peut donc y répondre uniquement par une organisation territoriale de l'offre de soins. Une politique de prévention et d'accompagnement est nécessaire.

Mme Véronique Hamayon. - Le comité d'accompagnement comprenait des usagers et des usagères. Tout au long de l'enquête, nous avons pu avoir des remarques de leur part sur nos constats et propositions.

Nous disposons de données objectives sur l'hébergement hôtelier, issues de l'expérimentation à laquelle je faisais référence précédemment. Cette expérimentation, en cours depuis 2022, s'adresse aux femmes qui se trouvent à plus de 45 minutes d'une clinique, auxquelles la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) propose un hébergement dans les cinq jours précédant la date présumée de l'accouchement pour les grossesses qui se passent bien et à tout moment pour les grossesses pathologiques. Nous nous reposons pour l'instant sur cette expérimentation, dont les résultats semblent plutôt positifs pour un coût raisonnable. Nous ne savons pas si les accidents liés à la naissance sont plus nombreux pour ces femmes que pour les autres. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'échantillon serait suffisamment grand pour être représentatif.

De même, nous n'avons pas d'informations sur la répartition des mortalités selon la taille des maternités. La difficulté est que les cliniques privées déclarent peu les événements indésirables et indésirables graves, contrairement aux hôpitaux publics. La connaissance de ces événements est donc parcellaire et nous n'avons pas pu établir un état des lieux sur ce point.

Nous avons néanmoins pu constater l'existence d'un lien, attesté par plusieurs études scientifiques, entre la taille des établissements de santé et des maternités et les indicateurs de sécurité et de qualité des soins.

M. Robin Gonalons, conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes. - Nous citons dans notre rapport plusieurs études scientifiques sur ce point particulièrement sensible, issues notamment des travaux d'ÉPOPé. Les risques pour la mère ou pour l'enfant augmentent si certains critères ne sont pas remplis, comme la permanence des soins, impliquant la présence de l'obstétricien ou de l'anesthésiste. Une étude du docteur Levaillant tirée des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) montre par ailleurs que la morbidité maternelle et infantile varie selon la taille de l'établissement en nombre d'accouchements : elle augmente dans les établissements recensant moins de cinq cents ou moins de mille accouchements et diminue dans les établissements de taille supérieure. Nous manquons cependant de données pour aller plus loin. Les données d'ÉPOPé s'appuient sur des échantillons parfois anciens, issus notamment d'une cohorte de 2013. Les données relatives à la taille des maternités sont tirées pour leur part du PMSI.

Il serait sans doute possible d'aller plus loin dans l'analyse, mais, dans l'état actuel des choses, nous pouvons attester que les risques augmentent dans les maternités de niveau 1 qui sont en astreinte et où l'on ne trouve parfois ni gynécologue, ni obstétricien, ni pédiatre. Ces maternités sont en outre de plus en plus soumises à des fermetures temporaires, généralement annonciatrices de fermetures définitives. La Cour des comptes recommande donc une meilleure anticipation des situations critiques.

Mme Véronique Hamayon. - J'en viens à la question de savoir si une augmentation et une meilleure répartition des ressources humaines permettraient d'éviter la fermeture de petites maternités. Si les effectifs diminuent en néonatologie, ils augmentent en gynécologie-obstétrique, en pédiatrie, chez les sages-femmes et chez les infirmières puéricultrices, dans un contexte de baisse de la natalité. Si la question des ressources humaines est importante, elle n'est donc pas centrale et ne fournit pas une réponse adaptée à la situation de crise que nous connaissons en matière de qualité des soins néonataux.

En revanche, il est vrai que la répartition de ces ressources est très inégale sur le territoire national. De plus, les effectifs diminuent dans les hôpitaux, alors qu'ils augmentent en exercice libéral, notamment pour les sages-femmes.

Concernant l'hébergement, nous n'avons pas étudié précisément la question de savoir si l'éloignement des femmes de leur domicile était un facteur d'anxiété. Nous avons pris pour fil rouge les indicateurs de mortinatalité, de mortalité néonatale et de mortalité maternelle. La sécurité des soins est mieux préservée si l'on évite d'accoucher dans une petite maternité où aucun indicateur ne garantit une sécurité optimale. Un hébergement est alors préférable. Cet éloignement accroît peut-être l'anxiété des mères, mais elles sont accompagnées par ailleurs. Nous n'avons pas d'éléments précis là-dessus. La fin de l'expérimentation nous fournira peut-être des données sur ce point.

Nous n'avons pas regardé le cas de Mayotte avec précision, mais la situation sanitaire est très dégradée dans tous les outre-mer : en sus de la périnatalité, tous les indicateurs sont mauvais et en dégradation.

En matière de démographie médicale, les situations varient selon les territoires. Des inégalités importantes séparent les métropoles des territoires ruraux ; c'est pourquoi il est nécessaire de repenser la cartographie de l'offre de soins, en privilégiant les regroupements des maternités et des personnels dans les plateaux techniques sur la dissémination dans de petites structures, notamment dans les territoires les plus déshérités.

J'en viens aux seuils d'alerte qui ont été évoqués, en deçà desquels il serait déraisonnable de fermer une maternité. Nous n'avons pas raisonné selon cette optique. Les indicateurs que nous avons recueillis nous préoccupent, car ils ne sont pas à la hauteur d'un pays comme la France, qui mobilise des moyens considérables pour ses politiques de santé, notamment périnatale. Nous avons donc raisonné à l'aune d'un seuil d'alerte en deçà duquel il est déraisonnable de laisser une maternité ouverte. Transformer de petits établissements insuffisamment sécurisés et sécurisants pour la périnatalité en centres d'accompagnement prénatal et postnatal, intégrés dans la stratégie des 1 000 premiers jours, nous semble une bonne solution pour les femmes concernées. Cela garantit une certaine proximité aux femmes, qui ont besoin de cet accompagnement.

Mme Annie Le Houerou. - L'accompagnement prénatal et postnatal forme un tout, avec l'accouchement.

Mme Véronique Hamayon. - Oui, mais cela ne doit pas forcément se faire au sein du même établissement. Un tel système ne peut fonctionner actuellement dans des conditions de sécurité optimales. Tout dépend du choix collectif que fera la France. Si nous voulons rattraper le niveau de sécurité, mesuré par la morbidité et mortalité néonatales, des grands pays développés, les choses ne peuvent être conservées en l'état, comme l'ont montré les résultats des études scientifiques rappelés par Robin Gonalons. Plusieurs éléments objectifs, tangibles, étayés par des études scientifiques, nous ont donc conduits à penser que la situation actuelle n'était pas satisfaisante et à proposer les pistes présentées.

J'entends néanmoins les questions que cela pose. Aucune solution n'est simple et toute solution peut avoir des effets négatifs. Mais je le répète, nous ne pouvons pas nous satisfaire des taux de mortalité néonatale actuels de la France. La qualité et la sécurité des soins sont essentielles.

Je ne crois pas que le fait de regrouper des établissements accroîtrait les inégalités territoriales. Nous ne parlons pas seulement des grandes agglomérations, mais aussi des agglomérations moyennes. Et nous n'avons pas parlé de la demande, uniquement de l'offre. Or, s'il n'y a aucune femme pour accoucher dans un département donné, il n'est plus nécessaire d'y conserver une maternité. Inversement, certaines zones rurales peuvent rassembler des bassins de vie suffisants pour justifier la présence d'une maternité importante. Il faut tout étudier dans le détail, en veillant à l'équilibre territorial. La réponse à ce problème n'est pas forcément simple ni univoque.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - L'absence de pilotage global de la politique de périnatalité pose problème. La commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant dont vous prônez le rétablissement devrait-elle faire office de comité de pilotage, sachant qu'elle serait chargée également de coordonner les acteurs ? Un meilleur pilotage des ressources humaines dans le secteur de la santé s'avère notamment nécessaire, ce dont la commission pourrait se saisir. Les besoins en ressources humaines des territoires doivent notamment être évalués à l'aune des restructurations effectuées et de leurs conséquences futures.

Selon quel calendrier et dans quel objectif faudrait-il modifier le décret de 1998 ? La commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant doit-elle s'occuper de ces questions ? Quels seraient les objectifs et les conséquences d'une telle révision ?

Mme Véronique Hamayon. - Le pilotage est un élément saillant de notre rapport. Nous constatons souvent, de manière générale, l'absence de pilotage national. La périnatalité ne fait pas exception. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant existe, mais cette ambition nationale n'a pas d'équivalent en qualité et sécurité des soins. Il faudrait en la matière une stratégie nationale, mise en oeuvre localement par les agences régionales de santé (ARS) au plus près du terrain.

Notre rapport ne conclut pas à la nécessité de confier ce pilotage à la commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant. Peu importe l'instance qui le porte, il faut en tout cas un pilotage, assuré par des acteurs identifiés et assorti d'objectifs quantifiés, d'outils, de transversalité et d'éléments de mesure de l'efficacité des politiques menées.

Le décret de 1998 doit par ailleurs être revu le plus rapidement possible. Il y a urgence.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Cette révision n'entraînera-t-elle pas inévitablement des conséquences en matière d'organisation territoriale, ce qui explique qu'elle tarde à venir ?

Mme Véronique Hamayon. - Oui. Nous avons bien conscience de l'impact d'une telle révision. Nous appelons également de nos voeux, le plus rapidement possible, un pilotage national, une réorganisation de l'offre de soins, une cartographie spécifique et une attention portée au cas par cas dans certains territoires. En effet, il n'existe pas de réponse univoque. Les règles doivent être les mêmes pour tous, mais elles doivent aussi se décliner en fonction des besoins. La modification du décret doit accompagner ce mouvement. En tout cas, il faut agir le plus vite possible, car les indicateurs, déjà mauvais, se sont dégradés. Les chiffres les plus récents sur lesquels s'appuie notre rapport datent de 2022. Je ne suis pas sûre que 2023 nous réserve de bonnes surprises.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - De nombreuses initiatives sont prises dans le cadre de la stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant sur la parentalité ou la prise en charge psychologique des mères et des pères. Comment mieux coordonner ces initiatives ? Quelle organisation envisageriez-vous pour ces différentes actions, en lien avec les services de PMI par exemple ?

Mme Véronique Hamayon. - Il faut une organisation, un cadrage et un pilotage, quoi qu'il arrive. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant a l'avantage d'afficher des objectifs précis. Le problème est que de nombreux centres de PMI, en difficulté par manque de personnel et de moyens, peinent non à se mobiliser, mais à constituer un maillon efficace de mise en oeuvre de cette stratégie. Certains pourraient néanmoins former un échelon pertinent. Notre rapport mentionne une expérimentation en cours, transformant des centres de PMI en Maisons des 1 000 premiers jours. Malheureusement, tous les centres de PMI ne sont pas capables d'un tel changement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 heures.