Jeudi 11 mai 2023

- Présidence de M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Table ronde sur l'attractivité, pour les jeunes diplômés, des emplois et des opportunités entrepreneuriales dans les territoires d'outre-mer-Partie I

La réunion est ouverte à 9 heures.

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. - Nous sommes heureux de l'organisation conjointe de ces tables rondes, sur un thème insuffisamment abordé. En effet, le défi de l'emploi local est crucial pour l'entrepreneuriat en outre-mer. Beaucoup de territoires y sont confrontés, mais la spécificité de l'outre-mer méritait que l'on s'y attarde pour identifier les obstacles au retour des jeunes diplômés dans leur territoire. Est-ce un problème d'inadéquation des emplois et compétences recherchés avec les qualifications de ces jeunes ? Les initiatives entrepreneuriales peuvent-elles être une solution ? Quelles sont les difficultés rencontrées par ceux qui tentent de créer leur entreprise ?

Ces questions font écho aux travaux en cours de la délégation aux entreprises sur le thème de la formation, des compétences et de l'attractivité des métiers, menés par Michel Canévet, Martine Berthet et Florence Blatrix Contat.

Notre seconde table ronde permettra de valoriser différentes initiatives privées montrant la dynamique des chefs d'entreprise en outre-mer. C'est cette approche pratique, de terrain, qui nourrit les travaux de notre délégation depuis plus de huit ans.

Nous sommes une instance unique au sein du Parlement, ayant pour mission de recenser les obstacles au développement des entreprises et de proposer des mesures visant à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires. Le dialogue avec les chefs d'entreprise, lors de visites de terrain, constitue l'ADN de la délégation. Elle a déjà rencontré environ deux mille dirigeants au cours de la quarantaine de déplacements effectués dans différents départements et des six éditions de la Journée des entreprises organisée au Sénat.

La délégation compte en son sein des membres très impliqués et passionnés, dont le président Stéphane Artano. Je vous remercie d'avoir fait le pari de cet événement commun, et remercie tous les participants.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je remercie le président Serge Babary pour l'organisation conjointe de cette table ronde. Cette collaboration s'inscrit dans l'esprit du rapport Gruny en faveur de plus de travaux conjoints et concertés des différentes instances du Sénat. Enfin, la vocation de la délégation aux outre-mer est de diffuser la culture ultramarine auprès de tous nos collègues.

Nous avons souhaité traiter de la question du recrutement et de l'attractivité des entreprises ultramarines pour plusieurs raisons. Nous pointons régulièrement le défaut structurel d'ingénierie, administrative, organisationnelle, technique ou financière, dans les outre-mer. Cela vaut pour les organismes publics comme pour les entreprises, dans tous les domaines. La difficulté à attirer ou retenir les talents obère et retarde la réalisation des projets. Les outre-mer fourmillent de projets, mais ils peinent à sortir de terre.

La situation démographique est inquiétante dans plusieurs territoires. Les Antilles, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon sont en déprise démographique et se vident de leur jeunesse. Inversement, la Guyane ou Mayotte connaissent un boom démographique, mais ne parviennent pas à attirer les jeunes actifs, créateurs de richesse.

Les récents travaux de nos collègues Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier sur la continuité territoriale ont mis l'accent sur la question du retour au pays. La réforme de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), en cours de préparation, devra s'y attacher. Nos collègues recommandent ainsi de « mettre Ladom au service des projets de territoire définis par les collectivités ultramarines » - notamment pour les métiers en tension ou l'accompagnement des étudiants ultramarins dans leurs projets post-études.

Enfin, pour faire écho au leitmotiv du ministre délégué chargé des outre-mer Jean-François Carenco, la création de valeur doit être la priorité des politiques publiques si l'on veut répondre à l'insatisfaction de nos concitoyens ultramarins. Or cette création de valeur ne pourra se faire sans des femmes et des hommes compétents et qualifiés.

Pour cette première table ronde, nous entendrons d'abord Mme Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer (DGOM). La question de l'attractivité des territoires est au coeur des arbitrages en cours en prévision du Comité interministériel des outre-mer prévu le 12 juin. Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques, vous accompagne.

M. Didier Fauchard, vice-président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), président du Mouvement des entreprises de France Réunion (Medef Réunion), se fera l'écho des difficultés que rencontrent les entreprises ultramarines pour recruter les talents et les personnes qualifiées nécessaires à leur développement. Votre expérience réunionnaise sera évidemment très intéressante.

M. Yannick L'Horty, professeur de sciences économiques à l'université Gustave Eiffel, auteur d'études sur la discrimination à l'embauche des jeunes ultramarins, nous dira si ces discriminations ou des barrières à l'embauche existent également outre-mer, en particulier dans les territoires d'origine des jeunes diplômés. Peut-être pourrez-vous nous donner des pistes sur la manière de désamorcer ces barrières.

Enfin, nous entendrons Mme Cynthia-Renée Sagne, cofondatrice de l'association Guyan'Envol, qui a développé des dispositifs de parrainage et d'accompagnement des jeunes ultramarins vers les études supérieures. Quid de la suite du parcours de ces jeunes ? Comment envisagent-ils le début de leur vie professionnelle ? Au pays ou ailleurs ? Vous nous ferez part de votre expérience.

Je vous cèderai tout d'abord la parole pour un bref propos liminaire, puis mes collègues vous poseront des questions.

Mme Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer (DGOM). - Merci pour cette initiative conjointe. Il est toujours fécond de croiser les regards, entre praticiens, porteurs de projets et académiques.

Vu de notre porte - celle d'une administration interministérielle chargée de faire infuser le réflexe et la sensibilité ultramarine dans les différentes administrations, car ce qui est conçu pour le Finistère ou l'Aveyron n'est pas forcément adapté aux outre-mer - les territoires ultramarins sont dans un huis clos économique, qui freine le développement et nuit à la croissance du territoire et au bien-être de la population.

Les raisons en sont multiples. D'abord, le huis clos géographique, fait physique indépassable, avec comme conséquence des marchés étroits où il est difficile de faire émerger des modèles compétitifs et de dégager des économies d'échelle. Mais des solutions existent : la connectivité, la politique de continuité territoriale, en cours de réforme, ou encore la réforme de l'aide au fret.

Ce huis clos est aussi lié à l'histoire coloniale, avec un modèle d'entreprises dominantes, essentiellement de main d'oeuvre, alors que ces territoires ont besoin de monter en qualification. Difficile pour des entreprises concurrentes matures de percer sur ce marché.

Il y a d'autres plafonds de verre qu'il nous faut dépasser, par des accompagnements adaptés : l'économie informelle, la difficulté de passer de zéro à un salarié, l'insuffisance des fonds propres, qui freine l'accès au crédit et aux aides publiques.

Huis clos aussi dû à la complexité et à l'instabilité de la fiscalité locale, source d'incertitude. Le ministre délégué aux outre-mer souhaite travailler, avec les acteurs économiques, les collectivités et les ministres concernés, à une fiscalité plus transparente, plus cohérente, plus protectrice du pouvoir d'achat - sans porter atteinte aux ressources des collectivités territoriales, pour qui l'octroi de mer est une ressource importante.

Huis clos dans la relation univoque, trop exclusive, entre les territoires d'outre-mer et la métropole. L'essentiel des relations commerciales se font avec l'Hexagone. Nous avons engagé des travaux avec l'Union européenne pour créer un marquage RUP (région ultrapériphérique) qui permettrait à ces territoires de commercer avec leurs voisins - par exemple, à Saint-Pierre-et-Miquelon d'acheter au Canada des matériaux de construction pour un lycée, plutôt que de les faire venir de métropole. Il faudrait étendre cette initiative à d'autres secteurs. Nous devons développer la diplomatie économique, dans le cadre des conférences régionales par bassin. Nous finançons le soutien à l'export avec Business France.

Huis clos encore, avec l'exigence de penser le modèle économique de manière durable. Les territoires d'outre-mer situés dans la bande intertropicale seront les premiers et les plus violemment touchés par le changement climatique. Cette réflexion doit être portée par tous les acteurs, État, collectivités territoriales, société civile, entreprises. Il faut anticiper l'impact du changement climatique sur les modes de vie, sur l'alimentation, sur l'habitat, sur la question assurantielle, et réfléchir à comment réduire la dépendance à l'import, rééquilibrer la balance commerciale et diversifier le modèle économique.

Afin que les entreprises se développent, l'État mobilise des aides ; cela va des exonérations fiscales aux subventions, voire à la bancarisation, avec le soutien d'un certain nombre d'opérateurs.

J'évoquerai enfin les compétences et les qualifications. Même si les entreprises réussissent à exister, se développer et à être compétitives, elles ont besoin de talents. Or soit les talents partent faire leurs études ailleurs et ne reviennent pas, soit ils ont des problèmes d'accès la formation.

Il y a d'abord un réel problème d'illettrisme et d'illectronisme outre-mer, où les taux sont deux à quatre fois supérieurs à ceux de la métropole. Il est difficile d'apprendre lorsqu'on est dans ce cas. Les pouvoirs publics doivent mener des actions plus volontaristes. Le ministre y réfléchit avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (Anlci).

Avec les entreprises, les régions doivent s'emparer de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (Gpec), car la formation professionnelle relève de leur ressort. Elles doivent imaginer les métiers et les compétences de demain, dès maintenant, afin que les formations se mettent en place. Il faut anticiper et penser aux métiers que les jeunes ont envie de faire et non selon les besoins : on ne va pas forcément attirer des jeunes en leur disant que comme la Martinique sera le plus vieux département de France, ils doivent s'occuper des seniors... Le préfet de la Guadeloupe a fait l'exercice, et je pourrai y revenir.

Les entreprises ont aussi des responsabilités en la matière : il faut publier les offres de stage, d'apprentissage et d'emploi sur une plateforme unique. Nous avons déjà évoqué ce sujet avec la Fedom. Les offres de stage ou d'emploi ultramarines ne sont pas visibles en métropole. Les entreprises doivent oeuvrer davantage pour attirer des stagiaires et les fidéliser, par des stages de fin d'études ou du mentorat. Le Gouvernement travaille à renforcer l'apprentissage.

Les entreprises pourraient aussi prendre plus de risques, et offrir en outre-mer des postes avec davantage d'enjeux qu'en métropole, afin d'attirer les talents. Parfois, le passage outre-mer est un moment du parcours de carrière, une étape, sans s'y installer pour la vie. Il faut admettre l'idée que les jeunes générations soient mobiles.

Il faut ouvrir les chakras des territoires, et faciliter le retour des jeunes ultramarins. Ladom est en train de réfléchir à une nouvelle stratégie qui va dans le sens des propositions de Mme Catherine Conconne. Le dispositif Cadres d'avenir est en train de se développer en Guadeloupe et à Saint-Martin, avant la Martinique. Il faut accepter que les jeunes métropolitains réalisent un bout de carrière en outre-mer, et que les dispositifs d'accompagnement et d'attractivité ne soient pas uniquement réservés aux Ultramarins : la République, c'est aussi le métissage !

Les collectivités territoriales ont aussi une responsabilité dans la mise en place d'une politique attractive pour les jeunes talents. Il leur revient de penser un écosystème séduisant pour les jeunes générations : le logement doit être accessible à un jeune débutant qui n'a pas un gros salaire, mais a l'habitude de vivre seul. Il ne doit pas être contraint de revenir chez ses parents, mais avoir le choix.

Elles doivent offrir une offre culturelle, avec des cinémas et des infrastructures sportives notamment.

Il faut aussi davantage de pépinières de jeunes talents, comme le Village by CA, des clusters où les jeunes sont accompagnés.

M. Didier Fauchard, vice-président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), président du Medef Réunion - Je vous remercie de cet échange extrêmement important, alors que les entreprises ont de plus en plus de mal à recruter, quel que soit leur secteur, leur taille, leur localisation.

On ne peut pas séparer le sujet de la création d'emploi de celui du logement. Il n'y aura pas de développement économique si nos collaborateurs n'ont pas un logement adapté à leur situation de famille.

Il faut aussi travailler sur la mobilité. Celle-ci est d'abord interurbaine : j'habite au sud de La Réunion, tandis que le Medef se situe dans le Nord. Le trajet entre Saint-Pierre et Saint-Denis dure 2h30, sans offre de transports en commun. Un jeune dans ce cas va limiter sa recherche d'emploi dans une zone géographique extrêmement proche. La mobilité est ensuite extérieure, vers la France, l'Europe, mais aussi vers nos voisins régionaux, alors que nous voulons exporter nos produits et nos services là-bas.

Parfois, les outre-mer sont pointés du doigt sur l'illettrisme. Mais si l'école est devenue obligatoire dans l'Hexagone en 1880, elle ne l'a été qu'en 1970 à La Réunion, 90 ans plus tard ! En cinquante ans, nos régions ultramarines ont réalisé un gigantesque pas en avant pour l'éducation primaire, secondaire et l'enseignement supérieur. Oui, il y a de l'illettrisme, qui s'est réduit, et beaucoup reste à faire, notamment en matière de décrochage scolaire. Parfois, étant donné les conditions de vie actuelles, le jeune est le seul de sa famille à se lever le matin pour avoir une activité. C'est extrêmement délétère. Ainsi, il va décrocher vers 14 ou 15 ans et il réapparaîtra, socialement, au travers des missions locales, à partir de 18 ans. En trois ans, il aura perdu tous les repères de socialisation et les acquis de primaire, de collège et de lycée. Cette situation est inacceptable et porte les germes d'une future évolution sociale.

De nombreux jeunes sont formés à la fois localement et à l'extérieur ; ils sont partis non seulement vers l'Hexagone, mais aussi vers d'autres pays - en particulier le Canada et les pays de l'Est pour les jeunes Réunionnais. Ils ne disposent pas d'assez de moyens pour revenir, alors qu'ils avaient bénéficié de bourses d'études pour étudier ailleurs. Il n'y a pas de bourse au retour. Le jeune diplômé ou collaborateur doit se débrouiller tout seul pour revenir, trouver un logement, un véhicule et un emploi. Or l'attractivité de nos emplois est bien plus faible que sur le territoire hexagonal. C'est pourquoi que dès que nous sortons de notre région, la seule chose que nous avons, ce sont des pays souverains : Madagascar, Maurice, Les Comores, l'Afrique du Sud, le Kenya, le Mozambique... Il est extrêmement compliqué pour nous de proposer des postes intéressants puisque les perspectives de développement exogène à nos territoires ne sont pas possibles : nous n'avons pas la capacité de nouer des accords en direct avec nos voisins. Ces accords sont actuellement négociés directement par l'Union européenne ou la France. À aucun moment, nos territoires sont invités dans ces conférences, ne serait-ce qu'à titre d'observateurs. Mettre en oeuvre une ambition internationale nous permettrait de développer une croissance endogène et exogène. Nous subissons ces accords auxquels nous n'avons pas participé.

Les entreprises veulent aller de l'avant, créer de l'emploi et aller vers plus d'inclusion, de qualité de travail, de responsabilité environnementale et sociétale. Nous avons tous conscience que la transition écologique et énergétique sera spécifique dans les outre-mer. Or pour l'instant, il n'y a aucun élément nous laissant croire que ces politiques de transition seront adaptées aux outre-mer.

M. Yannick L'Horty, professeur de sciences économiques à l'université Gustave Eiffel. - Merci d'avoir organisé cette table ronde. Je suis professeur d'économie à l'université Gustave-Eiffel et je dirige une fédération de recherche du CNRS, Théorie et évaluation des politiques publiques (TEPP), qui réunit douze laboratoires et 300 enseignants-chercheurs. Tous les deux ans, nous organisons avec de nombreux collègues ultramarins les journées économiques de l'outre-mer avec de nombreux partenaires comme la DGOM et le Conseil économique, social et environnemental (Cese) qui accueille cette manifestation, chaque année paire. Chercheur spécialiste du marché du travail, j'ai réalisé plusieurs travaux sur les marchés du travail ultramarins et publié un article en 2014 qui reprend tous les thèmes abordés ce matin : ultrapériphérie, mobilité, problèmes d'adéquation entre l'offre et la demande de travail sur le marché ultramarin, accès à la formation... Tous ces problèmes, connus, contribuent à l'explication de la surexposition au chômage des territoires ultramarins.

Mon propos sera extrêmement ciblé et partiel : je vais relater brièvement deux études qui explorent une hypothèse complémentaire des difficultés ultramarines, à savoir les discriminations à l'embauche sur le marché du travail. Nous pensions que cela jouait un rôle dans la persistance du chômage des Ultramarins dans l'Hexagone, et que cela pouvait aussi valoir dans les territoires d'outre-mer.

La première enquête visait le secteur de la restauration. Il est extrêmement difficile de mesurer les discriminations : nous avons un problème d'objectivation. Les méthodes utilisées par la littérature internationale dans ce domaine sont des méthodes de testing scientifique, où l'on fabrique de fausses candidatures, semblables en tous points, hormis une caractéristique dont on veut tester l'effet. On envoie les CV et lettres de motivation des faux candidats en réponse à de vraies offres d'emploi, uniquement par correspondance. Les protocoles sont conçus pour ne pas perturber le marché du travail, ni surcharger les employeurs, ni pour stigmatiser telle ou telle entreprise, mais pour obtenir des connaissances de portée générale. Durant le premier trimestre 2021, nous avons fabriqué des profils de candidats pour des postes de serveur, avec à chaque fois trois profils : un candidat local, un candidat local habitant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville et un candidat hexagonal. Nous avons testé quatre sites : la ville de Paris - où le candidat exogène était Guadeloupéen - Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Saint-Denis de la Réunion. Dans chaque ville, nous avons sélectionné entre 250 et 300 restaurants, auxquels nous avons envoyé des demandes d'information sur l'existence ou non de postes à pourvoir dans le restaurant. Nous avons mis en évidence qu'il y a des différences statistiquement significatives dans la réception des candidatures par les employeurs : les candidats locaux sont pénalisés, alors que le candidat hexagonal bénéficie d'une prime - hormis dans le cas parisien, où c'est le candidat parisien ayant réalisé ses études à Paris qui était avantagé relativement au candidat guadeloupéen. Cette étude est disponible sur le site de TEPP.

Une seconde étude portait, uniquement au sein de la ville de Paris, sur le secteur de la vente de prêt-à-porter et de la mode, avec l'envoi, auprès de 300 magasins parisiens, de trois candidatures. Une candidate parisienne avait un patronyme, une adresse et une trajectoire de formation la situant en Île-de-France ; une autre candidate, par son patronyme, sa localisation et son lieu de naissance était d'origine guadeloupéenne - il était mentionné qu'elle parlait créole - ; enfin, une candidate était originaire d'Afrique de l'Ouest. Le protocole était conçu pour voir s'il existait des différences selon l'origine géographique ou la couleur de peau. Les deux candidates non blanches étaient fortement pénalisées - et encore davantage celle d'origine africaine - que la candidate blanche uniquement dans les magasins haut de gamme, alors qu'il n'y avait pas de différence de traitement dans les magasins de prêt-à-porter. Cela montre qu'il y a aussi des discriminations à l'embauche liées à la couleur de la peau et que les candidats ultramarins peuvent être victimes de ces discriminations. Ce sont des études très partielles, mais convergentes, qui montrent qu'il existe effectivement des discriminations sur le marché du travail qui amplifient les problèmes subis par les jeunes de ces territoires ultramarins. Ces études méritent d'être confirmées par d'autres travaux sur le marché du travail et aussi dans l'accès à la formation, aux stages, à l'apprentissage, au logement. De nombreux domaines méritent d'être explorés. Il est important d'asseoir des politiques publiques sur des mesures rigoureuses. Les pouvoirs publics doivent faire respecter la règle de droit, puisque la discrimination à l'embauche est sanctionnée par le code pénal, et l'ensemble des recruteurs doivent traiter de manière égalitaire les candidats quelle que soit leur origine. Il faudrait mener des actions de sensibilisation auprès des entreprises afin de former les recruteurs pour lutter contre les discriminations. Plusieurs études convergent sur cette thématique en métropole.

Mme Cynthia-Renée Sagne, co-fondatrice de l'association Guyan'Envol. - Au sein de l'association Guyan'Envol, nous bénéficions de retours d'expérience récents des jeunes Guyanais, puisque nous intervenons auprès des jeunes de 15 à 25 ans qui envisagent des études supérieures. Nous échangeons régulièrement avec eux ainsi qu'avec de nombreux jeunes diplômés qui font partie de notre pool de mentors.

Parmi les études existantes, il y a quelques études de l'Insee qui commencent à être un peu anciennes - entre 2015 et 2016. Elles auraient donc besoin d'être réactualisées, notamment pour des territoires qui bougent assez vite - je pense au contexte démographique guyanais. Ces études montrent que les jeunes Guyanais sont plus mobiles qu'ailleurs, mais moins diplômés. En 2017, 37 % des natifs de Guyane quittaient la région pour poursuivre des études ou trouver un emploi, et un tiers des néo-bacheliers envisageaient une mobilité : c'est non négligeable, surtout en comparaison des chiffres hexagonaux.

À côté de cela, on observe effectivement que le marché du travail est tendu, et particulièrement en Guyane, avec un besoin de cadres administratifs dans les secteurs public et privé, et notamment un besoin de professeurs formés pour répondre à l'accroissement des effectifs scolaires. Il y a également un souci de qualification, qui fait que de nombreuses offres ne trouvent pas de candidat localement. Moins de 30 % des cadres en Guyane sont natifs de la région.

Nous avons interrogé notre réseau. Les ressources familiales sont principalement un appui pour envisager la réinstallation après des études. C'est certes vécu comme une contrainte, mais également une aide - le retour serait impossible sans cet appui, faute de pouvoir se loger à un prix accessible. Le logement ainsi que le coût du déménagement sont des enjeux. Des fonctionnaires venant de l'Hexagone peuvent être très soutenus dans ce domaine, ce qui n'est pas le cas dans le secteur privé, où se pose la question de l'aide financière, lorsqu'on n'a pas de visibilité sur un emploi dans les trois à six mois.

En Guyane, les collectivités territoriales commencent à réfléchir à ce sujet. Il y a un an, la collectivité territoriale de Guyane (CTG) a annoncé une aide au retour qui n'est pas encore effective. Ces enjeux - mobilité, prix du billet, coût du fret - sont effectivement importants.

À cela s'ajoute l'accès à l'emploi. De nombreuses personnes n'ont pas de visibilité sur leur emploi, mais veulent revenir après leurs études ou un début de carrière ailleurs - c'est une question de détermination. Or elles soulignent le manque de visibilité sur les opportunités locales. Souvent, ce qui fonctionne le mieux est le bouche-à-oreille : le réseau est un facilitateur, mais cela interroge sur l'équité d'accès à l'emploi. Je vous transmettrai quelques pistes de solutions pour ces jeunes diplômés.

Comment mieux mobiliser les dispositifs existants ? Une réforme de ceux de Ladom est en cours. Ces dispositifs sont surtout envisagés pour faire partir de jeunes lycéens ailleurs. Peu de mesures existent, que ce soit au sein de Ladom ou dans les collectivités territoriales, pour aider au retour.

Certes, le terrain n'est pas entièrement vierge : plusieurs initiatives ont existé. La région Guyane avait mis en place un dispositif pour faciliter l'attractivité des jeunes diplômés, qui n'a pas été pérennisé. Je pense notamment à l'association Irig Defis (Initiatives régionales interentreprises de Guyane pour le développement de l'emploi, de la formation et des innovations sociales), soutenue par la région Guyane, qui se voulait une pépinière de jeunes diplômés, et qui a fonctionné principalement entre 1995 et 2008, avant d'être fusionnée avec l'Opérateur public régional de formation (OPRF). Durant ces quinze ans, nous avons recensé environ 120 jeunes diplômés de moins de trente ans, à partir d'un bac+2, qui ont été accompagnés dans leur insertion sur le marché de l'emploi. On leur a proposé des premières expériences de stages, d'alternance ou un tout premier emploi localement avec comme perspective de décrocher un CDI au sein de la structure accueillante. Ce dispositif n'a malheureusement pas eu le temps de prospérer.

Toujours à l'initiative du conseil régional, le dispositif Passerelle vers l'emploi visait à lutter contre le chômage des jeunes diplômés, en les recensant ainsi que les entreprises locales qui pouvaient les accompagner vers l'emploi. Ce dispositif assistait aussi les entreprises pour faciliter l'embauche. Toutefois, nous disposons de peu de visibilité sur les résultats de cette initiative, qui a pris fin avec la fermeture de l'OPRF l'année dernière.

Le terrain n'est donc pas totalement vierge : il existe soit ces initiatives qui n'ont pas pu être pérennisées, soit des dispositifs de Ladom qui pourraient être étendus. C'est une bonne chose qu'une réforme soit en cours.

Nos membres nous proposent qu'une base de données des étudiants, futurs jeunes diplômés, soit réalisée. Il est nécessaire de les suivre afin de leur communiquer les offres d'emploi et que les entreprises et les administrations puissent communiquer trois ans à l'avance sur les perspectives de recrutement.

Outre cette bourse à l'emploi se pose également la question d'une bourse au logement, notamment pour des logements transitoires sur un marché extrêmement tendu. Les prix des loyers sont similaires à ceux de la banlieue parisienne, alors que les salaires ne correspondent pas : tous ne bénéficient pas des 40 % de vie chère comme un certain nombre de fonctionnaires. Il faut donc travailler à des partenariats avec les entreprises, avec Action logement, et aider aussi les jeunes diplômés partis vers l'Hexagone à revenir.

Un autre enjeu est l'offre de stages. Souvent, si l'on n'a pas fait plusieurs stages en Guyane, il est compliqué de se créer un réseau localement. C'est ce que notre association essaie de faire en mettant en relation jeunes en étude et mentors déjà en poste, pouvant favoriser l'accès à des offres de stage, sur lesquelles les premiers n'ont pas de visibilité. Les jeunes ne savent pas comment faire, qu'ils soient déjà en Guyane ou dans l'Hexagone. Chaque niveau de l'échelle doit se positionner : État, collectivités, entreprises, société civile.

À Guyan'Envol, nous souhaitons être force de propositions sur le suivi des étudiants. Nous avons sollicité la CTG pour travailler sur une base de données étudiante. Nous espérons que ce projet trouvera, à terme, un écho favorable. Les données existent, elles sont disparates et elles ne sont pas exploitées de manière à faciliter l'appariement entre les demandes d'emploi et les besoins existants. Je me tiens à votre disposition pour tout complément d'information.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriales aux outre-mer. - Nous allons prendre les questions et réactions à ces interventions très riches.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Il est très difficile d'entreprendre en Guyane, même avec un bon diplôme, notamment à cause des difficultés administratives qui font que l'on renonce plus souvent que l'on aboutit. J'ai organisé, le 18 avril dernier, une conférence-débat sur le thème « Être jeune et acteur du développement en Guyane », afin d'entendre les doléances, mais aussi les espoirs de notre jeunesse.

Auriez-vous des pistes pour encourager les jeunes porteurs de projet ? Ils peinent à obtenir des réponses et finissent par repartir dans l'Hexagone, alors même qu'on a besoin d'eux pour développer le pays.

Mme Cynthia-Renée Sagne. - On constate en effet que les obstacles et les contraintes sont parfois plus importants en Guyane qu'ailleurs pour les porteurs de projet. Le manque d'information est une difficulté courante. La petitesse des marchés et la proximité pourraient être des atouts, mais il faut travailler à rendre accessibles les opportunités. Dans certains domaines, les entreprises qui recrutent ont de la visibilité, notamment dans celui de l'aérospatial. L'accès à l'information est un premier pas pour que les jeunes puissent se projeter dans l'avenir.

Il faut aussi exploiter l'exemplarité des porteurs de projet, des jeunes diplômés ou des salariés qui se lancent et réussissent à trouver leur voie. Dans les lycées, les jeunes qui viennent de quartiers difficiles et ne parlent pas français à la maison sont souvent en difficulté scolaire. Lorsqu'ils constatent que d'autres avant eux ont pu réussir, malgré les mêmes difficultés, ils y trouvent une inspiration. Certains jeunes s'autocensurent ; il faut les stimuler en leur ouvrant des perspectives.

M. Michel Canévet. - La délégation sénatoriale aux Entreprises a souhaité que nous menions un travail sur la formation, les compétences et l'attractivité des métiers car de nombreux entrepreneurs dans l'Hexagone se heurtent à des difficultés de recrutement, alors même que le nombre de demandeurs d'emploi est considérable dans notre pays.

Nous n'avons pas souvent l'occasion d'aller en outre-mer et cette table ronde est bienvenue pour cerner les problématiques spécifiques à ces territoires et pour mesurer le chemin qu'il reste à parcourir pour parvenir à un niveau de développement satisfaisant. Le besoin d'accompagnement est important et il est nécessaire de s'adapter aux spécificités de chaque territoire même s'il peut y avoir un fil directeur pour l'ensemble des outre-mer.

Pour attirer et fidéliser les jeunes, le problème est-il l'attractivité ou l'offre de formation ? Sur quels leviers s'appuyer ?

Concernant l'attractivité des entreprises et des emplois en outre-mer, quels sont les points de blocage ? Est-ce une question de rémunération liée au coût de la vie ou bien l'enjeu est-il l'accès aux services, aux infrastructures et aux loisirs ?

Nous préparons une réforme des dispositifs d'accompagnement au travail dans notre pays. Quelle est la situation du service public de l'emploi dans chacun des territoires ultramarins ?

Mme Sophie Brocas. - Un certain nombre de jeunes talents ont envie de créer leur entreprise. Certains organismes peuvent les aider à s'installer, comme l'Agence de développement et d'innovation (ADI). Nous la soutenons financièrement ; l'an dernier, pour 11 800 bénéficiaires, elle a reçu 70 millions d'euros d'aides. Nous encourageons aussi France Active et Initiatives outre-mer, les trois organismes pouvant coopérer entre eux.

Le service militaire adapté (SMA) est une structure propre aux outre-mer qui offre une formation très encadrée et permet d'obtenir de bons résultats en matière d'intégration professionnelle, avec 82 % de sorties positives dont 53 % dans l'emploi durable ; en outre, tous les jeunes sortent en ayant obtenu leur permis de conduire. L'ADI et le SMA coopèrent pour l'accompagnement des jeunes.

Les chefs d'entreprise, les talents et les dirigeants de start-up qui ont réussi sont des exemples pour leurs pairs. Il faut les mettre en valeur. C'est ce que fait Outre-mer Network qui organise chaque année une soirée de prix à destination des start-ups qui ont réussi.

Les problèmes d'attractivité sont liés aux rémunérations et à l'écosystème, mais l'on constate aussi un manque de visibilité sur les offres de stage, d'apprentissage ou d'emploi. Le marché de l'emploi est un marché gris qui fonctionne par le bouche-à-oreille et par le réseau.

Les salaires sont insuffisants en raison du coût de la vie. Il faudrait libérer pour les territoires ultramarins la possibilité d'échanger et de négocier avec leurs voisins. En outre, les jeunes générations ont besoin de développer des perspectives de mobilité et ne souhaitent pas forcément passer toute leur vie sur la même île. On doit pouvoir travailler dans les outre-mer pendant cinq ans avant de repartir ailleurs. On peut en faire une étape de vie qui n'a rien de définitif.

Quant au service public de l'emploi, il est le même en métropole et outre-mer.

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la DGOM. - Les réseaux d'étudiants et les associations que nous avons interrogés, telle Guyan'Envol, pointent souvent le fait que pour un jeune qui a fait ses études en métropole les salaires outre-mer sont plus faibles que ce qu'on lui aurait offert dans l'Hexagone. Toutefois, des exonérations de charges sociales sont prévues dans le cadre de la loi pour l'ouverture et le développement économique de l'outre-mer (Lodeom) pour permettre aux entreprises de proposer des salaires plus attractifs. Elles doivent faire un effort pour attirer les talents.

Les possibilités de mobilité qu'une entreprise peut offrir sont un autre critère qui pourrait encourager les jeunes à accepter un emploi. Ceux-ci sont également sensibles au fait de pouvoir donner un sens à leur travail. Ce sont des aspects qui devraient nourrir la réflexion des organisations patronales, par exemple dans le cadre de la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom).

Il est également nécessaire de développer les stages et l'apprentissage et de renforcer la visibilité des outils à l'adresse des jeunes. Par exemple, le Projet Initiative Jeunes (PIJ), qui a été abondé dans le cadre du plan de relance, peut être efficace. Il faut mettre en cohérence toutes ces aides et la réforme de France Travail devrait nous y aider.

Mme Sophie Brocas. - L'offre de formation sur place a aussi son importance. Si des universités existent partout, il reste difficile d'offrir une formation universitaire complète sur tous les territoires. Nous incitons les universités à proposer des formations directement en lien avec les besoins des territoires. Par exemple, aux Antilles, un cursus médical complet devrait se mettre en place. L'université de Mayotte est également en train d'ouvrir de nouvelles formations. La situation évolue, mais en réalité, nous ne pourrons jamais offrir partout un éventail complet de formations universitaires, et cela vaut d'ailleurs aussi pour l'Hexagone.

La technologie permet de lancer de nouveaux projets, comme à Wallis-et-Futuna où l'on a créé une université connectée avec Nouméa, ce qui permet à des jeunes Wallisiens de rester sur place pour des enseignements en gestion et en droit.

Dans l'enseignement supérieur, nous avons développé le dispositif Cadres Avenir. Déjà présent en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, il devrait s'appliquer cette année en Guadeloupe et à Saint-Martin, l'année prochaine en Martinique et bientôt sans doute en Guyane. Il s'agit de repérer des jeunes bacheliers ou de jeunes étudiants d'origine modeste et de financer leur déplacement jusqu'en métropole et leur formation universitaire, grâce à une bourse mensuelle. En contrepartie, ils auront l'obligation de revenir servir leur territoire pendant trois à cinq ans à l'issue de leur diplôme.

Dans le cadre de ce dispositif, on a pu remarquer que, à Mayotte, certains jeunes, à leur retour, avaient du mal à trouver un emploi à la hauteur de leur qualification, ce qui est un comble. En Guadeloupe, une étude a montré que l'on avait besoin d'employés qualifiés dans tous les secteurs.

Mme Vivette Lopez. - La discrimination ne se fait pas seulement en fonction de la couleur de la peau, mais aussi du physique, selon que l'on soit plutôt mince ou plus enveloppé, par exemple. Il faudrait aussi prendre en compte la situation problématique des jeunes handicapés, ou bien encore les difficultés liées à la mobilité, certains jeunes se sentant plus à l'aise dans un milieu urbain que rural. D'autres s'adaptent mal dans le milieu scolaire et devraient être rapidement orientés vers l'apprentissage - cela vaut aussi pour la métropole.

Cependant, la plus grosse difficulté pour les jeunes, que ce soit outre-mer ou en métropole, reste de trouver un stage ou un contrat d'apprentissage. Cela relève même de l'exploit s'ils n'ont pas quelqu'un pour appuyer leur candidature.

La question du logement est primordiale. Par exemple, on peine à trouver des jeunes pour travailler dans la restauration, car on avait pris l'habitude de les loger dans des conditions indécentes, dans des logements insalubres, parfois à des prix inabordables.

Enfin, certains métiers restent méconnus, comme la pose des câbles sous-marins ou les métiers liés à la mer. C'est un paradoxe pour l'outre-mer : les jeunes sont entourés d'eau, mais ne se tournent pas vers la mer, alors même que l'on sait pertinemment que l'avenir devra s'écrire avec elle.

Il faut parvenir à déverrouiller la situation, en particulier en ce qui concerne l'apprentissage qui est souvent un parcours du combattant.

M. Pascal Chavignat, directeur des ressources humaines du groupe Bernard Hayot (GBH). - Le groupe Bernard Hayot est un acteur important de l'emploi, en outre-mer. Certes, l'attractivité en matière d'emploi est liée à la rémunération et à la qualification, mais la problématique est surtout globale et recouvre des enjeux aussi divers que ceux du logement, des soins médicaux, de la qualité des écoles et des universités ou bien encore de la possibilité pour le conjoint de trouver un emploi.

Les jeunes ont de plus en plus tendance à venir puis à repartir, l'outre-mer n'étant qu'une étape dans leur carrière. En matière de ressources humaines, il faudrait pouvoir définir ce qui valorise un parcours effectué en outre-mer. À cet égard, il serait intéressant de faire une étude sur la perception que l'on a des territoires d'outre-mer, à partir de l'extérieur, et pas seulement d'un point de vue touristique.

Le SMA est un acteur important pour l'emploi, notamment des jeunes les plus éloignés du marché du travail. Nous menons une initiative avec le SMA en Martinique pour créer une filière d'insertion, de formation et d'emploi de jeunes mécaniciens, un métier en tension. J'ai bon espoir que nous puissions bientôt annoncer un projet important en Martinique et un autre, peut-être, en Guyane.

Vous avez évoqué les services publics de l'emploi. Là encore, il s'agit d'un levier extrêmement important. Les entreprises doivent vraiment travailler en très étroite collaboration avec eux. Par exemple, en Martinique, nous avons créé avec Pôle Emploi le premier salon régional de l'emploi, « Martinique pour l'emploi », qui permet aux employeurs et aux candidats de se rencontrer. Environ 250 offres d'emploi étaient ainsi proposées, tous employeurs confondus.

Je ne reviendrai pas sur les freins. Pour les surmonter, différents leviers peuvent être actionnés. Le président Stéphane Artano a parlé d'ingénierie. Si nous voulons réussir, nous devons être innovants pour construire de nouveaux dispositifs en lien avec les acteurs des territoires.

Mme Victoire Jasmin. - Je voudrais parler de l'illettrisme dans nos territoires. Ne faudrait-il pas revoir les critères de dotations en personnel des établissements d'enseignement outre-mer ? Ces derniers manquent de moyens. Peut-être faudrait-il aussi développer une pédagogie différenciée.

Il faut aussi poser la question des moyens d'accueil. Certaines offres d'emploi sont assorties d'un logement ou d'une voiture, ou de différentes aides visant à faciliter l'installation ; or les jeunes ultramarins, qui ont les mêmes diplômes que les Hexagonaux et qui pourraient bénéficier de ces postes, ne sont malheureusement pas souvent retenus. L'étude qui a été présentée par M. L'Horty le montre bien pour la restauration, mais le phénomène concerne aussi d'autres secteurs. Il faudrait que l'État donne l'exemple, parce que les Ultramarins manquent de visibilité dans les postes à responsabilité de la fonction publique, alors qu'ils ont fait les mêmes études que les Hexagonaux.

Enfin, je rejoins les propos de Mme Lopez sur le handicap.

M. Didier Fauchard. - Nous avons mené l'an dernier à La Réunion une expérimentation, le PAC ou programme d'accompagnement à la création d'entreprise, qui visait à soutenir la création d'entreprise et qui était financée par le fonds social européen. Nous avons ainsi accompagné 75 porteurs de projet : la particularité était que, outre une formation technique classique à la création d'entreprise, nous les avons aidés à travailler sur l'estime de soi et à peaufiner leur projet. Chaque participant était accompagné par un mentor et avait accès au fichier de nos adhérents. Finalement, 42 ont créé leur entreprise et continuent à être accompagnés par le Medef à titre gratuit.

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux Entreprises. - Je voudrais revenir sur l'enquête réalisée par M. L'Horty. Il y a un paradoxe. Toutes les fédérations professionnelles disent en effet qu'elles recherchent du personnel, notamment dans la restauration et l'hôtellerie. Selon l'Umih, le principal syndicat patronal de l'hôtellerie-restauration, qui est présidé par Thierry Marx, 300 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues dans le secteur. Il s'agit d'un secteur en tension, qui aurait pu être concerné par le dispositif du projet de loi sur l'immigration visant à faciliter l'arrivée de personnes étrangères pour occuper ces postes. Il y a donc un décalage entre la réalité du terrain et les conclusions de votre enquête. Thierry Marx a d'ailleurs créé une école, « Cuisine mode d'emploi(s) », où il recrute des personnes pour les former et faciliter leur employabilité, quelle que soit leur qualification. Cela ne semble pas correspondre au résultat de votre enquête : les mêmes personnes ne peuvent pas refuser telle ou telle candidature alors même qu'elles manquent de personnel ; certains restaurants ferment faute de personnel. Avez-vous eu des contacts avec la profession ?

M. Yannick L'Horty. - Des évidences empiriques montrent que la montée des difficultés de recrutement va réduire les discriminations à l'embauche. Dans un contexte de pénurie, il sera plus coûteux pour les employeurs d'être trop sélectifs et de faire jouer des critères personnels dans le recrutement. Si un recruteur fait de la discrimination, il sera confronté à davantage de difficultés de recrutement. Il est erroné de penser que la présence de difficultés de recrutement signifie qu'il n'y a pas de discriminations. Les discriminations amplifient les difficultés de recrutement. Il peut donc y avoir à la fois des discriminations et des difficultés de recrutement.

Les discriminations sont liées à des stéréotypes, des raccourcis cognitifs, conscients ou non conscients, que nous avons tous, sur les territoires et leurs habitants. Les recruteurs peuvent discriminer, car ils ont, inconsciemment, des biais cognitifs qui les poussent à associer des compétences à tel ou tel profil. On peut donc être discriminant sans le savoir, sans en avoir conscience. Dans la restauration, on a des preuves empiriques massives d'une discrimination par la clientèle : les employeurs sont plus sélectifs pour les postes de serveur, au contact de la clientèle, que pour les postes de cuisinier, sans contact avec la clientèle. Il faut former les recruteurs sur les biais qui peuvent jouer à leur insu.

Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale de la Fedom. - Je voudrais donner des indications en réponse à Mme Richard sur la manière dont la Fedom compte s'impliquer davantage sur cette problématique.

Nous avons lancé de nouvelles actions de communication pour valoriser les « héros positifs » et présenter des « success stories », des parcours inspirants de personnes qui ont réussi. Il s'agit de sortir de la caricature dans la perception que l'on peut avoir des territoires, en montrant que l'on peut réussir. Nous avons notamment réalisé des podcast pour toucher les jeunes.

Nous nous associons à toutes les initiatives visant à organiser des rencontres entre les employeurs ultramarins et les jeunes. M. Chavignat a parlé de Carrefours pour l'emploi ; le salon « Paris pour l'emploi » abrite ainsi un village consacré à l'outre-mer, dont on fait systématiquement la promotion. L'an dernier, avec l'appui du ministère de l'outre-mer, nous avons organisé la « Diaspora Digital Konèksyon », qui nous a éclairés sur les difficultés des jeunes pour avoir accès à l'information sur les possibilités de travail outre-mer ; on a mis en évidence le rôle du bouche-à-oreille. Nous allons réfléchir à la problématique des stages.

Je voudrais demander aux autres intervenants de ne pas hésiter à nous transmettre les contacts d'associations d'Ultramarins qu'ils ont à Paris : nous aimerions pouvoir les convier à nos manifestations publiques, mais nous ne les connaissons pas toujours.

Enfin, la commission économique de la Fedom a décidé de se saisir de la question de l'emploi des jeunes, notamment, pour s'interroger non seulement sur l'employabilité, mais aussi sur l'« employeurabilité » : l'approche des jeunes vis-à-vis du travail a changé et nous devons nous adapter.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie. Je tiens à remercier Hervé Mariton et la Fedom pour nous avoir aidés à organiser cette table ronde.

Table ronde sur l'attractivité, pour les jeunes diplômés, des emplois et des opportunités entrepreneuriales dans les outre-mer-Partie II

M. Serge Babary, président de la délégation aux Entreprises. - Nous amorçons cette table ronde, qui ne pourra pas s'étendre au-delà de midi. En effet, notre délégation prévoit de se déplacer cet après-midi en Vendée, pour visiter des entreprises. J'accueille Pascal Chavignat en présentiel. D'autres participants de cette table ronde sont présents en distanciel. Je rappelle que Pascal Chavignat est directeur des ressources humaines du groupe Bernard Hayot (GBH). GBH, un groupe familial qui compte sur près de 16 000 collaborateurs, multiplie les initiatives pour recruter des jeunes diplômés dans les territoires où il est implanté.

Jeanne Loyher, directrice adjointe de Clinifuture, évoquera l'initiative « sur mesure » réalisée en partenariat avec l'Agence d'outre-mer pour la mobilité (Ladom).

Mitchelle Malezieu, fondatrice de la plateforme Retour au peyi, dont je salue la participation en distanciel malgré le grand décalage horaire entre Paris et la Guadeloupe. Votre retour en Guadeloupe, Madame, ne fut pas facile, mais votre initiative a été couronnée de succès. Nous serons heureux d'entendre votre point de vue.

Feyçoil Mouhoussoune, président fondateur de Mayotte In Tech, présentera son expérience de créateur d'entreprise d'ingénierie informatique. Il est le président du groupement des entreprises mahoraises des technologies de l'information et de la communication (GEMTIC).

Je vous cède, à vous quatre, la parole pour un propos liminaire. Mes collègues sénateurs échangeront ensuite avec vous.

M. Pascal Chavignat, directeur des ressources humaines du groupe Bernard Hayot. - Je vous remercie de m'offrir l'opportunité de vous présenter des initiatives de GBH prises dans différents territoires d'implantation du groupe, pour recruter des jeunes diplômés.

Récemment, nous avons organisé le salon de recrutement Avenir outre-mer by GBH. Il s'agit de notre initiative la plus récente et la plus importante en la matière.

Pour créer ce salon, nous nous sommes fondés sur différents constats, évoqués lors de la précédente table ronde. Un grand nombre de jeunes ultramarins poursuivent leurs études dans l'Hexagone. A priori, il semble que peu d'entre eux reviennent en outre-mer. Généralement, ils poursuivent au moins leurs premières expériences professionnelles en métropole. Cependant, lorsqu'ils envisagent de revenir chez eux, ils disposent souvent d'une faible visibilité sur leurs opportunités professionnelles.

Or GBH a des besoins en recrutement très importants. Actuellement, plus de 300 postes sont proposés sur notre site, dont 80 % concernent l'outre-mer, tous types de postes et de contrats confondus.

Les valeurs du groupe nous poussent à privilégier l'emploi local. Lorsque nous parvenons à attirer des candidats de qualité, nous privilégions les candidats ultramarins. Évidemment, nous n'excluons pas pour autant les autres candidats.

Avenir outre-mer s'est tenu du 3 au 27 avril. Dans un premier temps, ce salon prenait une forme digitale. Les candidats pouvaient trouver sur le site www.aveniroutremer.fr des informations sur GBH et sur les emplois proposés par le groupe. Le site intègre notamment des vidéos de collaborateurs de GBH, qui témoignent sur leurs retours en outre-mer et sur les postes qu'ils occupent. Je vous invite à visionner ces vidéos. Elles éclairent sous un angle intéressant et dynamique différentes questions soulevées lors de la première table ronde de cette matinée.

Les candidats trouvaient sur ce site 150 postes à pourvoir, qui paraissaient répondre aux attentes de profils d'étudiants en fin de cursus, ou de jeunes diplômés. Ce salon visait spécialement ces profils. À notre connaissance, ce salon était le premier à viser particulièrement cette cible.

Parallèlement au volet digital du salon, nous avons animé un évènement le soir du 27 avril à Paris, dans un lieu tout à fait adapté à un public de jeunes diplômés. À cette occasion 130 jeunes participants ont rencontré les équipes de GBH pour s'informer sur le groupe et sur ses métiers. Ils ont pu échanger avec des salariés de GBH autour du retour en outre-mer. Ces salariés, qui occupent des postes importants dans un grand groupe, ont pu décrire leurs retours, ou encore leurs recherches de postes. Lors de cette soirée, nos équipes de ressources humaines étaient présentes pour recruter.

D'une part, cette initiative visait à accroitre la notoriété et la visibilité du groupe. La question de la marque employeur apparait aujourd'hui cruciale. Il n'est plus possible de se contenter de publier des offres d'emploi pour recevoir des curriculum vitae. L`employeur doit se faire connaitre et mettre en avant les opportunités qu'il offre. Cet objectif a été plutôt bien atteint. En effet, le site internet du groupe a connu un afflux important de visiteurs et les participants de l'évènement ont été nombreux.

D'autre part, ce salon visait à recruter au sein du groupe. De premiers recrutements ont déjà été réalisés et nous espérons qu'ils seront in fine nombreux.

Ce salon s'adressait plutôt à un public d'étudiant ou de jeune diplômé, qu'ils soient en outre-mer ou sur d'autres territoires.

En parallèle, nous développons d'autres initiatives, que j'ai brièvement évoquées lors de notre première table ronde. En particulier, en tant que groupe fortement implanté sur des territoires, nous nous devons de nouer des relations solides avec les écoles et les universités. En effet, comme nous l'avions relevé, certaines compétences peuvent être rares.

C'est pourquoi nous avons créé la fondation Université des Antilles - GBH, qui nous permet d'organiser différentes actions. En particulier, en octobre et en novembre, des salariés de GBH rencontrent des étudiants sur les campus de Guadeloupe et de Martinique, pour aborder avec eux des problématiques liées à l'emploi.

Nous interagissons aussi avec différentes écoles, notamment à La Réunion. Dans ce territoire, nous avons noué des partenariats très forts avec l'école de gestion et de commerce (EGC) ou encore avec l'Institut d'administration des entreprises (IAE). Ces partenariats nous permettent d'accueillir un nombre très important de stagiaires. Par exemple, un partenariat noué depuis vingt ans avec le lycée Bellepierre (La Réunion) a orienté environ 500 ou 600 stagiaires vers le groupe. En treize années de partenariat, nous avons accueilli près d'une soixantaine de stagiaires de l'EGC. Une quarantaine de diplômés de l'EGC font ou ont fait partie de l'entreprise.

Au-delà de notre cible des jeunes diplômés, nos critères habituels de recrutement peuvent nous faire passer à côté de nombreux jeunes plus éloignés de l'emploi. Pour pouvoir recruter ces jeunes, nous avons lancé le programme « tremplin pour l'emploi ». Dans ce cadre, nous menons des actions auprès de jeunes éloignés de l'emploi, généralement peu ou pas diplômés.

Récemment, en Guyane, nous avons recruté vingt jeunes issus de l'école de la deuxième chance, qui offre une remise à niveau sur les savoirs fondamentaux. Ces jeunes effectuent d'abord différents stages en entreprise durant cinq mois. Puis, ils effectuent une année en alternance au sein d'une filiale de GBH, pour apprendre le métier de vendeur en grande surface. Nous demandons aussi à ces jeunes d'obtenir un diplôme, a minima de niveau baccalauréat. Ce diplôme est parfois le premier diplôme obtenu par ces jeunes. En résumé, nous socialisons ces jeunes non qualifiés, nous les formons, nous les diplômons, puis nous les recrutons. Un jeune qui passe toutes ces étapes a la garantie d'obtenir un emploi en CDI dans une filiale de GBH en Guyane. Nous réalisons exactement la même démarche à La Réunion, avec l'école de la deuxième chance.

M. Serge Babary, président de la délégation aux Entreprises. - Je donne maintenant la parole à Jeanne Loyher, directrice régionale du groupe Clinifutur, implanté à La Réunion, à Mayotte et à Dakar, directrice générale d'un établissement Enova, promoteur de compétences, et membre permanente de la commission de certification des établissements de santé de la Haute Autorité de santé (HAS). Nous sommes heureux de vous entendre.

Mme Jeanne Loyher, directrice adjointe de Clinifutur. - Bonjour à tous, je suis actuellement à La Réunion. Je suis très heureuse de participer à cette table ronde. Le sujet que nous traitons est particulièrement sensible dans le secteur de la santé, d'autant plus que ce secteur englobe un large éventail de métiers interdépendants.

Vous nous interrogez aujourd'hui sur nos initiatives lancées pour recruter des jeunes diplômés, et sur nos perspectives en la matière dans les outre-mer.

Je note tout d'abord que Clinifutur est implanté à La Réunion, à Mayotte, mais aussi dans une moindre mesure aux Comores. Clinifutur s'installe actuellement à Dakar et envisage de s'implanter à Maurice. L'entreprise s'implantera aussi bientôt en Guyane. Notre vision de l'emploi du secteur de la santé s'étend donc sur un périmètre assez large.

Le manque de candidatures, la distance et l'enclavement de nos territoires d'implantation posent des difficultés majeures pour Clinifutur. En effet, le groupe, fondé sur une petite île, La Réunion, est essentiellement présent hors de métropole. Pour autant, il offre un savoir-faire important dans ces territoires. En particulier, 78 % des activités privées de chirurgie de La Réunion sont assurées par Clinifutur. À Mayotte, le groupe est le seul acteur privé à réaliser de la chirurgie.

À Mayotte, le groupe connait actuellement des difficultés particulières, dans le contexte de l'opération Wuambushu. Nous connaissons aussi une raréfaction de la main-d'oeuvre médicale et paramédicale dans les territoires ultramarins.

Nous gérons une vingtaine d'établissements et nous cherchons à mettre en place des « mouvements » de personnel.

J'ai été autrefois responsable des ressources humaines au sein du groupe, et je sais qu'il aurait été souhaitable de bénéficier de nouveau de toutes les compétences dont nous avons besoin dans nos territoires d'implantation. Néanmoins, ces compétences ne sont malheureusement pas disponibles sur place et nous en souffrons. Ce point a été souligné lors de notre première table ronde. Même si les contextes locaux peuvent ne pas être évidents, nous devons trouver des solutions pour attirer ces compétences.

Contrairement à aujourd'hui, il y a une dizaine d'années, les emplois ultramarins de notre groupe étaient assez attractifs. J'ai d'ailleurs pu constater cette évolution dans un mémoire que je rédige.

Les 5 000 départs enregistrés chaque année en Martinique m'interpellent. Nous ne bénéficions plus des transferts de compétences. Nos compétences quittent nos territoires, sans y revenir.

Il y a environ cinq ans, j'ai travaillé au développement d'une synergie avec Ladom, en envoyant des infirmiers et des aides-soignants de Mayotte ou de La Réunion vers Dieppe (Seine-Maritime) pour une durée de trois ans. Nos soignants y ont bénéficié d'une aide pour leur logement. Ils étaient ensuite prioritaires pour revenir en outre-mer. Néanmoins, seule une soignante est revenue au bout de ces trois années. Une fois partis, ces soignants sont restés en métropole.

Aujourd'hui, Clinifutur s'implante à Dakar. Dans le même temps, je constate que nous ne parvenons plus à trouver de personnel à La Réunion, à Mayotte, aux Comores, à Maurice, ou aux Seychelles. Comme notre groupe est implanté dans plusieurs pays, j'ai pensé que nous pourrions nous « approvisionner » en ressources humaines au sein du groupe.

J'ai donc recherché un accord auprès des préfets pour ouvrir ces mobilités internationales. Un préfet m'a répondu que certaines aides pouvaient être accordées, tout en précisant que le métier d'infirmier ne figurait pas dans la liste des métiers en tension ouverts à l'accès simplifié au titre de séjour conformément à un arrêté préfectoral du 11 juin 2018.

Or Clinifutur a besoin de 600 infirmiers. Depuis cet arrêté de 2018, nous avons connu le covid. Malgré notre bonne volonté, sans un accord pour ces mobilités, nous resterons bloqués. Je suis étonnée lorsque j'entends que les métiers paramédicaux ne seraient pas en tension.

De plus, il est très aisé pour un soignant de s'installer dans l'Hexagone. Nous le constatons dans nos établissements de métropole. En quelques jours, un soignant peut trouver un poste et un logement. En revanche, il est très compliqué pour les soignants de s'installer en outre-mer depuis la métropole. Des actions doivent être mises en oeuvre pour faciliter cette mobilité.

De notre côté, nous avons cherché à déterminer des actions prioritaires. La situation du secteur de la santé est aussi critique que celle de l'hôtellerie en matière de recrutement. La loi sur l'immigration doit être revue.

Nous nous sommes demandé si nous devions favoriser les formations au niveau de nos territoires. Or nous manquons de formations spécifiques.

De plus, nous ne trouvons pas de professionnels prêts à rejoindre nos territoires et à rester sur place sur le long terme. Nous avons donc pensé proposer des postes sur le court terme. Généralement, dans notre groupe, les jeunes professionnels qui rejoignent un territoire des outre-mer le quittent au bout de six mois. Lorsque je les interroge, ils m'expliquent qu'ils ont fait le tour et qu'ils souhaitent revenir chez eux. Ces jeunes ne veulent plus s'enfermer dans un projet professionnel fixe. Ainsi, nous souhaitons créer une forme de passeport professionnel national ou international. Nous répondrions ainsi aux attentes de la jeunesse, en leur offrant des mobilités géographiques au sein du groupe.

Nous survivons pour le moment. Cette façon de procéder semble fonctionner, car elle fait de la distance un atout. Pour autant, il faut pouvoir fournir des logements et des moyens de transport aux personnes recrutées en provenance d'autres territoires. Ces dernières doivent aussi parler la même langue.

Des soignants de Dakar, diplômés au niveau bac + 8 ou bac + 10, sont sans emploi et correspondent totalement à nos critères de recrutement. Ils pourraient nous permettre de sortir la tête de l'eau sur d'autres territoires déficitaires en ressources humaines. Cependant, ces transferts de compétences sont bloqués administrativement. Pourtant, en nous installant à Dakar, nous y implantons des membres de nos équipes et nos compétences.

Nous attendons donc un cadre légal plus souple, pour permettre ces mobilités. Nous pouvons aussi trouver des synergies entre les acteurs privés et publics, comme nous l'avions fait lors du covid. Ces synergies pourraient s'opérer très simplement, sur le plan de la communication, des transferts de compétences, ou encore de la gestion de l'extraordinaire. Une pandémie pourrait très bien de nouveau survenir.

Comme l'hôtellerie, nous fonctionnons à flux tendus. Nous n'avions jamais connu cette situation. Des services entiers ferment. Il devient impossible de prendre certains rendez-vous.

Par ailleurs, je constate à La Réunion que la filière d'insertion du régiment du service militaire adapté (RSMA) propose aux jeunes un cheminement bien tracé. De cette façon, son taux d'insertion a pu atteindre jusqu'à 82 %. Ce dispositif est un exemple à suivre. Le RSMA propose aux jeunes un point de départ et un but à atteindre, tout en leur offrant un solide socle commun de compétences. Il leur offre encore une employabilité certaine en les dotant d'une expertise. Il serait intéressant d'orienter ce dispositif vers le secteur de la santé. Ce dispositif est sûr et dirige vers l'emploi. Et nous avons besoin de professionnels.

M. Serge Babary, président de la délégation aux Entreprises. - Je vous remercie. Je passe maintenant la parole à Mitchelle Malezieu, fondatrice de la plateforme Retour au peyi, pour qu'elle nous présente son projet.

Mme Mitchelle Malezieu, fondatrice de la plateforme Retour au peyi. - Bonjour à tous. Je suis retournée en Guadeloupe en 2019, après un master en communication digitale. Lors de mon retour, j'ai été confrontée à plusieurs difficultés. En particulier, je n'ai pas trouvé d'emploi qui corresponde à mes attentes et à mon domaine de compétences. Je n'ai trouvé que des offres de CDD, ou d'autres offres temporaires, alors que je recherchais un CDI dans mon domaine.

En début 2020, j'ai créé la plateforme Retour au peyi. J'ai commencé par créer un compte Instagram, qui comptabilise aujourd'hui 47 000 abonnés. Au départ, je souhaitais simplement savoir si d'autres jeunes diplômés rentrés au pays rencontraient comme moi des difficultés pour trouver un emploi. Ce compte Instagram était d'abord strictement personnel, je ne cherchais pas spécialement à encourager les jeunes à rentrer au pays.

Puis, ce compte a pris naturellement de l'ampleur. J'ai reçu de nombreuses demandes sur les démarches à suivre pour rentrer au pays et sur les dispositifs d'accompagnement existants. Malheureusement, je n'ai jamais trouvé de réponses à ces questions, car je rencontrais les mêmes difficultés que les personnes qui m'interrogeaient.

Aujourd'hui, je constate que j'ai un compte Instagram qui comptabilise 47 000 abonnés. Je reçois des questions quasiment tous les jours. Cependant, je me sens en incapacité d'aider véritablement les personnes qui me contactent.

Par conséquent, je recense des témoignages d'Ultramarins revenus chez eux. Ces personnes partagent différentes expériences. Certains sont très heureux d'être rentrés, car ils ont trouvé un emploi. Parfois, ils ont pu développer leurs activités comme ils le souhaitaient. Néanmoins, je reçois aussi de nombreux témoignages de personnes rentrées au pays qui n'ont pas trouvé d'opportunités professionnelles. De plus, ils rentrent parfois chez eux sans se sentir chez eux. De nombreux témoignages rapportent un sentiment d'injustice vis-à-vis de personnes étrangères au pays qui rejoignent les Antilles pour occuper des postes qui devraient bénéficier prioritairement aux enfants du pays. Ils occupent ces postes avec des salaires convenables, que les enfants du pays n'obtiennent malheureusement pas. Une infinité d'excuses est invoquée pour rejeter des candidatures. En définitive, je me sens en incapacité de pouvoir les aider plus que je ne le fais.

J'ai organisé la première rencontre de Retour au peyi le 10 décembre 2022. Cet évènement a regroupé plus de 500 personnes en Guadeloupe, mon département. Des rencontres ont pu se faire. L'évènement a aussi permis de réaliser du networking (construction d'un réseautage d'affaires). Des Martiniquais m'ont sollicité pour organiser un évènement de cette nature dans leur département. Des Guyanais ont aussi formulé une demande dans ce sens.

De nouveau, je me trouve toujours dans l'incapacité de présenter aux Ultramarins qui souhaitent retourner chez eux les dispositifs d'accompagnement qui leur sont destinés, ou encore la démarche à suivre pour trouver un emploi.

M. Serge Babary. - Je vous remercie vivement pour votre témoignage et pour votre initiative. Je vous félicite pour son succès. Naturellement, il faut trouver des relais pour vous fournir des informations. Les représentants du ministère des Outre-mer ne sont plus dans cette salle, mais nous leur ferons passer votre message. En tout état de cause, nous resterons en lien avec vous.

Le succès de votre démarche montre bien que la question du retour au pays peut poser des difficultés aux jeunes. Nous avons évoqué cette question au cours de notre première table ronde. Il serait utile que vous puissiez faire passer sur votre plateforme des messages pratiques.

Je passe maintenant la parole à Feyçoil Mouhoussoune, président fondateur de Mayotte In Tech, une entreprise d'ingénierie informatique.

M.  Feyçoil Mouhoussoune, président fondateur de Mayotte In Tech. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir convié à cette table ronde. J'ai commencé mes études à Mayotte, avant de les poursuivre en métropole. Je suis rentré à Mayotte en 2001.

Je connais donc assez bien le parcours du retour au pays. Je suis rentré à Mayotte avec de très grandes ambitions. Mon retour a été plutôt difficile. Mes attentes n'étaient pas tout à fait satisfaites. Pour autant, j'ai eu la chance d'être recruté. Certes, je n'ai pas trouvé un poste qui me convenait ni le salaire que j'espérais. Mais j'ai pu m'établir à Mayotte et envisager de nouvelles perspectives.

Je me suis ensuite tourné vers l'entrepreneuriat, en suivant un nouveau parcours du combattant. En tant que jeunes Ultramarins, lorsque nous rentrons chez nous, nous avons le sentiment que nous sommes attendus avec nos diplômes et que toutes les opportunités nous seront proposées assez facilement. Toutefois, à notre arrivée, la réalité est plus compliquée. Nos territoires peuvent connaitre des contextes compliqués, leurs marchés sont restreints. Nous rencontrons les difficultés des parcours standards des entrepreneurs métropolitains, tout en rencontrant au surplus les contraintes propres à notre territoire.

En particulier, le cadre administratif peut paraitre dur ou complexe pour les personnes qui n'y sont pas préparées. Lorsque j'ai créé mon entreprise, je me suis aperçu qu'il existait très peu de structures d'accompagnement ou d'aides pour lancer mon activité.

Mon entreprise a plutôt bien fonctionné, même si j'ai connu de grandes difficultés. Assez rapidement, j'ai rencontré des amis portés par la même volonté d'entreprendre, qui étaient confrontés aux mêmes problèmes que moi.

Nous avons alors décidé de nous organiser pour constituer le Groupement des entreprises mahoraises des technologies de l'information et de la communication (GEMTIC). En effet, nous rencontrions des problématiques similaires et nous avons cherché à identifier les enjeux de notre secteur. Nous cherchions aussi à parler d'une voix commune avec les institutions et l'administration. Le GEMTIC a ensuite évolué pour devenir Mayotte In Tech, un cluster numérique.

Nous avons réalisé une étude monographique qui nous a permis de recenser les acteurs de notre filière. Nous avons identifié une centaine d'acteurs, soit plus que nous l'imaginions. Cette filière est composée essentiellement de petits acteurs, à savoir des sociétés individuelles, ou des structures de moins de cinq salariés.

Pour ces petites structures dépourvues de fonction support, il peut être compliqué de traiter certaines problématiques, comme celle du recrutement. Les grands groupes disposent de fonctions support, contrairement aux petites structures. L'accompagnement de la croissance des petites structures et de leurs recrutements repose ainsi sur leurs dirigeants.

Nous avons tenté d'apporter un peu de soutien au niveau du cluster. Nous avons constaté que l'essentiel de nos besoins touchait les fonctions support (fonctions administratives, financières et comptables). Nous avons aussi recensé des besoins en compétences techniques de niveau bac+4, bac+5, ou de niveau supérieur.

Nous avons aussi cherché à travailler avec des acteurs publics, comme la Direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS), ou encore Pôle emploi. Nous avons remarqué que certains dispositifs, en place sur le territoire, étaient peu ou mal connus des dirigeants. S'ils les connaissaient, ils pouvaient peiner à les mobiliser. Nous réalisons donc un inventaire de ces dispositifs (dispositifs d'aide à l'emploi, accompagnements liés à l'alternance...).

L'ile de Mayotte est petite et nous ne dénombrons qu'une centaine d'acteurs dans notre filière. Ainsi, dans l'étude de nos filières, nous n'avons pas besoin de mobiliser des pourcentages. Nous raisonnons en nombre d'entreprises et nos besoins sont aisément quantifiables. Nous connaissons les personnes qui souhaitent recruter, ou encore les difficultés de chacun. Je pense que les statistiques et les pourcentages peuvent faire perdre une forme d'agilité, dans la réponse à apporter aux enjeux d'une filière. Nous avons donc identifié les besoins immédiats de nos entreprises et les difficultés qu'elles rencontraient.

Nous avons aussi réalisé une étude sur les perspectives d'évolution de la filière, notamment sur le plan du recrutement ou des intentions de développement. Notre filière est en croissance. Plus de la moitié des dirigeants sondés prévoient de recruter. Ces derniers ont confiance en l'avenir et prévoient de développer leurs activités. Nous avons aussi identifié le type de profils qu'ils recherchaient.

Or les dirigeants de la filière signalent un problème d'attractivité de Mayotte. En ce moment, les médias nationaux ne parlent pas nécessairement en bien du territoire. Récemment, des entreprises ont perdu des profils qui s'étaient positionnés pour rejoindre le département. Ces derniers ont préféré attendre une période plus favorable pour s'installer à Mayotte. Au-delà de ce contexte, il existe aussi des difficultés liées au logement, particulièrement exacerbées dans ce territoire. De nombreux logements se construisent actuellement à Mayotte, mais il s'agit majoritairement de logements sociaux, qui ne sont pas nécessairement accessibles aux profils que nous recherchons. Les prix sont très élevés. Il existe aussi un problème de mobilité sur le territoire.

Nous ne pouvons pas traiter ces problématiques au niveau du cluster, car elles relèvent davantage des pouvoirs publics. Cependant, nous pouvons améliorer l'attractivité de notre filière, via du networking, ou des évènements. Nous avons cherché à identifier précisément et mettre en valeur certains atouts du territoire. Nous pouvons y mener des carrières très atypiques. Nous pouvons y obtenir un accès rapide aux responsabilités. Nous avons relevé que de nombreux jeunes hésitaient à rejoindre le territoire, avec l'impression que ce choix nuirait à leurs carrières et à leur employabilité. Pour lutter contre ces idées reçues, nous expliquons qu'au contraire, une expérience dans les territoires ultramarins est plutôt accélératrice de carrière. Certains jeunes restés trois à quatre ans à Mayotte sur des postes à responsabilité ont pu rejoindre de grands groupes hors du territoire. Ils ont vécu leur passage à Mayotte comme une expérience très formatrice.

Par ailleurs, notre filière mahoraise comprend des métiers en tension. Presque tous les secteurs sont en tension, qu'il s'agisse du BTP, de la santé, de l'hôtellerie, ou du numérique. À Mayotte, le secteur privé est en concurrence avec le secteur public. Le secteur public recrute beaucoup et recherche certaines compétences, tout en proposant des avantages que les entreprises privées ont du mal à proposer. Certains profils que nous recherchons s'orientent donc plutôt vers la fonction publique d'État ou territoriale. Le recrutement devient donc d'autant plus difficile pour les petites entreprises mahoraises.

Pour améliorer l'attractivité de la filière, nous avons aussi cherché à constituer des technopoles, ou encore à renforcer la qualité de la connexion internet. Certains profils ne souhaitent pas trouver à Mayotte des conditions de travail moins confortables que dans d'autres territoires. En particulier, le niveau d'infrastructure de La Réunion voisine est plus élevé. Pour de nombreux profils, La Réunion est plus attractive que Mayotte. D'ailleurs, les entreprises implantées sur les deux îles peinent à attirer leurs salariés vers Mayotte. La qualité des infrastructures se développe à Mayotte, mais trop lentement.

M. Serge Babary. - Je vous remercie pour votre présentation. Je propose maintenant à la salle de réagir.

M. Michel Canévet. - Je tiens d'abord à remercier les différents intervenants pour la qualité et la diversité des actions présentées. Ils mettent en lumière l'existence de nombreuses initiatives qui visent à répondre aux problématiques d'insertion professionnelle dans les outre-mer.

Feyçoil Mouhoussoune, je souhaite vous demander si le réseau de fibre optique parait suffisant à Mayotte pour permettre le développement de votre filière. De plus, l'offre de formation mahoraise est-elle adaptée aux besoins de l'économie locale ? Faut-il repenser ou actualiser ces formations en lien avec les entreprises présentes sur le territoire ?

Mitchelle Malezieu, pouvez-vous vivre de l'activité de votre plateforme « Retour au peyi » ? Est-il possible de développer des outils qui faciliteraient le retour au pays de jeunes ultramarins ? Comment accompagner les parcours professionnels tout au long de la vie, entre l'Hexagone et l'outre-mer ?

Pascal Chavignat, Jeanne Loyher, le Président de la République lancera lundi à Versailles un sommet Choose France, pour attirer des investisseurs étrangers. Faudrait-il lancer des initiatives de communication plus importante pour attirer des investisseurs dans les outre-mer ? Nous visiterons cet après-midi une entreprise du groupe Briand en Vendée, un groupe spécialisé dans la construction métallique implanté en outre-mer. Faudrait-il aussi sensibiliser davantage les entreprises françaises sur l'intérêt de leur implantation en outre-mer ? Cette implantation peut notamment permettre aux entreprises françaises de mobiliser en métropole des ultramarins dépourvus d'emploi sur leurs territoires. Ces ultramarins pourraient ensuite revenir dans leurs territoires avec de nouvelles compétences, s'ils le souhaitent. D'une manière plus générale, vaut-il mieux encourager le départ en formation dans l'Hexagone, ou bien développer l'offre de formation des outre-mer ? Une offre de formation plus étoffée en outre-mer peut éviter d'inciter les jeunes au départ. J'ai été frappé par le faible nombre de retours associé à l'initiative menée à Dieppe, que vous avez présenté.

M. Pascal Chavignat. - Il existe manifestement une inadéquation partielle entre l'offre de formation locale et les besoins des entreprises. Ce point a déjà été évoqué plusieurs fois lors de la première table ronde. Une initiative qui viserait à mettre en lien une projection des besoins des entreprises et les adaptations possibles des offres de formation serait évidemment positive.

Pour donner un exemple concret, GBH, tout comme l'ensemble des acteurs de la grande distribution ont des besoins importants dans les métiers de bouche. En Martinique, nous formons nos bouchers en France, car les offres de formation locales ne permettent pas d'acquérir la qualification professionnelle de boucher en grande distribution. Cette difficulté se rencontre certainement aussi en Guyane ou ailleurs. Cette situation parait aberrante.

Par ailleurs, les départs hors de l'outre-mer ne posent pas toujours de problèmes. Des jeunes effectuent des stages à Hong Kong, à Lisbonne, ou encore à Londres, dans le cadre d'études supérieures ou d'autres formations. Je pense que nos territoires s'enrichissent avec ce type de parcours. Il faut s'interroger sur la manière de rendre visibles et attractives nos offres d'emploi pour ces profils. Pour ce faire, un groupe comme le nôtre, qui compte environ 16 000 salariés, a davantage de marges de manoeuvre qu'une entreprise de quelques salariés.

Mme Jeanne Loyher. - Comme je l'ai indiqué, nous avons construit un système plus ou moins pérenne pour répondre à nos besoins en ressources humaines. Clinifutur compte sur plus de 3 000 salariés, tant dans les métiers de la santé, que dans d'autres métiers (propreté, restauration, blanchisserie ...). Initialement, nous avons exporté nos compétences depuis la petite ile de La Réunion. Nous avons pu nous étendre, en bénéficiant d'une forme de labélisation qui a rencontré du succès. Ainsi, la diversité de nos territoires d'implantation nous a offert un accès plus large à la main-d'oeuvre. Nous avons instauré une forme de pont aérien entre nos territoires d'implantation pour transférer du personnel, pour combler nos manques. Cependant, ce système ne suffit pas à répondre à nos besoins au niveau des métiers en tension.

Je pense que l'offre de formation doit s'adapter à l'identification de nos besoins. Cependant, nous ne pouvons pas réaliser toutes les formations sur place. Dans un petit territoire, il n'est pas possible d'ouvrir une formation pour former seulement cinq ou dix soignants sur l'utilisation de blocs opératoires. Nos soignants sont donc contraints de partir en métropole durant deux ou trois mois. Cette opération coûte chère.

Mon organisme de formation Enova, fondé il y a dix ans, est accolé au groupe Clinifutur. Il travaille tant avec Clinifutur qu'avec des acteurs publics et associatifs. Nous nous sommes adaptés aux exigences de la marque de certification obligatoire Qualiopi et nous proposons donc une partie des formations nécessaires à Clinifutur.

De plus, Clinifutur peut aussi compter sur les diplômes de l'université de La Réunion. Je siège au conseil d'administration de cette université et j'ai pu mettre en évidence nos besoins, pour impulser la création de certaines formations. De cette façon, nous avons pu construire quelques diplômes d'université (DU) qui évitent à nos salariés de rejoindre la métropole pour se former, tels que le DU Dialyse, le DU Qualité, évaluation et certification, ou encore le DU Cuisine. Néanmoins, toutes les formations ne peuvent pas être réalisées à La Réunion.

Pour revenir sur les problématiques soulevées par Feyçoil Mouhoussoune, autour de l'attractivité de Mayotte qui est dégradée par sa situation sécuritaire, je note que les 300 salariés de Clinifutur qui travaillent sur ce territoire ne veulent globalement plus rester sur place. Nos salariés quittent Mayotte. Pourtant, nous offrons dans ce département des postes et des opportunités. Les jeunes peuvent y trouver des postes de cadre. Pour répondre à cette difficulté, nous cherchons des salariés à La Réunion, ou encore au Mozambique, en organisant une forme de pont aérien. Ces mobilités ont un coût. Nous devons payer les billets d'avion, les logements, ou encore les véhicules de fonction. Mais ces mobilités nous permettent de ne pas fermer de services. D'autres établissements, hôpitaux ou cliniques, à Lille ou ailleurs, ferment actuellement des services par manque de personnel.

Mme Mitchelle Malezieu. - Je ne vis pas de la plateforme Retour au peyi. J'ai une autre activité. Pour autant, sur le long terme, j'espère pouvoir vivre de cette plateforme, en créant des packages à offrir aux jeunes diplômés qui souhaitent revenir sur leurs territoires. Ces packages comprendraient un emploi, un logement et d'autres éléments. Le compte Instagram Retour au peyi existe depuis maintenant trois ans. J'ai créé un site internet avec mes propres moyens en décembre 2022. Depuis trois ans, je travaille seule sur ce projet. Je souhaite bénéficier d'un accompagnement et d'une équipe, pour élargir l'offre de cette plateforme, au service des jeunes Ultramarins qui décident de revenir chez eux.

M. Serge Babary. - Je vous remercie. Vous décrivez très clairement votre besoin. Nous reviendrons vers vous hors de cette table ronde.

M.  Feyçoil Mouhoussoune. - La qualité des réseaux internet de Mayotte s'est beaucoup améliorée ces derniers temps. Néanmoins, sa qualité reste encore éloignée de celle des réseaux qui se retrouvent au niveau national, ou à La Réunion voisine. Actuellement, le réseau de Mayotte comporte essentiellement des connexions ADSL. L'ADSL offre beaucoup de possibilités, mais ce réseau reste problématique pour certaines activités. En particulier, certains établissements de santé situés au sud de l'île ne disposent pas d'un réseau garanti et sécurisé.

Pour autant, le département projette de généraliser la fibre optique. Une consultation est en cours sur ce sujet. Nous espérons que les opérateurs déploient la fibre optique d'ici à 2024 ou, au plus tard, d'ici à 2025. Ce déploiement apportera à Mayotte un changement significatif. Aussi, le déploiement de la 5G est attendu au moins dans certaines zones d'activité. Ces déploiements aideront à répondre aux enjeux des formations et des nouveaux modes de travail (télétravail ...).

Pour ce qui est des formations, notre territoire compte une seule université et quelques établissements qui proposent des brevets de technicien supérieur (BTS). Les formations proposées à Mayotte ne dépassent généralement pas le niveau bac+2 et n'englobent pas toutes les spécialités. Nous manquons notamment de formations de niveau bac+4. Quelques initiatives intéressantes et très ciblées ont été lancées récemment en matière de formation. Toutefois, ces initiatives ne répondent pas à tous les besoins de notre filière.

De plus, au-delà de la formation initiale, notre secteur a aussi besoin de formations continues. En effet, dans notre filière, les compétences doivent être régulièrement actualisées. Le manque d'accès aux formations continues peut constituer un frein pour le recrutement. Les personnes qui se positionnent sur des postes mahorais peuvent craindre de ne pas pouvoir se former aussi facilement qu'en métropole, notamment lorsqu'ils souhaitent se spécialiser sur certains métiers.

Face aux manques de l'offre de formation mahoraise, les départs en formation au niveau régional ont été encouragés. Des collaborateurs peuvent se former à La Réunion, à Maurice, ou encore dans certains pays d'Afrique de l'Est, tous situés à environ deux heures d'avion. Il est plus aisé de mettre en place des programmes de formation au niveau régional. De cette façon, les apprenants évitent de s'absenter trop loin de leur territoire, sur des longues durées, pour acquérir leurs qualifications.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice. - Pascal Chavignat, le groupe GBH est implanté sur plusieurs secteurs de mon territoire, de l'automobile à la grande distribution. Récemment, GBH a racheté notre seule distillerie, située à Saint-Laurent-du-Maroni. Je souhaite connaitre le pourcentage de Guyanais embauchés par le groupe dans ses différents secteurs d'implantation en Guyane.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Les initiatives présentées lors de cette table ronde, et notamment celles prises en Guadeloupe et à Mayotte, interpellent le président de collectivité que j'ai été. Je suis frappé par l'absence de coordination entre les acteurs politiques locaux et les acteurs qui portent ces initiatives. Les acteurs politiques semblent ne pas prendre en considération le changement de paradigme qui doit s'opérer dans nos territoires en matière d'emploi local. Ce constat vaut aussi pour mon territoire. J'ai le sentiment que les acteurs locaux ne se coordonnent pas pour faire face aux contraintes auxquelles vous êtes confrontés sur vos territoires. Si nous n'innovons pas en matière d'emploi local, les problèmes que nous rencontrons se répéteront de génération en génération.

M. Pascal Chavignat. - La sénatrice Marie-Laure Phinéra-Horth a eu la gentillesse de me prévenir à propos de sa question sensible. Pour être tout à fait clair, une très grande majorité de nos collaborateurs sont recrutés localement. En effet, nos territoires peuvent être peu attractifs. Par exemple, la Guyane a actuellement du mal à attirer du personnel extérieur au territoire. De plus, le fait de faire venir un candidat de l'extérieur coûte cher, tant à l'entreprise qu'au candidat et constitue une vraie prise de risque. Je discute quotidiennement de ce point avec la famille Hayot : dans la mesure du possible, nous privilégions le recrutement local. Cette démarche est une réalité en Guyane.

Nous devons aussi veiller à développer des compétences locales. J'ai cité tout à l'heure une initiative prise en Guyane vis-à-vis de jeunes plutôt éloignés de l'emploi. Aux Antilles, nous avons fait venir des organismes de formation de métropole particulièrement reconnus, pour former nos chefs de rayon. Annuellement, nous recrutons désormais quarante à cinquante chefs de rayon, qui assurent le premier niveau d'encadrement dans la grande distribution et qui peuvent espérer de grandes carrières. Ainsi, nous veillons à recruter nos cadres localement dans la grande distribution.

Monsieur le président, je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de votre remarque sur la coordination des acteurs locaux. Pour revenir sur une observation de Feyçoil Mouhoussoune, la taille réduite de nos territoires nous offre un accès assez simple à des interlocuteurs de haut niveau. Cet accès est encore plus aisé pour un directeur des ressources humaines d'un groupe comme GBH. De cette façon, nous parvenons à monter des opérations en coordination avec un certain nombre d'acteurs. J'ai évoqué notre collaboration avec Pôle emploi, avec qui nous travaillons étroitement en Guyane, en Martinique et à La Réunion. Pour autant, il est vrai que la coordination des différents acteurs locaux devrait être bien plus importante.

Je souhaite revenir sur un point qui a été très rapidement cité, mais qui, à mon sens, constitue un point clé pour le retour des jeunes diplômés. Dans le cadre de l'initiative du salon Avenir outre-mer, nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas accéder aux données des universités, pour connaitre la localisation des étudiants qui quittent nos territoires. Je comprends qu'il existe des questions de protection des données personnelles. Pour autant, à ma connaissance, très peu d'écoles réalisent aujourd'hui un suivi longitudinal de leurs cohortes d'étudiants. Pour GBH, tout comme pour d'autres acteurs, il s'avère donc difficile d'informer les étudiants ultramarins partis hors de leurs territoires sur des offres d'emploi.

Mme Jeanne Loyher. - Si nous pouvons compter sur 600 salariés à La Réunion, la situation est plus difficile pour Clinifutur à Mayotte. Je me rends à Mayotte depuis 2010, et je constate que les instances administratives du territoire sont régulièrement renouvelées. Nous devons tout réexpliquer aux nouveaux membres de ces instances, tous les deux ans et demi. De plus, actuellement, les acteurs politiques locaux sont absorbés par l'opération Wuambushu. Pour eux, les autres sujets ne sont pas prioritaires. Nous devons donc rester tenaces. Nous vivons des moments plus que difficiles, tant sur le plan financier qu'au niveau des autorisations administratives et des aides. Nous sommes entrés en mode de survie. Je veux bien rediscuter de ce sujet hors de cette table ronde. Nous vivons aujourd'hui une crise très grave. Les acteurs publics manquent-ils de précision dans leurs priorisations ? Sont-ils débordés par la question sécuritaire, qui présente des enjeux politiques et sociaux ? Quoi qu'il en soit, notre relation avec eux est en arrêt et nous devons nous battre pour sortir la tête de l'eau.

Mme Mitchelle Malezieu. - Je trouve très peu, voire pas du tout, de soutien localement. J'ai organisé le premier évènement de Retour au peyi le 10 décembre 2022, par mes propres moyens. J'ai tout mis en oeuvre pour que cet évènement puisse être une réussite. J'ai pu compter sur quelques partenaires, mais je ne me sens pas du tout soutenue par les pouvoirs publics locaux.

M. Serge Babary. - Nous avons bien ressenti que vous ne vous sentiez pas soutenue. Si vous le souhaitez, nous en discuterons ultérieurement, hors de cette table ronde.

M.  Feyçoil Mouhoussoune. - La coordination entre les acteurs locaux autour de la question de l'emploi local reste encore insuffisamment développée. Néanmoins, nous constatons une évolution par rapport à il y a quatre ou cinq ans. En particulier, le Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) a renforcé la coordination entre les services de l'État et notre filière. Un accompagnement nous a été apporté, notamment autour de la mise en oeuvre de plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Néanmoins, notre cluster, qui centralise les remontées des membres de notre filière, rencontre des difficultés d'ordre organisationnel, par manque de moyens humains. Sur ce point, nous ne sommes sans doute pas suffisamment soutenus par les pouvoirs publics. Nous souhaiterions disposer des moyens nécessaires pour traiter correctement l'ensemble de nos questions.

M. Serge Babary. - Je vous remercie. En l'absence d'autres questions, je vous propose de conclure notre table ronde. Je me réjouis de nos échanges. Je remercie le président Stéphane Artano d'avoir permis que nos deux délégations travaillent sur le sujet important de l'emploi, de l'attractivité et de la formation. Ce sujet touche en particulier les jeunes Ultramarins, dans des territoires où une jeunesse nombreuse et dynamique souhaite se construire un avenir intéressant. Je pense que nos échanges ont été très pertinents.

Je précise que la délégation aux entreprises examinera son rapport Formation, compétences et attractivité le 29 juin. Nos échanges de ce matin alimenteront ce rapport.

Enfin, j'adresse des remerciements particuliers à nos amis d'outre-mer qui ont fait l'effort de nous rejoindre à des heures parfois très matinales. Comme nous l'avons proposé, nous reviendrons vers les intervenants pour suivre avec eux certains points. Je vous souhaite à tous une bonne journée.

La séance est close à 11 heures 50.