Mardi 14 mai 2024

- Présidence de Mme Florence Lassarade, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Information des femmes et du grand public sur la grossesse, l'accouchement et la maternité - Audition de Mmes Renée Greusard, journaliste et essayiste, Anna Roy, sage-femme, chroniqueuse de La Maison des Maternelles, Zoé Varier, journaliste et productrice des podcasts scientifiques In Utero et Naître (France Inter) et Katrin Acou-Bouaziz, cheffe de service Société et Grossesse au magazine Parents

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. -Bonjour à toutes et à tous. Notre présidente Annick Jacquemet est retenue et nous rejoindra en cours de réunion.

Notre audition de cet après-midi porte sur l'information des femmes et du grand public en matière de santé périnatale, à savoir tous les sujets ayant trait à la grossesse, à l'accouchement, au post-partum et aux soins des nourrissons.

En tant que pédiatre, ce dernier sujet m'intéresse tout particulièrement : nous avons été alertés, au cours des précédentes auditions, sur la diffusion de conseils inadaptés sur les réseaux sociaux, s'agissant par exemple du bon couchage des nouveau-nés, essentiel dans la prévention de la mort subite du nourrisson.

Nos auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de la mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque liés à un âge maternel plus tardif, une augmentation de la précarité, une plus forte prévalence de l'obésité et une santé mentale dégradée.

Il nous a semblé intéressant, dans ce contexte, de nous pencher sur les connaissances du grand public en matière de santé périnatale, sur la manière dont les femmes enceintes, et plus généralement les parents, s'informent sur ces sujets et sur le rôle que jouent les médias et les réseaux sociaux en la matière.

Pour cela, nous entendons cet après-midi :

- Anna Roy, sage-femme et chroniqueuse dans l'émission La Maison des Maternelles, diffusée chaque matin sur France 2 ;

- Katrin Acou-Bouaziz, cheffe de service Société et Grossesse pour le magazine Parents ;

- Renée Greusard, journaliste et essayiste ;

- Zoé Varier, journaliste et productrice des podcasts scientifiques « In Utero » et « Naître » sur France Inter.

Bienvenue à vous. Vous participez à la diffusion d'informations en matière de santé périnatale auprès du grand public. Vous nous expliquerez comment vous concevez vos émissions et articles respectifs et choisissez les thèmes que vous traitez. Que traduisent-ils des questionnements des parents et futurs parents ? Nous avons le sentiment que les parents sont plus inquiets qu'avant quant à la grossesse et la santé de leur bébé, tous deux faisant l'objet d'une surveillance accrue. Pour autant, nous assistons, dans le même temps, à un intérêt croissant pour une moindre médicalisation, un recours à un accouchement plus physiologique et des conseils médicaux plus naturels et de « bon sens » - qui ne l'est pas toujours. Quel regard portez-vous sur ce phénomène qui semble paradoxal ? Les regards d'Ana Roy et de Renée Greusard seront notamment très utiles, puisqu'elles font régulièrement dans leurs émissions état de témoignages de femmes.

Le sujet de la santé périnatale dépasse heureusement la seule cible des jeunes parents. Je pense notamment aux podcasts scientifiques produits par Zoé Varier. Madame Varier, vous nous expliquerez vos motivations pour proposer ce contenu à France Inter, de quelle manière vous appréhendez la cible grand public, quelles lacunes vous identifiez en matière de connaissance scientifique et quel est, selon vous, l'intérêt de proposer un contenu accessible en la matière.

En outre, vous nous expliquerez chacune comment vous sélectionnez, triez et vulgarisez les connaissances scientifiques et médicales à destination du grand public.

Enfin, vous êtes toutes quatre présentes sur les réseaux sociaux : quel regard portez-vous sur les conseils qui y sont diffusés ? Quid de leur pertinence, leur risque ou la pression sociale que peuvent subir les femmes quant à leurs pratiques et leur choix, notamment lorsqu'elles sont confrontées à des visions idéalisées de la grossesse, de l'accouchement et de la parentalité ? Alors qu'une femme sur sept présente une dépression post-partum et que le suicide est désormais la première cause de décès des mères dans l'année qui suit l'accouchement, les problématiques de santé mentale vous semblent-elles suffisamment identifiées à l'heure actuelle ?

Je vous passe la parole, puis laisserai notre rapporteur, Véronique Guillotin, poser une première série de questions.

Cette réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Anna Roy, sage-femme et chroniqueuse dans l'émission La Maison des Maternelles. - Je suis sage-femme depuis environ quinze ans. J'ai démissionné de l'hôpital il y a deux ans et je pratique actuellement une activité libérale. Je suis chroniqueuse dans l'émission La Maison des Maternelles depuis 8 ans, autrice d'une quinzaine de livres grand public traitant des questions de santé et de périnatalité et à l'origine de deux podcasts, l'un produit par Europe 1, l'autre par Slate, concernant tous deux la santé des femmes. Je pratique d'autres activités dans l'enseignement. Enfin, mon compte Instagram dénombre 246 000 abonnés, mais je vous expliquerai pourquoi ce compte n'est pas mon principal intérêt.

Je tiens à rappeler l'importance de la vulgarisation médico-scientifique. C'est un véritable enjeu de santé publique qui me semble insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Cette vulgarisation, si elle est bien faite, pourrait fortement réduire la morbi-mortalité périnatale. C'est tout l'enjeu de cette table ronde : déterminer ce qu'est une information « bien faite », car cela, entre autres :

- incite les femmes à consulter ;

- permet la détection précoce ;

- promeut les dépistages et la vaccination, sujet particulièrement important dans le contexte actuel ;

- réduit les comportements à risque ;

- promeut la salutogénèse.

Il s'agit par ailleurs d'une obligation déontologique pour les professionnels de santé. Le code de la santé publique indique qu'il faut encourager nos patients et nos patientes « au libre-choix concernant les praticiens, les établissements de santé et les thérapeutiques » et donc qu'il existe un devoir d'information.

J'aimerais illustrer mes propos par trois exemples criants :

- Amira, enceinte de huit mois, regarde l'émission La Maison des Maternelles et comprend, grâce à un de mes tutoriels, que ses symptômes ressemblent à ceux d'une cholestase gravidique. Elle se rend aux urgences où une césarienne lui sera immédiatement pratiquée pour retirer le bébé in extremis ;

- Sophie, traitée depuis deux mois pour une dépression post-partum sévère, décide un matin de mettre fin à ses jours et se souvient d'un de mes conseils, expliquant que « quand on a envie de mourir, on va aux urgences », ce qu'elle fait. Elle sera internée et ne se suicidera pas ;

- Hugo, petit garçon de huit ans, qui après avoir lu mon livre « Tout sur les zézettes et les zizis » avoue à sa mère qu'il subit des attouchements de la part de son professeur de tennis depuis plusieurs années.

J'ai mille anecdotes similaires. L'information est capitale et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer..

Mme Renée Greusard, journaliste et essayiste. - Je suis journaliste au Nouvel Obs et j'ai écrit quelques livres sur la parentalité, plus précisément sur la maternité. Pourquoi ? Parce que j'ai moi-même manqué d'informations et que ce manque s'est avéré douloureux. Je vous parle aujourd'hui en tant que journaliste et essayiste, mais également en tant que mère ayant subi une dépression post-partum en 2015. Lorsque j'ai écrit mon livre Enceinte, tout est possible, qui explore les injonctions faites aux femmes enceintes, j'avais été frappée de constater à quel point elles étaient infantilisées. J'ai tenté, via ce livre, de fournir des informations détaillées. Mon propos n'a jamais été de dire aux personnes enceintes : « faites n'importe quoi et amusez-vous bien », mais plutôt « voici les informations dont on dispose actuellement et voici les risques que présente telle ou telle pratique ». Parce que les grossesses sont devenues surmédicalisées, on culpabilise les femmes, spécialement quand elles s'octroient des libertés hors des recommandations en vigueur ; mais les êtres humains ne sont pas des robots. À mon sens, le message qui transpire de cette rigidité est terrible, impliquant que les femmes sont de mauvaises mères dès la grossesse.

Le sujet qui vous préoccupe aujourd'hui, est, je crois, profondément politique, éthique et philosophique. Lorsque, au cours de l'interview du médecin féministe Martin Winckler, je lui ai fait part du sentiment de transgression que je ressentais parfois lorsque je m'éloignais des nombreuses recommandations en vigueur, il a tiqué, répondant que d'après lui, le mot « transgression » ainsi utilisé était symptomatique d'un rapport patient-médecin dysfonctionnel. Je le cite : « On est dans la transgression que si l'on pense que la parole médicale est sacrée. En tant que médecin, on est censé regarder les études, transmettre les informations. Une fois qu'on les a données et que la femme enceinte connaît les risques, on ne l'embête plus. Pourquoi ? Parce que c'est une adulte, pas un enfant ». En ce qui concerne la grossesse, une information sanitaire de qualité respecte donc les femmes et leur intelligence. Je suis personnellement convaincue que les infantiliser est contre-productif.

Certains pays voisins l'ont compris et n'adoptent d'ailleurs pas du tout le même ton rigide envers les futures mères. J'en suis convaincue aussi : trop d'interdits amènent fatalement à ne pas pouvoir les suivre. Une bonne information est une information détaillée et nuancée.

Dans mon second livre, Choisir d'être mère, je raconte tout ce que j'aurais aimé savoir avant de devenir mère : le manque de sommeil, ses conséquences, le couple qui vacille, les phobies d'impulsion, etc. Toutes ces informations devraient être communiquées à tous les futurs parents. Je suis très heureuse d'avoir écrit ce livre mais il n'aurait jamais dû exister.

Une bonne information se partage au plus grand nombre.

L'historienne Yvonne Knibiehler m'a dit lors d'une interview en 2017 : « Si nous avons laissé nos filles croire que la maternité est un lieu de délices, c'est nous qui avons eu tort. Nous les avons mal élevées ». Elle proposait ainsi une formation pour sortir des fantasmes de la parentalité : « Cette formation pourrait commencer au moment où un couple a le désir d'enfanter. Il devrait alors recevoir un certain nombre d'informations. D'abord pendant la grossesse, avec des informations qui concerneraient surtout le développement du foetus et l'accouchement. Le départ et le retour au travail pourraient être plus progressifs, de manière à ce que la femme ne soit pas coupée brutalement de son environnement. Il me semble aussi que le jeune couple qui vient d'avoir un enfant devrait être directement affecté à une crèche et qu'il pourrait, avec un temps de formation, avoir l'obligation d'y aller un jour ou deux par semaine, ou encore deux demi-journées, y travailler bénévolement pour voir ce qu'est un bébé, quels sont les problèmes qu'il pose, les maladies auxquelles on doit faire face. Cette idée de travail bénévole permettrait aussi de faire baisser le prix de la crèche ». Cette idée peut faire débat mais je la trouve intéressante car si nous sommes tous et toutes des parents différemment, nous avons tous et toutes appris à le devenir.

De la même manière, ce qui manque cruellement aux parents, c'est un village pour aider à élever un enfant. « Il faut tout un village pour élever un enfant » entendons-nous souvent. Une part du mal-être des parents d'aujourd'hui vient du fait qu'ils sont très isolés. Quand on est toute la journée seule avec un bébé qui pleure, sans parvenir à manger, à se doucher, et en dette de sommeil, il y a de quoi sombrer. C'est pour ma part comme ça que je me suis mise à pleurer tous les jours. Quand je me suis retrouvée seule après la reprise de travail du père de mon premier fils. Il faut recréer des solidarités et que les informations circulent aussi entre pairs. Cela pourrait s'organiser dès la maternité, en créant par exemple des groupes Whatsapp constitués de personnes accouchant en même temps.

Une bonne information existe en dehors des livres et des institutions. Elle se transmet entre pairs.

Enfin, une bonne information s'adresse à toutes et tous. Elle doit prendre en compte, et sans jugement, toutes les spécificités : handicap, homosexualité, transsexualité, etc.

J'espère que cette mission permettra à toutes et tous de se sentir mieux, car l'enjeu est grand. Nous ne parlons pas que de mères et de pères mais aussi d'enfants, de leur bien-être et donc des adultes merveilleux que nous aimerions qu'ils et elles deviennent.

Mme Zoé Varier, journaliste et productrice des podcasts scientifiques « In Utero » et « Naître » sur France Inter. - Je travaille à France Inter et je suis productrice de deux podcasts : « In Utéro », qui s'intéresse à la vie intra-utérine, et « Naître », axé sur la naissance.

Je suis un peu en dehors des questionnements abordés aujourd'hui, car mes podcasts ne s'adressent pas spécifiquement aux femmes enceintes, mais tentent d'être accessibles à tous.

Dans « In Utero » je me suis interrogée sur l'origine de la vie. Je me suis attachée à rencontrer les plus grands chercheurs scientifiques français de ce domaine. J'ai rencontré des personnes désireuses de partager leurs savoirs au plus grand nombre. À mon sens, la vulgarisation de l'information scientifique est primordiale. Il s'agit d'un enjeu de santé publique, mais aussi de culture générale. Je ne suis pas scientifique ; les chercheurs ont dû m'expliquer leurs propos. Et c'est parce qu'ils ont été obligés de m'expliquer que moi, par la suite, j'ai pu expliquer à mon tour. Cette notion est pour moi très importante : oui, il est possible de comprendre à la fois les découvertes de la science et ce qui reste encore à comprendre dans le domaine de la vie intra-utérine et sur la naissance. Par exemple, une question qui peut paraître simple : pourquoi une femme accouche ? Qu'est-ce qui déclenche le travail ? On s'interroge toujours sur ces questions aujourd'hui.

Mes podcasts abordent également les sciences sociales. Je rencontre des historiens, psychanalystes et philosophes et les interroge sur la grossesse, le corps des femmes et la naissance. Par exemple, j'ai constaté que le foetus a été pendant longtemps le grand absent des études historiques et je me suis demandé pourquoi. De la même façon, j'ai travaillé avec des scientifiques et historiens sur le thème de la naissance. Je pense au professeur François Goffinet, directeur de la maternité de l'hôpital Cochin-Port Royal, avec qui j'ai abordé des questions éthiques, s'agissant notamment de la question de la réanimation des nouveau-nés prématurés et du handicap ultérieur potentiel de ces enfants. Ce médecin m'a expliqué qu'il n'avait plus les moyens aujourd'hui, à Port-Royal, d'accompagner les femmes enceintes comme il le devrait.

Mme Katrin Acou-Bouaziz, cheffe de service Société et Grossesse pour le magazine Parents. - Je suis journaliste au magazine Parents, responsable du service Société et Grossesse. Je travaille depuis vingt ans sur les sujets de la parentalité ; je dispose donc d'une vision assez large de l'évolution de l'information au fil des ans et de l'adaptation des médias sur ce sujet. Le magazine Parents est édité depuis 1969 et est devenu un magazine de référence dans le domaine. Je coréalise également un podcast qui s'appelle « Galère sa mère ! ». Des experts sont invités à répondre à des questions liées à la parentalité et l'objectif est de vulgariser l'information au maximum.

Je suis ravie d'être auditionnée sur cette question de savoir comment mieux informer les jeunes parents, qui est une réflexion de tous les jours au magazine. Il existe une problématique de cible : ceux qui sont informés ne sont pas toujours ceux qui devraient l'être. La question est de savoir comment diffuser l'information au plus grand nombre, d'où la multiplication des canaux : podcasts, réseaux sociaux, vidéos, ateliers en présentiel afin de permettre aux personnes n'étant ni lecteurs ni auditeurs de rencontrer les experts, de pouvoir s'informer, etc.

Nous avons compris que les lecteurs et lectrices étaient intéressés par deux choses : une caution « experts » (pour garantir la véracité des informations) et une caution testimoniale. Ils ne veulent plus se contenter des propos d'experts et de grands noms, mais souhaitent entendre d'authentiques témoignages afin d'être pleinement convaincus. En vingt ans, la situation a beaucoup évolué.

En outre, nous cherchons à nous adresser à tous : aux parents (bien que nous rencontrions des difficultés à être lus par les hommes), aux coparents, aux couples homosexuels, aux mamans célibataires, aux grands-parents, qui sont des acteurs forts de la parentalité à qui il est important de fournir des informations actualisées, et aux parents confrontés au handicap et au deuil qui ont été longtemps oubliés. Nous veillons, dans nos articles, à ne pas véhiculer d'injonctions, à ne pas adopter un ton péremptoire, ce qui nous a longtemps été reproché. Nous sommes là pour montrer ce qui existe et les parents se saisissent eux-mêmes de ce qui les intéresse. Le ton est donc volontairement déculpabilisant.

Nous travaillons également sur la culpabilité. En effet, les informations à disposition sont tellement nombreuses que, si une personne fait un choix, elle se sent toujours coupable d'avoir renoncé aux autres possibilités.

Par ailleurs, ajouter de l'humour dans la manière d'informer permet également d'atteindre la cible plus facilement. C'est quelque chose que nous essayons de développer au maximum pour évoquer des sujets de préoccupation souvent graves.

Nous mettons à disposition la parole des experts et organisons de grands entretiens. Nous constatons que nous jouons un rôle important dans le cadre des grossesses ; le suivi de grossesse figurant dans des newsletters, par exemple, vient peut-être remplacer un suivi médical de grossesse qui n'est pas toujours à la hauteur des attentes des futures mamans. D'après les témoignages, les maux de grossesse sont souvent balayés au cours des consultations médicales.

Mme Anna Roy. -Je me permets d'intervenir : c'est que nous manquons beaucoup de temps. Ces éléments viennent pallier le manque de temps des professionnels de santé pour exercer correctement leur métier.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. -Bien sûr, il s'agit d'un manque de temps, mais pour certains, c'est aussi un manque de préoccupation. D'après les témoignages, et pour l'avoir moi-même vécu, les femmes ne sont pas souvent écoutées, spécialement chez le gynécologue.

Nous avons également développé un guide des maternités, document qui n'existe pas de manière officielle. Ce sont les médias qui s'emparent de ce sujet-là. Nous traitons également de nombreux sujets sur l'alimentation de la femme enceinte, qui est une vraie préoccupation. Il existe de nombreuses injonctions et les femmes se sentent perdues.

Pour finir, les forums n'existent plus, mais les réseaux sociaux ont largement pris le relais. Ils sont beaucoup diabolisés, mais apportent à mon sens énormément de soutien aux femmes et aux pères.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour ces témoignages, qui complètent utilement les auditions déjà réalisées et apportent un éclairage important.

Vous avez évoqué l'isolement des mères et des familles, ainsi que les problématiques de santé mentale. Que pensez-vous du concept de la Maison des 1 000 premiers jours ?

Par ailleurs, je vous rappelle le contexte dans lequel s'inscrit cette mission : elle est née à la suite d'un rapport de l'Académie nationale de médecine préconisant de regrouper les maternités dénombrant moins de mille accouchements par an. Nous avons entendu de nombreux professionnels de santé, qui allaient globalement dans le sens de cette préconisation, mais de manière plus atténuée, mettant davantage en avant l'importance de disposer d'équipes stables afin de sécuriser l'accouchement. Nos auditions ont également permis de s'intéresser de façon plus préciser à la parturiente, son bien-être et son libre-choix avant, pendant et après l'accouchement.

Aucune d'entre vous n'a parlé du moment de l'accouchement ni du lieu choisi. D'après vos expériences, s'agit-il d'un vrai choix ? De quelle manière les mères choisissent-elles le lieu dans lequel elles souhaitent accoucher ? Ces choix vous paraissent-ils suffisamment éclairés ? Comment leur expliquer l'équilibre à trouver entre la sécurité nécessaire et la proximité ?

Madame Roy, comment appréhendez-vous le déferlement d'informations, et plus particulièrement les conseils parfois faux et dangereux pour la santé qui sont véhiculés par certaines influenceuses ?

Madame Greusard, vous avez évoqué la période du post-partum et de votre propre expérience. Pensez-vous que les femmes sont suffisamment informées sur ce sujet et sur les questions de santé mentale ? Qu'en est-il des professionnels de santé mais aussi de l'entourage des parturientes ?

La question de la charge mentale et du poids de la société sera également intéressante à traiter.

Mme Renée Greusard. - À mon sens, le choix de la maternité est restreint. Il s'agit davantage d'un manque de moyens que d'un défaut d'informations. Les maternités ferment et l'hôpital public est dans un état délétère. Les femmes qui ont le choix de leur lieu d'accouchement et du suivi associé sont celles qui en ont les moyens. À titre d'exemple, j'ai accouché dans une maison de naissance et je mesure ma chance car j'ai bénéficié d'un suivi exceptionnel. Mais un tel suivi n'est aujourd'hui financièrement pas accessible à tous, ce qui n'est pas normal.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je vous interroge alors sur le non-choix des femmes. Aujourd'hui, notre pays est confronté à des difficultés d'éloignement et de fermeture des maternités. Pensez-vous que les femmes sont suffisamment informées pour mener une réflexion éclairée sur l'équilibre entre la sécurité - qui impliquerait de fermer des maternités et regrouper des plateaux techniques - et la proximité ? Estimez-vous que ces concepts sont suffisamment vulgarisés ?

Mme Anna Roy. - Bien sûr que non. Il s'agit de concepts assez récents et inaudibles pour la plupart. Quand vous expliquez à des personnes qui viennent de s'installer qu'il faudra faire 1 h 30 de voiture pour accéder à la maternité, ils ne peuvent pas se satisfaire de cela. Je suis d'accord sur les constats : les maternités réalisant peu d'accouchements n'offrent pas les garanties suffisantes en matière de sécurité médicale, en particulier à cause des problèmes de personnels. Toutefois, il est important de continuer à faire vivre ces régions. La maternité est importante dans ce que cela dit d'un territoire. J'estime qu'il faut se battre pour maintenir les maternités avec un niveau de sécurité suffisant. Cela doit être considéré comme une priorité.

Les femmes sont-elles suffisamment informées sur les choix qui s'offrent à elles, même lorsqu'elles ont le choix ? La réponse est non et c'est à l'origine de nombreux problèmes. Certaines femmes se rendent dans une maternité sans savoir ce que celle-ci propose et en ressortent furieuses, constatant une dissonance entre leurs attentes et la réalité. Il est extrêmement important de leur expliquer les différents types de maternité. Libre ensuite à chacune de faire son choix. À chaque femme son choix.

Malgré tout, les conditions de travail en maternité restent une problématique importante. Il y a quelque temps, j'ai lancé le hashtag #JeSuisMaltraitante. Si ces conditions n'évoluent pas, le taux de morbi-mortalité va augmenter. Nous allons au-devant de catastrophes et jouons avec la santé physique mais aussi psychique des gens. La France a du mal à considérer que la santé mentale fait partie intégrante de la santé et qu'il ne suffit pas juste de « sauver les corps ».

Mme Renée Greusard. - Je souhaite partager un chiffre : il existe trois fois moins de maternités qu'en 1970, pour quasiment le même nombre de naissances. Avant de se questionner sur le choix, il est important de resituer le contexte.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - J'aimerais partager un témoignage : un couple attendant son deuxième enfant m'a confié choisir son futur lieu d'habitation en fonction de la localisation de la maison de naissance.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Je m'interroge : la problématique de fond n'est-elle pas l'isolement ? En tant que pédiatre, j'ai pu constater que les parents étaient isolés. À mon sens, le sujet de la grossesse n'est pas suffisamment abordé en amont de celle-ci.

Madame Varier, comment votre antenne a-t-elle accueilli vos projets de podcast ? Avez-vous rencontré des difficultés à la convaincre ?

Mme Zoé Varier. - Pas du tout. L'équipe s'est réjouie de ce projet. Je pense qu'elle se serait encore davantage réjouie si j'avais choisi de parler de la parentalité, mais j'estimais que les supports sur ce sujet étaient déjà nombreux. J'ai été entendue sans difficulté.

Mme Renée Greusard. - Il me semble qu'il n'y a pas de difficulté pour aborder ces sujets ni en presse écrite ni en radio. En revanche, j'ai constaté que le domaine de la télévision - notamment des producteurs hommes - montrait des réticences, considérant qu'il s'agissait de sujets « de bonne femme ».

Mme Anna Roy. - Je tiens néanmoins à saluer La Maison des Maternelles, une très belle émission de service public qui permet de libérer la parole. Elle occupe d'ailleurs une place qu'elle ne devrait pas occuper, certains patients m'ayant déjà confié que cette émission avait remplacé leur suivi médical. Cela en est presque tragique.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Madame Varier, pensez-vous qu'il y a suffisamment de communication autour des questions scientifiques ? Vous avez abordé la question de la réanimation des nouveau-nés. Comment faire comprendre aux parents qu'il est possible de réanimer leur enfant, mais que cette réanimation risque de provoquer de lourds handicaps ? Faut-il informer en amont des incidences physiologiques et potentiellement pathologiques de la grossesse ? Comment réussir à toucher tous les publics, notamment les plus précaires, autrement que par TikTok ou d'autres réseaux sociaux ?

Mme Zoé Varier. - À la maternité de l'hôpital Cochin, un protocole pour accompagner les parents en cas d'extrême prématurité a été mis en place, notamment pour informer les parents des risques et conséquences des pratiques. Le professeur Goffinet a beaucoup travaillé sur la thématique de l'information à fournir aux parents. Malgré tout, avant même d'informer, l'ensemble des soignants doit être d'accord sur la décision à prendre. La réanimation d'un extrême prématuré dépend du rapport de chacun au handicap. En fonction du rapport au handicap du médecin de garde, un enfant peut être ou non réanimé.

Mme Anna Roy. - Lorsqu'on les informe, il ne faut jamais mentir aux parents, au risque d'altérer leur confiance. Il ne faut pas avoir peur d'aborder certains sujets, les pathologies et la mort foetale in utero. Par exemple, si un praticien met simplement en garde contre le diabète gestationnel, la patiente peut estimer que l'on parle trop de son poids et ne pas avoir conscience des risques : il faut que le praticien explique concrètement les risques associés, comme la mort foetale in utero, afin que la patiente reçoive correctement l'information et comprenne les risques.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - Les patients ont désormais accès à une multitude d'informations. Il n'est plus possible d'agir comme s'ils n'étaient pas informés. La relation sage-femme-patient ou médecin-patient a évolué. Les praticiens sont désormais « obligés » d'expliquer. Plus les patients disposent d'informations et mieux c'est.

Mme Renée Greusard. - Votre question sur « comment informer autrement que par TikTok » est intéressante. Si l'information est pertinente, il n'est pas gênant qu'elle soit accessible via ce réseau social. À mon sens, il faudrait justement diffuser un message sanitaire là où les personnes cherchent les informations.

Par ailleurs, il existe un sujet assez méconnu mais qui touche pourtant une majorité de parents, à savoir les phobies d'impulsion, qui sont des pensées intrusives au cours desquelles un parent peut s'imaginer faire du mal à son enfant par exemple. En Suède, les parents sont informés de ces phobies d'impulsion via des fascicules distribués à la maternité. Ce dispositif n'existe pas en France, les parents n'en sont pas informés et se considèrent comme des monstres lorsqu'ils sont concernés. Il faudrait parler de ces phobies d'impulsion et les normaliser.

Par ailleurs, il est extrêmement important de s'adresser à tous. Les coparents jouent également un rôle fondamental.

Je constate que le monde a évolué entre mes deux grossesses. Les informations sont davantage diversifiées et accessibles. Malgré tout, certains parents ne sont toujours pas informés.

Mme Zoé Varier. - J'ai rencontré un chercheur en neurosciences qui a travaillé sur le cerveau maternel avant, pendant la grossesse et après l'accouchement. Il a constaté que des changements s'opéraient dans le cerveau, provoquant certains symptômes tels que le manque de concentration. Ce discours est très déculpabilisant pour les femmes. Je suis convaincue qu'il faudrait diffuser les résultats de ce travail. En effet, le cerveau s'adapte aux différents stades de grossesse et ce temps d'adaptation peut expliquer de nombreuses pathologies, telles que la dépression post-partum. Si les femmes avaient connaissance de cette information, elles vivraient sans doute bien mieux la situation.

Mme Florence Lassarade,, vice-présidente. - Je salue l'arrivée de la présidente, Madame Jacquemet et je lui laisse immédiatement la parole.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Bonjour à toutes et tous. Je vous prie d'excuser mon retard. Madame Greusard, vous parlez de l'évolution du monde entre vos deux grossesses. D'après vous, comment se traduit cette évolution et quelles en sont les raisons ?

Mme Renée Greusard. - Lorsque j'ai accouché de mon premier enfant, il y a neuf ans, très peu d'informations circulaient. Je pense que la quatrième vague féministe, qui a également touché la maternité, a libéré la parole des femmes. Après mon premier accouchement, je n'ai pas compris ce qui m'arrivait. J'ai découvert ce que signifiait être parent : un chaos à la fois physique et psychique. Je suis persuadée qu'il faudrait proposer aux futurs parents de suivre une thérapie en amont. Il n'y avait pas encore beaucoup d'informations disponibles à ce moment-là et c'est une des raisons de mon premier livre. Lorsque je suis devenue mère pour la seconde fois, j'ai été sidérée par la quantité d'informations à ma disposition : des comptes Instagram de grande qualité, des podcasts, des témoignages de femmes comme moi, des propos d'experts, etc. Par ailleurs, j'ai pu accéder à des dispositifs qui n'existaient pas à l'époque, tels que des cours de préparation à l'accouchement par l'hypnose. Je regrette d'ailleurs que ce service, très utile, ne soit pas remboursé par la Sécurité sociale.

Les différences entre mes deux grossesses sont flagrantes ; malgré tout, le chemin à parcourir est encore long. Je réfute totalement le fait de dire que la grossesse et la parentalité ne sont que du bonheur. Il conviendrait de mener un travail sur les fausses informations qui circulent.

L'isolement que nous évoquions plus haut peut également venir du fait qu'une partie de la population, qui n'est pas parent, ne comprend pas ce qu'implique la parentalité ; c'est une réalité à laquelle ils ne peuvent pas accéder, mais qu'ils peuvent comprendre, grâce aux informations. L'information doit donc également être partagée auprès des personnes qui ne sont pas parents, mais qui pourraient accompagner les nouveaux parents isolés et leur apporter le soin dont ils ont besoin. L'entourage peut être ce « village » si nécessaire évoqué plus tôt.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - J'ai également vécu deux grossesses. Lorsque j'ai commencé à travailler pour le magazine Parents, j'expliquais que je travaillais pour la presse spécialisée. Aujourd'hui, pour les médias, la question de la parentalité fait désormais partie de la rubrique « Société ». C'est un symbole fort.

Mme Anna Roy. - À mes débuts, les journalistes n'accordaient aucune importance à mes propos. Les différentes vagues féministes ont permis de comprendre que les femmes avaient des choses intéressantes à dire et qu'il fallait les écouter. En dix ans, le monde a changé.

Mme Katrin Acou-Bouaziz - De façon plus générale, tous les sujets qui ont trait à la vie intime, qui étaient relégués à la rubrique « féminine » ou à l'hyperspécialisation, sont aujourd'hui largement évoqués dans la société.

Mme Annie Le Houerou. - Merci pour votre travail. Au cours des précédentes auditions, les intervenants nous ont presque convaincus que nous, élus défendant parfois des petites maternités, étions irresponsables car durant l'accouchement, la sécurité physique était bien plus importante que tout le reste. Pourriez-vous revenir sur ce sujet de manière plus précise ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Une fois que les gens sont informés des avantages, inconvénients et risques sur cette question des maternités, ils sont libres et en mesure de faire un choix éclairé. Abordez-vous ces sujets au sein de vos émissions, podcasts et articles ? Quels retours en avez-vous ? C'est un grand débat sociétal auquel nous faisons face.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - Il me semble qu'il s'agit d'un débat théorique. Les femmes n'ont pas le choix de leur maternité, hormis dans les grandes villes et si elles font partie d'une population favorisée. Les autres n'ont pas vraiment la possibilité de choisir ou ne savent pas qu'elles peuvent le faire.

Des sujets comme la péridurale ou l'allaitement font débat. Nous organisons souvent des sondages sur ces sujets. Malgré tout, certaines maternités ne favorisent pas ces dispositifs ou n'ont pas le temps d'aborder les sujets avec les patients.

Mme Anna Roy. - S'agissant de la fermeture des petites maternités, je peux témoigner de l'immense désarroi et de la colère des populations de ces territoires. Je vais peut-être choquer, mais je suis d'accord avec les constats du Professeur Ville de l'Académie de médecine. En revanche, j'estime que l'idée de laisser les femmes dans un hôtel durant le dernier mois de leur grossesse ou en attendant leur accouchement est désastreuse et conduirait à la catastrophe. Le coût psychique de ce type de prise en charge serait monstrueux : il n'est pas possible de déraciner les femmes de leur famille et de leur environnement dans ce contexte. C'est une question d'humanité : nous ne pouvons pas faire cela. La naissance est un événement familial, intime et privé.

Je pense qu'il s'agit d'un choix politique : maintenir les maternités à un niveau de sécurité satisfaisant sera un enjeu très important et financièrement très élevé. En revanche, des économies seront engendrées par la diminution des dépressions post-partum et des situations de stress post-traumatique. Il faut investir afin d'attirer les praticiens dans ces maternités de manière pérenne.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - L'Académie de médecine préconise en effet de fermer les maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, mais nous n'envisageons pas de fermer toutes les maternités de taille moyenne ou petite, il faut forcément adapter les décisions en fonction des territoires.

Mme Anna Roy. - Il faut faire attention. Ces politiques font le lit de pratique d'accouchement non assistés et de pratique d'accouchements à domicile non encadrée.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Les questions centrales restent celles du manque d'effectifs de médecins et de la pénurie de vocations, quel que soit l'investissement financier engagé. Il convient de trouver collectivement des solutions, d'où nos discussions dans le cadre de cette mission d'information.

Mme Renée Greusard. - J'aimerais aborder la question des accouchements à domicile. Les sages-femmes sont en effet diabolisées lorsqu'elles proposent ce dispositif. Compte tenu d'une défiance envers le corps médical, des fermetures de maternités et d'un manque d'effectifs, les femmes souhaitent de plus en plus accoucher à domicile. Malgré tout, les sages-femmes n'ont pas la possibilité de les accompagner dans cette démarche. Cette situation est lunaire. C'est comme si des obstacles étaient volontairement dressés pour éviter que les accouchements se déroulent bien.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - Dans la région de Clermont-Ferrand, il existe une solution de maternité mobile, un centre périnatal dans lequel il n'est pas possible d'accoucher, mais qui permet de disposer d'un suivi. Cette solution peut être intéressante pour s'intégrer au quotidien des patients. Il n'est pas question d'isoler les femmes avant d'accoucher, c'est un non-sens.

M. Patrice Joly. - Merci pour vos propos, que je trouve rafraîchissants au regard des précédentes auditions au cours desquelles les intervenants, experts techniciens et médicaux, ne s'interrogeaient pas, mais nous donnaient des réponses. Vous parlez humanité et préoccupations psychologiques, alors merci.

Je suis sénateur de la Nièvre, je vis dans une commune au centre de la Bourgogne. Les femmes, depuis la fermeture de la maternité d'Autun, sont à minimum 1 h 15 en voiture des maternités les plus proches. Si on venait à fermer ces maternités qui ont toutes moins de 1 000 accouchements par an, la maternité la plus proche serait au mieux à 1 h 45. Derrière cette situation se dégage une question d'égalité : les femmes ne bénéficient ni du même niveau d'information ni de l'égalité territoriale. Que diriez-vous aux familles de ma commune quant aux perspectives d'avoir des enfants ?

J'aimerais connaître votre avis quant à la Maison des 1 000 premiers jours ; c'est un vrai sujet. Je constate les difficultés à la mettre en place sur certains territoires, notamment le mien, en compensation à la fermeture des maternités.

Mme Renée Greusard. - Je ne suis pas sûre de comprendre ce que signifie la Maison des 1 000 premiers jours. S'agit-il du dispositif des 1 000 premiers jours de l'enfant mis en place par le Gouvernement et du site d'information qui l'accompagne ?

M. Patrice Joly. -Il s'agit du dispositif de prise en charge de la patiente et de son enfant durant la grossesse et les deux ans suivant l'accouchement. C'est un dispositif en cours de mise en place par le ministère de la Santé sur tous les territoires suite à une mission portée par Boris Cyrulnik sur la question de la prise en charge des familles et ma question porte sur la réalité de sa déclinaison territoriale.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous avons abordé ce sujet il y a quelques jours. Nous constatons que de nombreuses déclinaisons territoriales autour d'un pseudo label des 1 000 premiers jours émergent peu à peu par le biais d'associations ou de professionnels. Nous nous interrogeons sur la pertinence de cadrer la situation, d'élaborer un cahier des charges ou de créer un label. Les idées qui émergent sont sûrement bonnes, mais diffèrent en fonction des territoires et englobent de très nombreux et divers sujets.

Mme Renée Greusard. - J'avais compris que ce dispositif était menacé et que l'association Maman Blues avait lancé une pétition afin que ce projet ne soit pas abandonné, le jugeant très pertinent. Je partage son avis et estime qu'il faut mettre en place un suivi de qualité.

Mme Anna Roy. - Il faut à tout prix réglementer le contenu de ces Maisons des 1 000 premiers jours à l'échelle nationale, mais il convient d'être vigilants quant aux effets d'annonce. Quelle en est la finalité : une stratégie de communication ou une vraie pratique de la santé sur le terrain ? Les termes « Maisons des 1 000 premiers jours » sont flous et veulent tout et rien dire. Par ailleurs, ce dispositif ne remplacera jamais une maternité accompagnant les femmes tout au long de leur existence : interruption volontaire de grossesse, grossesse, fausse-couche, etc. Pour cadrer la situation, il faudrait donc élaborer un cahier des charges avec l'aide d'experts, d'associations de patients et - j'insiste - de sages-femmes : elles seules savent quels sont les besoins des femmes et des mères tout au long de leur vie. Pour ce faire, il faut allouer des moyens financiers.

Mme Zoé Varier. - Monsieur Joly, vous nous avez demandé quoi dire aux femmes de votre territoire dont la maternité la plus proche se trouve à plus d'une heure trente de route : il faut leur dire de se battre pour conserver leur maternité.

Mme Florence Lassarade. - Je vais donner la parole à chacun pour que vous puissiez nous partager vos éventuelles propositions. Madame Varier, vous pourrez nous expliquer ce que vous espérez quant à l'accueil de vos podcasts auprès des femmes et comment améliorer la diffusion des connaissances scientifiques auprès du grand public.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - J'aimerais aborder la question des moyens et de leur réorientation. Force est de constater que la France alloue des moyens dans le domaine de la santé, à hauteur d'un pourcentage de son PIB qui n'est pas inférieur à ce qu'alloue la majorité des pays de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Mais c'est la question de la réorientation de ces moyens qui doit se poser. Comment sont-ils distribués ? Faut-il revoir cette organisation ? Il existe peut-être aussi une question de vocations.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - S'agissant du dispositif des 1 000 premiers jours, il existe déjà des centres de protection maternelle et infantile (PMI), des maisons des femmes, des associations... Malgré tout, j'ai la sensation que les dispositifs ne collaborent pas efficacement et que les moyens alloués sont éparpillés. Tout cela manque de cohérence. Il conviendrait de travailler collectivement et de créer un maillage région par région. En outre, compte tenu de la diversité de notre territoire, il me semble illusoire de penser que la solution pourrait être uniforme : elle doit s'adapter aux réalités territoriales.

Mme Renée Greusard. - Les moyens doivent être mieux dirigés en mettant en place une sage-femme par femme. Quant à la diffusion de l'information de manière générale, les experts devraient partager les comptes Instagram ou TikTok certifiés fiables et créer des partenariats avec eux.

Par ailleurs, toutes les femmes devraient, durant leur grossesse ou après, suivre une thérapie et être questionnées sur leur ressenti. Certaines sages-femmes exécutent déjà cette tâche. Il conviendrait également de dispenser des formations aux jeunes parents pour leur expliquer la réalité de la vie parentale. En outre, je crois à l'utilité des groupes Whatsapp, permettant de partager les informations, se soutenir et s'entraider. C'est un village qui pourrait être mis en place dès la maternité. Je regrette d'y avoir eu accès uniquement par le biais de mes séances d'hypnose payantes.

Mme Anna Roy. - La question des moyens est effectivement importante ; il convient de les allouer aux bons endroits. Par exemple, les PMI sont des structures formidables, mais sont fermées le week-end. À cette période, les praticiens libéraux seraient ravis d'accéder à ces locaux, mais ne le peuvent pas à cause de blocages administratifs ridicules. Il existe des centaines d'exemples similaires. La question de la redistribution des moyens est essentielle.

La salle d'accouchement est le seul endroit au monde où je me sentais réellement chez moi et j'en suis partie, car je maltraitais les femmes faute de moyens. Mettre en place une sage-femme par femme, ou pour deux femmes, ce qui semble plus réaliste, est un dispositif à mettre urgemment en place, pour la santé des mères et des nouveau-nés. Si les sages-femmes désertent les salles d'accouchement, ce n'est pas par plaisir. Il ne s'agit pas d'une question de salaire : me concernant, je veux bien être mal payée si la pratique de mon métier est belle et s'inscrit dans de bonnes conditions.

Mme Zoé Varier. - Anna Roy vient d'employer le mot "maltraitance", qui me paraît essentiel. Toutes les sages-femmes que j'ai interviewées ont aussi abordé le sujet de leur propre maltraitance et de celle de l'institution. Ce point doit être travaillé. Par ailleurs, il conviendrait de s'interroger sur les raisons de la pénurie de sages-femmes.

Enfin, j'ai interviewé une sage-femme qui m'a expliqué que l'Espagne dispensait des formations à destination des grands-parents afin d'accompagner les jeunes parents dans leur rôle sans être les parents de substitution. Je trouve cette idée formidable.

Mme Renée Greusard. - Moi aussi. Il existe de nombreux pays où constituer un village autour d'un enfant relève de la norme. Il convient de se recentrer sur des propositions naturelles.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Certaines solutions peuvent être simples et très utiles. En Suède, j'ai par exemple rencontré une femme qui m'a expliqué que sa puéricultrice l'avait mise en relation avec l'ensemble des mères accouchant en même temps qu'elle et que certaines, depuis, étaient devenues des amies.

Nous allons conclure cette audition et sommes preneurs de vos contributions écrites si vous souhaitez enrichir le rapport. Mesdames, je vous remercie pour votre présence et votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 30.

Mercredi 15 mai 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de Mme Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'agence régionale de santé d'Île-de-France, M. Mohammed Si Abdallah, directeur général adjoint de l'agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté, et Mme Caroline Suberbielle, Conseillère médicale auprès du Directeur Général de l'agence régionale de santé Occitanie

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi des représentants d'agences régionales de santé (ARS) : Madame Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'ARS Ile-de-France, Monsieur Mohammed Si Abdallah, directeur général adjoint de l'ARS de Bourgogne-Franche Comté, et, en visioconférence, Madame Caroline Superbielle, conseillère médicale auprès du directeur général de l'ARS Occitanie.

Nos auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale au regard des indicateurs de mortalité néonatale infantile et maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque, notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité et l'obésité. Ces indicateurs marquent des différences territoriales parfois importantes ; vous nous préciserez quelles analyses vous en faites dans vos missions. Cependant, l'analyse précise de ces indicateurs se heurte à l'impossibilité actuelle de croiser les données pertinentes en vue de constituer un véritable registre des naissances. Vous nous direz comment, au quotidien, vous utilisez ou non ces données pour établir un diagnostic fin des caractéristiques de santé de votre territoire.

Plus généralement, nous voulons aujourd'hui échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et sur l'organisation territoriale de l'offre de soins et des parcours de suivi qui peut être construite au niveau local.

L'enjeu de cette audition est d'avoir un prisme territorial sur les problématiques que nous analysons. Nous avons volontairement retenu la région capitale et adjoint plusieurs agences de territoire, comprenant des métropoles et des départements peu denses. Cette audition complète les échanges que nous pouvons avoir avec les ARS lors de travaux consacrés à un territoire en particulier. La mission s'est rendue en Meurthe-et-Moselle et se rendra le mois prochain en Bretagne. Nous avons organisé la semaine dernière des visioconférences pour évoquer les enjeux propres à la Guadeloupe et à Mayotte.

Vos agences sont responsables au niveau régional de la planification et de l'organisation de l'offre de soins. Or cette mission a aussi été constituée en réaction au rapport de l'Académie nationale de médecine, qui préconise une rationalisation du nombre de structures de type 1 au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2. Il nous paraît indispensable d'avoir votre avis sur ce sujet, qui est animé par une tension particulièrement importante entre les enjeux de proximité et de sécurité de soins. L'offre de soins actuelle représente-t-elle parfois un risque pour les mères et leurs enfants ? La fragilité de certaines structures au regard de la capacité à assurer des équipes fixes et stables est-elle le signe d'un « pourrissement », comme le qualifiait le professeur Ville, et donc l'amorce de fermetures qui ne sont pas assumées mais lentement rendues inévitables ? Des structures vous semblent-elles particulièrement fragiles au niveau local et menacées de fermeture soudaine ou prolongée, comme cela a-t-il pu être le cas à Lunéville ou Guingamp ? Des regroupements ou réorganisations sont-ils envisagés, notamment en anticipation de la révision des décrets de périnatalité ? L'Académie appelait à une réforme d'urgence ; est-elle envisagée au niveau national ou territorial ?

Nous avons également pu constater une forte disparité entre les régions concernant les modalités d'organisation des réseaux de périnatalité ou la mise en place de processus innovants dans le suivi et la prise en charge des parturientes et de leur bébé. Vous nous présenterez les dernières actions en la matière dans votre région, ainsi que, le cas échéant, les blocages que vous pouvez rencontrer dans la mise en place et le financement de ces projets. La rapporteure pourra également vous interroger, à titre prospectif, sur la réforme du financement des activités de gynécologie, d'obstétrique, de néonatologie, de prévention, ou encore des hôtels hospitaliers.

Notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande. Je vous laisse la parole pour une courte intervention liminaire. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure, Véronique Guillotin, pour une première série de questions. Nos collègues présentes pourront également intervenir pour vous interroger.

Mme Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'agence régionale de santé d'Île-de-France. -Chaque région a ses spécificités. Il est important que vous ayez une vision de la diversité des situations.

. Bien que nous ne rencontrions pas les mêmes problèmes que d'autres régions en matière d'offre de soins, nous rencontrons des difficultés en matière de ressources humaines, dans notre capacité à attirer, recruter et fidéliser des professionnels de santé dans le champ périnatal, des sages-femmes et infirmières puéricultrices principalement.

L'Ile-de-France affiche des indicateurs de santé périnatale plus mauvais que la moyenne nationale ainsi qu'une dégradation plus marquée de ces indicateurs depuis une dizaine d'années. En 2020, le taux de mortalité infantile était de 4,08 pour 1 000 naissances vivantes, contre 3,3 en France hexagonale, soit une différence de 25 %. L'Ile-de-France a connu les mêmes évolutions que le reste du pays mais toujours à des niveaux supérieurs : en 2001, l'Ile-de-France affichait un taux de mortalité infantile de 4,51, e taux a diminué jusqu'à 2013, puis augmenté depuis cette date. Les taux de mortalité périnatale et de mortalité maternelle sont également supérieurs à la moyenne nationale.

Les facteurs explicatifs sont ceux que vous avez identifiés pour la situation globale en matière de périnatalité : les facteurs sociodémographique - par exemple l'âge moyen des mères étant plus élevé en Ile-de-France que pour la moyenne française - la précarité et les difficultés sociales rencontrées par les parents également.

Les disparités sont particulièrement marquées au sein de l'Ile-de-France, région riche mais avec des populations très pauvres, voire extrêmement précaires. Le taux de mortalité infantile, de 4,08 pour l'Ile-de-France, peut aller jusqu'à 5,3 pour la Seine-Saint-Denis. Le Val-de-Marne et le Val-d'Oise sont également au-dessus de la moyenne régionale. Nous rencontrons des difficultés s'agissant de femmes venant d'accoucher, qui n'ont pas d'hébergement et qui restent donc à la maternité pour ces raisons. Ces situations d'extrême précarité sont concentrées sur certains départements, notamment la Seine-Saint-Denis, le Val-d'Oise et le nord-est de Paris.

La question de l'offre de soins n'est pas tant celle de la quantité, puisque nous avons des lits, que celle de la répartition de ces lits ainsi que de l'accès au suivi médical. Nous avons beaucoup de médecins en secteur 2, notamment parmi les médecins généralistes. Dans certains territoires, le suivi avant la naissance est assez difficile, puisque nous avons un problème de densité des médecins généralistes en Ile-de-France. Certes nous avons de nombreux professionnels mais les ratios rapportés à la population sont faibles : il y a de nombreux déserts médicaux en Ile-de-France. Ces tensions fortes sur les RH sont à la fois structurelles et conjoncturelles. La densité de professionnels est plus faible que la moyenne nationale pour les sages-femmes, les infirmières puéricultrices et les médecins généralistes. Nous avons également des tendances structurelles en matière d'exercice des professionnels de santé, notamment les sages-femmes, avec une volonté d'exercer en libéral et des départs pour la province de professionnels formés en Ile-de-France. Enfin, nous avons des tensions conjoncturelles pendant la période estivale.

Nous avons mené en 2013 des études épidémiologiques et sociologiques pour expliquer les écarts de l'le-de-France par rapport à la moyenne nationale s'agissant des indicateurs de mortalité périnatale. Ce qui joue, c'est l'interaction des différents facteurs précédemment évoqués, à savoir une situation défavorisée d'un point de vue socioéconomique et les caractéristiques du système de santé : pour une femme précaire, il est encore plus difficile d'avoir accès à un suivi médical avant l'accouchement, ce qui rend complexe le repérage des situations à risque. À l'issue de ces études, nous avons mis en place un plan d'action qui a été intégré dans le projet régional de santé, que nous avons actualisé et adopté en novembre 2023. La périnatalité est une des deux priorités thématiques que nous avons choisi de porter dans ce cadre, la seconde étant la santé mentale. Ce plan d'action est évolutif et partenarial.

Le premier objectif du plan est de diminuer les inégalités d'accès aux soins et de sécuriser les parcours en santé. Cela se traduit par un soutien des réseaux de santé périnatale et des efforts pour maintenir, à chaque étape, un suivi des femmes qui ont des difficultés d'accès aux soins. Nous avons ainsi développé des actions en médiation en santé et en littératie, afin de permettre une meilleure appropriation des conseils médicaux, ainsi qu'un repérage des personnes en situation de fragilité, notamment les personnes sans hébergement à l'issue de l'accouchement. Nous avons mis en place dans les maternités de Seine-Saint-Denis des unités d'accompagnement personnalisées (UAP), testées à Saint-Denis puis étendues également à la maternité de Montreuil ainsi que dans d'autres établissements du département.

Le deuxième objectif du plan est l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. L'enjeu est d'anticiper au maximum les situations complexes, notamment les grossesses pathologiques. Depuis 1998, nous avons une cellule d'orientation des transferts in utero, qui nous permet d'avoir une vision régionale sur l'ensemble des besoins et de les anticiper au maximum. Au moment où nous avons rencontré des tensions RH extrêmement fortes sur les maternités, nous avons mis en place un système d'appui au transfert pré et post-partum pour toutes les grossesses au niveau régional. Nous avons travaillé avec les réseaux de santé périnatale pour créer des protocoles de transfert et sensibiliser l'ensemble de la chaîne.

Concernant la gestion RH en santé, nous essayons de mettre en place des actions de fidélisation, en finançant notamment le contrat d'allocation études, qui permet de financer la dernière année d'étude des sages-femmes en échange d'un engagement de servir pendant 18 mois dans une maternité de la région. En 2023, nous en financions 83 à l'échelle de l'Ile-de-France. Ce chiffre, bien qu'ayant doublé en trois ans, reste limité. Jusqu'en 2023, nous n'avions pas instauré de limites et acceptions toutes les personnes qui remplissaient les conditions. Nous n'avons pas eu davantage de demandes. Ce dispositif est compatible avec les bourses. Il concerne tout de même une sage-femme sur trois sortant d'études en Ile-de-France.

Cela pose la question du volume de personnes formées. En 2022, nous avons été particulièrement inquiets. Nous comptions beaucoup de lits fermés et avons connu beaucoup de tensions en Ile-de-France, avec de nombreux départs. Le taux de remplissage de la filière de formation des sages-femmes, cette année, n'était que de 65 %. En 2023, il est remonté à 91 %. Nous avons largement encouragé la mutualisation des listes d'attente, considérant que certaines écoles de sages-femmes avaient des listes d'attente tandis que d'autres ne remplissaient pas leurs places. Nous souhaitons également travailler sur des postes partagés. Les sages-femmes qui travaillent en établissement de santé ont des contraintes en ce qui concerne les soirs et le week-end. Il s'agirait de répartir cette contrainte le plus largement possible. Nous souhaitons ainsi créer des postes partagés ville/hôpital, permettant aux sages-femmes qui le souhaitent de garder un exercice à l'hôpital en temps partagé. Il s'agit d'une piste à approfondir.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous avez dit avoir suffisamment de lits mais manquer de ressources humaines. Ces lits sont-ils fermés ?

Mme Sophie Martinon. - Oui. Nous sommes capables d'assurer une offre suffisante au regard des besoins. En revanche, nous avons deux enjeux. D'abord, en termes de répartition, nous observons des transferts, principalement de la Seine-Saint-Denis vers Paris, qui bénéficie d'une sur-offre. Ensuite, en 2022, nous avions environ 250 lits installés mais fermés pour raison de ressources humaines. Nous avons pu en rouvrir 150 en 2023, mais sommes encore en deçà du capacitaire installé. Par ailleurs, la difficulté porte moins sur les lits de maternité que de néonatalité. Nous avons chaque hiver un enjeu en la matière, notamment avec la bronchiolite, bien que la situation se soit améliorée cette année. Nous avons prévu dans le cadre du projet régional de santé d'augmenter le capacitaire, sous réserve d'être en mesure de pourvoir ces lits en matière de personnels.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Merci. Je donne la parole à Madame Superbielle.

Mme Caroline Superbielle, conseillère médicale auprès du Directeur général de l'agence régionale de santé Occitanie. -En préambule, l'Occitanie est une vaste région, la seconde de France, avec 13 départements. Elle est très rurale et montagneuse. Elle connaît un fort dynamisme démographique, centré sur le littoral et les grandes métropoles de Toulouse et Montpellier. Sa population est caractérisée par d'importants écarts de densité et une forte précarité. Un habitant sur six est en situation de pauvreté et quatre départements se trouvent parmi les dix plus pauvres de France. L'offre sanitaire et médicosociale présente des disparités territoriales importantes. Nous devons donc consolider le maillage et soutenir les innovations et mutations nécessaires pour répondre à toutes les attentes.

En ce qui concerne la périnatalité, nos indicateurs ne sont pas satisfaisants. Dans l'immédiat, nous devons faire face à une situation dégradée notamment due à des difficultés RH. Nous devons également mener un travail sur le plus long terme, avec des évolutions réfléchies au niveau national et une consolidation du système RH.

L'Occitanie a connu une diminution de son nombre de maternités au cours des six dernières années, passant de 44 à 39 maternités. Sept maternités assurent moins de 550 accouchements par an en moyenne, dont une maternité qui est la seule de tout un département. La situation doit être appréhendée comme contrastée géographiquement, avec des temps de transport qui doivent être réfléchis en fonction des reliefs voire de la météo. Nous devons parfois maintenir des offres dans des territoires peu éloignés, mais difficiles d'accès, pour lesquels le temps de transport dépasse 45 minutes. La région dispose par ailleurs de dix centres périnataux de proximité (CPP) répartis sur sept départements. Une expérimentation de maison de naissance accolée à un centre hospitalier est en cours. Nous devons concilier les demandes pour un accouchement naturel, voire à domicile, pour lequel nous devons intégrer les femmes à un suivi pour éviter toute situation à risque non dépistée, ainsi qu'une bonne gradation des plateaux techniques, accessibles et équipés, avec les ressources humaines adéquates. Dans de nombreux établissements, chaque équipe a de petits effectifs et un problème sur une seule des professions - gynécologues obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes ou pédiatres - affecte l'ensemble du système. Nous devons donc être en mesure d'anticiper ces difficultés. Comme partout, la problématique RH est très prononcée en Occitanie, touchant d'abord les territoires et établissements déjà fragilisés et affectant les professions intervenant dans le cadre de la périnatalité. La prise en charge des parturientes en a subi les conséquences, via la fermeture de maternités, qui s'est accompagnée de déport de patients vers des établissements à proximité, ou la rupture d'accès aux soins de proximité relatifs aux IVG.

Le directeur général de l'ARS Occitanie souhaite maintenir une offre de proximité et ne pas poursuivre les fermetures de maternités, tout en réfléchissant à la prise en charge par une équipe territoriale, en s'appuyant sur les collaborations existantes, dont les groupes hospitaliers de territoires (GHT), avec l'appui du CHU. Chaque territoire étant particulier, nous n'avons pas défini de solution unique. Il s'agit de mettre en oeuvre une méthodologie. Nous nous appuyons beaucoup sur le réseau périnatalité Occitanie, qui est très actif et pour lequel nous avons la chance d'avoir un réseau unique pour toute la région, permettant une vision globale et des actions concertées. L'enjeu est d'anticiper les difficultés, d'inciter les établissements à définir leurs procédures et leur travail en mode dégradé et de chercher à faire évoluer l'offre. Des CPP sont mis en place à la fermeture d'une maternité, mais il y a des demandes pour que ces CPP s'inscrivent en complément des maternités, plutôt qu'en remplacement, pour assurer un suivi de la grossesse et éventuellement un suivi après l'accouchement. En l'état, l'accouchement ne se fait pas dans ces centres. L'orientation de la femme enceinte vers la maternité adéquate doit donc être définie en fonction des risques évalués pour l'enfant ou pour elle-même. Des réflexions nationales étaient menées sur l'évolution des possibilités de prise en charge par les CPP. Nous sommes en attente des éventuelles conclusions.

Le dispositif du parcours structurant des 1 000 premiers jours a quant à lui été très important pour dépister les vulnérabilités. En revanche, il doit déclencher l'entrée dans un parcours et un suivi et nécessite une grande vigilance, puisque nous avons, dans certaines zones, des difficultés RH. Nous devons donc renforcer cette offre pour que la prise en charge soit sécurisée tout au long des périodes de fragilité.

Nous avons également développé un autre dispositif « COCON », relevant des possibilités d'expérimentations ouvertes par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale. Il concerne le suivi des prématurés sur les premiers mois de leur vie.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous invite, Monsieur Si Abdallah, à nous communiquer quelques informations. J'ai lu que le Jura faisait partie des départements les moins bien fournis en termes d'indicateurs. Disposez-vous d'analyses plus précises ainsi que d'explications ?

M. Mohammed Si Abdallah, directeur général adjoint de l'agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté. -Il s'agit pour nous d'un sujet de vigilance majeure. Notre région est rurale et très grande, avec 2,7 millions d'habitants à peine. Elle a déjà connu des restructurations de l'offre de soins par la force des choses. Trois maternités ont été suspendues en dix ans dans le Jura. Chaque année, nous rencontrons des difficultés à faire fonctionner nos maternités, que nous avons pour objectif de conserver dans leur totalité. Deux de nos départements - la Haute-Somme et à la Nièvre - n'ont qu'une seule maternité. Nous sommes donc sans doute déjà au plus bas de l'offre que nous puissions garantir, même s'il peut y avoir des discussions sur une ou deux maternités. Il y a trois ans, à l'occasion d'une grève à Nevers, nous avons eu de grandes difficultés, nous avons dû réaliser des transferts de dossiers vers d'autres maternités pour garantir la sécurité des accouchements. La difficulté de la situation nous oblige à trouver des solutions différentes. Nous avons encore des difficultés sur la quasi-totalité des maternités de la région, puisque seules trois - les deux CHU et l'hôpital de Trévenans dans l'aire urbaine de Montbéliard - déclarent avoir des effectifs complets s'agissant des médecins obstétriciens, pédiatres et anesthésistes. Toutes les autres déclarent avoir des difficultés sur ces trois métiers, en particulier la pédiatrie. 70 % des maternités indiquent avoir des effectifs de pédiatrie incomplets, une sur deux s'agissant des gynécologues-obstétriciens et un tiers s'agissant des anesthésistes. La situation s'est améliorée pour les anesthésistes et surtout pour les sages-femmes. Quelques difficultés persistent pour les infirmières puéricultrices.

Des coopérations sont effectives de longue date au sein des GHT. Le CHU vient ainsi en appui, mais celui-ci a ses limites. Nous lui demandons une vigilance sur les plus grosses maternités, sans qu'il se mette en danger pour autant. Nous avons beaucoup travaillé sur ces organisations, en anticipant toutes ces difficultés.

Nous travaillons beaucoup sur l'attractivité. Un grand plan attractivité a été mis en place, notamment en finançant des bourses. Nous travaillons avec les doyens d'université, les préfets de région et la présidente de région sur ce sujet. Nous demandons aux professionnels de travailler ensemble dans le sens d'équipes territoriales, afin de faire en sorte que les jeunes ne se sentent pas isolés et puissent avoir accès à la recherche. Notre région accueille beaucoup d'étudiants, grâce à une bonne qualité de formation. Les jeunes générations, cependant, quittent beaucoup la région, qui vieillit en conséquence. Les accouchements ont diminué de 13 % entre 2018 et 2022, et de 6 % entre 2022 et 2023,

S'agissant des données de santé, nous avons beaucoup de difficulté à les obtenir. Nous travaillons sur les dispositifs de parcours et avons beaucoup de CPP, qui ont une offre assez riche et étendue, notamment en matière de prévention, avant même la conception, et en matière de pédiatrie.

La dernière maternité suspendue a été celle d'Autun, il y a deux ans et demi. Elle fonctionnait avec 2,2 ETP de gynéco-obstétriciens et un seul pédiatre depuis des années. Tout a été fait pour tenter de redynamiser cette équipe mais cela n'a pas fonctionner. Cela s'est terminé par une suspension et non avons dû gérer des transferts.

L'enjeu est d'anticiper ces difficultés et de mettre en place des dispositifs de réponse aux besoins et d'information des patients. La région est difficile d'accès. Le Jura a mis en place des conventions avec les sages-femmes libérales, qui leur permettent de monter dans le SMUR ou l'ambulance pour accompagner leurs patientes. À Autun, nous avons mis en place un dispositif de SMUR obstétrical. Une sage-femme est de garde H24 et peut recevoir toutes les femmes qui arriveraient aux urgences. Si besoin, sur des menaces d'accouchement prématuré, la sage-femme peut accompagner le médecin urgentiste. Nous avons également mis en place des dispositifs permettant de travailler ensemble. Une fédération médicale interhospitalière a été instituée entre les établissements de Nevers et Châlons, et une convention avec l'hôpital du Creusot. Ces dispositifs visent à sécuriser le parcours.

En ce qui concerne le repérage des grossesses à risque, toutes les maternités bénéficient de personnels médico-psycho-sociaux, permettant de repérer toutes les difficultés liées à la précarité, afin de mieux organiser les prises en charge et bien orienter ces femmes. Des dispositifs ont également été mis en place sur la santé mentale, comme les équipes mobiles. Ce sujet est majeur pour l'ARS. La sécurisation du parcours périnatal des parents participe de l'attractivité de la région.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci de votre présence pour enrichir notre réflexion et la rédaction de ce rapport, qui doit être rendu fin juin. Celui-ci est né de l'interpellation du rapport de l'Académie de médecine de mars 2023, qui avait fixé une limite de nombre de naissances par an et maternité, considérant qu'en deçà de 1 000 naissances, la maternité n'était pas viable et qu'il était préférable de concentrer les plateaux d'accouchement, pour favoriser les ressources humaines. Quel regard portez-vous sur ce rapport ?

Vous considérez manifestement que la périnatalité doit se traiter par territoire, compte tenu des différences entre territoires. S'agissant de l'Occitanie, vous avez indiqué que cinq maternités avaient fermé sur une quarantaine. Quels motifs ont guidé ces fermetures ? De quel type les maternités restantes sont-elles ? Combien de naissances enregistrent-elles par an ? Pensez-vous être arrivés au terme d'une forme de restructuration ?

Vous avez également évoqué des problèmes d'IVG lors de la fermeture des maternités. Comment y avez-vous réagi ?

Vous avez l'expérience d'un SMUR obstétrical. Pouvez-vous en tirer un bilan ? Y a-t-il un sur-risque pour les mères et leurs bébés, eu égard à l'éloignement, par rapport à l'époque où la maternité était encore en place ?

Mme Caroline Superbielle. - Ces fermetures de maternité ont eu lieu avant mon arrivée. Mes collègues référents en périnatalité m'ont indiqué que ces maternités étaient des établissements privés et avaient été fermées par les groupes de santé auxquels elles appartenaient. Sur les petites maternités, nous souhaitons maintenir l'offre de soins. Les situations sont différentes selon qu'il s'agit d'une maternité isolée de petite taille ou de deux maternités de petite taille proches l'une de l'autre, qui sont incitées à collaborer et se renforcer mutuellement. Je n'ai pas plus de détail à vous communiquer sur les fermetures.

Concernant les IVG, nous devons rester très vigilants. Lorsque les ressources RH diminuent, avant d'arriver à l'arrêt des accouchements, nous avons d'abord une difficulté d'accès à l'IVG. La suspension ou l'arrêt d'une activité supposent de déterminer comment prendre en charge les femmes qui ont besoin de recourir à l'IVG.

S'agissant du transport médicalisé, en Occitanie, nous avons une cellule de transfert in utero coordonnée par le réseau. Nous n'avons pas de SMUR obstétrical spécifique. Le sujet des transports est cependant à étudier. Dans le cas spécifique de maternités limitrophes d'un autre département, des difficultés de transport en urgence par des opérateurs non habilités à passer d'un département à l'autre peuvent se présenter. Ce sujet des transports est lié à celui du développement des hébergements temporaires. Si nous devons restructurer les plateaux techniques, nous devons pouvoir héberger une femme au plus proche de la maternité et l'amener au plus vite. Nous avons également un important enjeu de communication auprès des femmes du bassin de population. Nous avons dû suspendre l'activité d'une maternité à Ganges. Dans ce cadre, une femme dont le travail commence doit savoir que, plutôt que de prendre la route, des urgentistes de l'hôpital peuvent assurer une prise en charge intermédiaire. Nous avons donc besoin d'une réflexion sur les CPP et leurs rôles.

M. Mohammed Si Abdallah. - Nous avons fait le choix de demander à toutes nos maternités de mettre en place des hébergements temporaires. 80 % des maternités proposent aujourd'hui des hébergements temporaires non médicalisés.

Le SMUR est quant à lui en place depuis un an et demi, et H24 depuis le début de l'année. Nous avons comptabilisé dix interventions en un an et demi, pour des menaces d'accouchement prématuré, dont trois accouchements à domicile. Nous ne pensons pas que les femmes attendent plus longtemps. Dans le Jura, nous n'en avons pas eu. Ce sujet se travaille sur chaque bassin de territoire. On ne réagit pas seulement sur un chiffre, un seuil mais sur un écosystème, une organisation avec l'ensemble des professionnels.

Par ailleurs, nous mettons en place des coordinations ville-hôpital pour faciliter les parcours entre l'hôpital et les professionnels libéraux.

S'agissant de la contraception, nous avons tout fait pour maintenir l'accessibilité à l'orthogénie et aux moyens de contraception mécanique ou médicamenteuse. La consultation spécifique est toujours assurée sur site. Nous essayons d'y veiller sur l'ensemble du territoire, au travers de nos CPP ou en organisant des solutions sur le GHT.

Mme Sophie Martinon. - S'agissant de l'Ile-de-France, nous avons fermé six maternités entre 2017 et 2023. La plupart de ces fermetures relèvent de logiques de groupes privés, puisqu'il s'agissait de six maternités privées. Pour la plus récente, nous avons suspendu l'autorisation suite à un événement indésirable grave, ce qui a amené le groupe concerné à fermer la clinique. Ces six maternités enregistraient moins de 1 000 accouchements par an. L'analyse territoriale est indispensable. Il est très difficile de définir des seuils. L'enjeu est plutôt celui de la gradation. Nous avons 19 maternités qui réalisent moins de 1 000 accouchements par an sur 75 maternités en Ile-de-France. 13 sont privées. La part du privé dans le total des accouchements en Ile-de-France est aujourd'hui de 15 %.

Nous sommes très attentifs aux activités d'orthogénie et à l'IVG. La fermeture de la maternité ne s'accompagne pas nécessairement d'un arrêt de l'activité d'orthogénie, puisqu'un CPP peut assurer cette activité.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ces maternités privées ont-elles été fermées pour des raisons d'équilibre financier ou de personnel ?

Mme Sophie Martinon. - Je ne pourrais vous répondre de manière précise, mais il s'agit d'une décision des gestionnaires, donc vraisemblablement pour absence de rentabilité. Cependant, faute de pouvoir trouver les ressources humaines, un problème de fonctionnement se pose.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La question du modèle économique soutenable se pose. Par ailleurs, beaucoup de personnes appellent à la révision des décrets de périnatalité de 1998. Entre les décrets et la révision des tarifs à venir, un impact est-il attendu sur la consolidation des équilibres des maternités les plus petites ? Quel est votre regard sur ces deux sujets, concernant le fonctionnement des maternités ?

Mme Sophie Martinon. - Pour la campagne tarifaire de cette année, un effort particulier a été consenti sur les tarifs des maternités. Cette forme de remise à niveau permet sans doute de sécuriser un certain nombre d'établissements. Il est toutefois difficile de se projeter sur la durée. Nous avons peu de visibilité sur l'impact des réformes envisagées en matière de financement. La prise en compte d'une dimension populationnelle, au sens du service rendu sur un territoire donné, est importante pour le maintien d'une offre.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Monsieur Si Abdallah, vous évoquiez un problème d'attractivité pour les personnels soignants. Nous avons inauguré il y a quelques mois une maison à Montbéliard, à l'initiative d'un professeur hospitalier, qui offre des possibilités de logement d'internes, des salles de réunion pour les personnels soignants, et qui faisait l'objet de nombreux espoirs, pour la fédération des équipes soignantes. Avez-vous déjà un retour en la matière ?

Vous avez tous évoqué des problématiques RH et de recrutement. Dans tous les domaines, nous manquons de médecins. Les nouvelles générations, par ailleurs, ne travaillent plus comme les anciennes, en termes de temps de travail ou de pratiques. Comment vous projetez-vous dans l'organisation territoriale par rapport à ces critères ?

Face à cette problématique de fermeture de petites maternités, quelle est pour vous la limite à ne pas dépasser ? En quoi est-elle liée aux problématiques de temps de transport ou de sécurité ?

Mme Annie Le Houerou. - Pouvez-vous nous donner des informations sur les bonnes pratiques pour mobiliser au plus près des lieux d'exercice les professionnels de santé ? Les médecins sont plutôt dans des grandes villes et peuvent difficilement se rendre en milieu plus rural. Comment assurer une meilleure répartition des ressources humaines et des professionnels de santé dans les territoires ?

Sur le plan de la fidélisation des professionnels de santé, les centres de périnatalité sont souvent considérés comme des lots de consolation temporaires, difficiles à pérenniser. Les sages-femmes sont intéressées par l'ensemble de l'accompagnement de la femme, avant, pendant et après l'accouchement. Les contraintes de l'hôpital sont assez dissuasives pour elles ; elles s'installent donc de préférence en libéral. Le constatez-vous ? Comment redonner de l'intérêt à ces centres de périnatalité ?

Beaucoup de femmes ne veulent pas aller accoucher loin de leur domicile et sont inquiètes à la perspective de devoir aller, plusieurs jours avant leur accouchement, dans un hôtel plus proche de la maternité. Ce n'est pas un cadre serein pour accoucher.

Enfin, concernant les accouchements naturels ou à domicile, souhaités par un nombre croissant de femmes, qui s'accompagnent de risques plus importants que dans une maternité organisée, disposez-vous d'éléments précis ?

Mme Céline Brulin. - Nous voyons que vous faites de la santé périnatale une priorité dans vos régions respectives. Cette priorité ne devrait-elle pas être impulsée à un niveau national, pour être ensuite déclinée au niveau régional ? En termes d'attractivité notamment, vous déployez des dispositifs, mais si chaque région met en place ses propres dispositifs, dans le contexte de pénurie de professionnels de santé que nous connaissons, des effets de concurrence peuvent avoir pour conséquence de déplacer les problèmes.

Par ailleurs, au regard des pénuries et du manque d'attractivité constaté, avez-vous, dans vos régions, des places ouvertes en formation qui correspondent aux besoins ? Sont-elles pourvues ?

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez évoqué les étudiants formés qui quittent votre région. Pour quelle raison le font-ils, et où vont-ils ?

Mme Sophie Martinon. - En ce qui concerne les ressources humaines en santé, nous constatons de manière générale un taux de fuite en province, sur toutes les professions, pas seulement de santé. L'Ile-de-France est une région formatrice. Pour des raisons de qualité de vie, les professionnels jeunes décident d'avoir un enfant ou de l'élever ailleurs, particulièrement sur l'arc atlantique et la Nouvelle-Aquitaine. Nous avons moins de difficultés sur le personnel médical, mais beaucoup plus de difficultés s'agissant des professions paramédicales. Quatre départements sont de 50 %en deçà de la moyenne nationale, en termes de densité de sages-femmes. En Seine-Saint-Denis, nous avons 65 sages-femmes pour 100 000 femmes de 15 à 54 ans, contre 142 pour la France entière. Nous en formons, mais sans doute pas suffisamment. Nous réfléchissons à l'augmentation du volume de formation de nos sages-femmes, ce qui n'est pas aisé, puisque cet arbitrage n'est pas réalisé au niveau régional. Nous avons également un sujet d'éclatement des compétences, partagées entre le ministère de la Santé, le ministère de l'Enseignement supérieur et les conseils régionaux. Sur ce sujet majeur, qui conditionne la qualité et la sécurité des soins, nous avons un enjeu collectif à remonter cette priorité à un niveau plus important.

Dans chaque région, des besoins ne sont pas couverts, mais ils ne sont pas partout les mêmes. Pour les sages-femmes, un levier est efficace mais difficile à mettre en place : les postes partagés entre ville et hôpital ou entre hôpitaux. De nombreuses sages-femmes libérales quittent l'hôpital parce qu'elles n'ont pas cette double possibilité. Beaucoup d'entre elles, si elles avaient la possibilité de continuer à travailler en salle de naissance, le feraient volontiers.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le frein à la mise en place de ces postes partagés ?

Mme Sophie Martinon. - Il se pose un sujet d'appropriation. Nous n'avons aujourd'hui que quatre postes de sages-femmes partagés ville-hôpital en Ile-de-France. Il ne s'agit pas d'un sujet de financement. Peut-être les paramètres ne sont-ils pas les bons. Il s'agit de cumuler une activité libérale et une activité salariée, ce qui peut poser des obstacles administratifs. Un sujet de niveau de rémunération se pose également. Ce dispositif cible aujourd'hui plutôt des libéraux à qui une activité salariée à l'hôpital serait proposée. Il s'agit de savoir comment diffuser cette information. L'Assurance maladie, dans le cadre de sa négociation avec les sages-femmes libérales, avait réfléchi à l'intégration d'une disposition dans la convention. La diversité des exercices est un facteur d'attractivité. Elle pose cependant des difficultés en termes organisationnels et administratifs.

Nous avons en outre des sujets nationaux, y compris s'agissant de la répartition des professionnels de santé sur le territoire. S'agissant des sages-femmes, nous avons des dispositifs incitatifs. Les zones sur-denses en sages-femmes libérales s'en satisfont. Il s'agit de savoir comment assurer, collectivement, une planification adéquate. Par ailleurs, nous avons poussé les sages-femmes à s'installer en ville pour prendre en charge des besoins qui n'étaient plus assurés par les gynécologues. Nous en avons également besoin pour le suivi des femmes en situation précaire. Nous devons donc trouver un équilibre entre des dynamiques individuelles et collectives, locales et nationales, et des mesures incitatives et planifiées.

M. Mohammed Si Abdallah. - Sur la question de l'attractivité, à Autun, nous avons fait en sorte que le dispositif soit très large, avec des salariés de l'hôpital, des sages-femmes libérales et des sages-femmes de l'hôpital privé du Creusot. Elles arrivent à armer la garde H24 du SMUR. Nous essayons de leur proposer une activité diversifiée et rencontrons une bonne adhésion. L'attractivité passe par celle du métier lui-même, via la diversification des activités. De même, pour les médecins, nous proposons des postes de chefs de clinique territoriaux. Quand un candidat nous propose un projet de recherche, nous le soutenons. Nous travaillons également sur les équipes territoriales Nous avons également une bonne expérience des internats ruraux qui permettent de regrouper tous les professionnels de santé en stage dans la région.. Ces jeunes professionnels n'ayant pas nécessairement le permis, il s'agit de penser aux moyens de locomotion, aux formations organisées en visioconférence, etc. Nous devons les écouter et travailler avec eux. Les professionnels recherchent aujourd'hui un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il y a aussi la question du stress afférent à la présence en salles de naissance. Lorsque nous leur demandons un soutien pour maintenir une activité dans une clinique, ils répondent toujours positivement. J'en profite pour les remercier devant vous. Des sujets administratifs se posent parfois, lorsque des praticiens hospitaliers souhaitent soutenir une clinique privée. Il faut parfois en passer par des réquisitions. Il faudrait pouvoir alléger les procédures administratives entre praticiens de secteurs différents. La prime de solidarité territoriale (PST) nous a beaucoup aidés, mais elle appauvrit parfois l'hôpital qui fournit ses personnels à un autre hôpital.

Sur la question de la formation, nous remplissons tous les postes. Nous avons ajouté deux postes à Dijon et les avons pourvus de deux internes dès le semestre suivant. La seule difficulté reste liée au fait que Dijon et Nevers sont éloignés de 2h30 par le train ou la voiture. L'attractivité ne dépend pas seulement du métier, mais aussi, par exemple, de l'accès à la culture. Les jeunes sont attentifs à toutes ces questions. Nous les encourageons à avoir recours à des conciergeries, de la garde d'enfant, etc. Nous les soutenons financièrement. Cette aide et ces actions pour bien les accueillir les inciteront à rester et travailler chez nous.

L'année dernière, nous avons pu maintenir toutes les maternités. Tel restera notre combat. Effectivement, la distance peut être complexe. Nous avons des conventions avec les sages-femmes, qui peuvent accompagner leurs patientes, le SMUR obstétrical, etc. Nous devons travailler ces modèles avec les professionnels et l'écosystème.

Sur la question de la formation des professionnels, la santé mentale n'est pas imprégnée dans la culture de la formation. Nous devons faire en sorte que les professionnels soient formés très tôt au repérage.

En ce qui concerne les maisons de naissance à côté de l'hôpital, un chef de pôle m'a indiqué que ces maisons ne proposent pas d'accès à la péridurale. 30 % de ces grossesses physiologiques finissent à l'hôpital. Il y a trois ans, à mon arrivée, nous avons eu un décès à domicile. Nous devons donc nous sécuriser.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Sur les accouchements accompagnés à domicile, il nous a été indiqué que les indicateurs étaient plutôt bons. Si les sages-femmes sont trop éloignées de la maternité, elles n'acceptent pas de s'en occuper. Au moindre souci en période prénatale, les personnes sont invitées à aller à l'hôpital. Dans le cas contraire, les sages-femmes n'acceptent pas de les suivre. Lors de l'accouchement, en cas de diminution du battement foetal, un départ vers l'hôpital est décidé. Ceci explique pourquoi les chiffres sont bons, puisqu'un filtre constant est assuré, en vue d'une redirection.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous vous remercions pour votre participation et vos explications. Monsieur, je vous demanderai une contribution supplémentaire, puisque vous avez évoqué l'allègement de procédures administratives pour les secteurs différents. Nous vous invitons à le préciser.

M. Mohammed Si Abdallah. - Notre territoire étant vaste, il s'agit de permettre à une personne de repartir, si l'accouchement a lieu loin de son domicile, vers un hôpital de proximité, afin de terminer son hospitalisation de deux ou trois jours. Cela n'est pas possible aujourd'hui, car cela nécessite un gynécologue et un pédiatre sur place.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Merci. Nous entendrons la semaine prochaine la Cour des comptes et la présidente de la 6e chambre, qui nous présentera le rapport sur la périnatalité publié la semaine dernière.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 heures.