Projet de loi Financement de la sécurité sociale pour 2025

Direction de la Séance

N°1096

15 novembre 2024

(1ère lecture)

(n° 129 , 138 , 130)


AMENDEMENT

C Défavorable
G  

présenté par

Mmes SOUYRIS et PONCET MONGE, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mme OLLIVIER, M. SALMON et Mmes SENÉE et Mélanie VOGEL


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 9 BIS

Après l’article 9 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.- Le titre unique du livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un chapitre ainsi rédigé : 

« Chapitre …

« Taxe sur la publicité alimentaire

« Art. L. 3232-10. – I. - Il est institué une taxe due, chaque année, par les entreprises audiovisuelles, les entreprises de presse, les entreprises éditrices de documents publicitaires et les entreprises commercialisant des dispositifs publicitaires à raison des recettes qu’elles ont enregistré l’année précédente pour la diffusion de publicité portant sur des denrées alimentaires qui sont dépourvues de signalétique de valeur nutritionnelle, dite « Nutri-Score », autres que des denrées alimentaires biologiques ou porteuses de marque de qualité.

« II. - Sont redevables de la taxe :

« 1° Tout éditeur de services de télévision, tout service de radio et tout service de média audiovisuel à la demande, au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, ainsi que par tout distributeur de services de télévision au sens de l’article 2-1 de la même loi et tout exploitant d’établissement de spectacles cinématographiques au sens de l’article L. 212-1 du code du cinéma et de l’image animée ;

« 2° Toute entreprise éditrice au sens de l’article 2 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ;

« 3° Toute entreprise assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée qui réalise ou qui distribue des imprimés publicitaires ou des journaux mis gratuitement à la disposition du public comportant de la publicité ;

« 4° Tout entreprise qui commercialise un dispositif publicitaire au sens du 1° de l’article L. 581-3 du code de l’environnement.

« Ne sont pas redevables de la taxe les entreprises dont le chiffre d’affaires de l’année civile de l’année civile au titre de laquelle la taxe est due est inférieur à 15 000 000 €, hors taxe sur la valeur ajoutée, et qui ne sont pas contrôlés, directement ou indirectement, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, par une entreprise dont le chiffre d’affaires est supérieur à ce montant.

« III. – La taxe est assise sur le montant hors taxe des sommes versées, au cours de l’année civile, à la personne redevable par les annonceurs et les parrains, ou leur intermédiaires quels qu’ils soient, en contrepartie de la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage, dès lors que le message porte, à titre principal ou non, sur une denrée alimentaire qui relève du champ d’application du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n° 1924/2006 et (CE) n° 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission. 

« Dès lors qu’un contenu audiovisuel ou un document écrit comporte, même à titre accessoire, un message publicitaire portant sur une denrée alimentaire, la totalité des recettes perçues, directement ou indirectement, en contrepartie de la diffusion de ce contenu ou de ce document est incluse dans l’assiette de la taxe.

« IV. – Ne sont pas comprises dans l’assiette de la taxe les recettes perçues en contrepartie de la diffusion des messages publicitaires et de parrainage qui portent exclusivement sur l’une ou sur plusieurs des denrées alimentaires suivantes :

« 1° Les denrées alimentaires portant une dénomination enregistrée en qualité d’appellation d’origine protégée, d’indication géographique protégée ou de spécialité traditionnelle garantie en application du règlement n° 1151/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires ;

« 2° Les denrées alimentaires biologiques qui relèvent du règlement n° 2018/848 du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques ;

« 3° Les denrées alimentaires porteurs de la signalétique nutritionnelle complémentaire, dite communément « Nutri-Score », prévue en application de l’article L. 3232-8 du présent code et de l’article 35 du règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 précité ;

« 4° Les denrées alimentaires destinés spécifiquement aux enfants de moins de 3 ans et les denrées alimentaires pour lesquelles l’apposition de la signalétique nutritionnelle complémentaire mentionnée au 3° n’est pas recommandée par l’autorité administrative.

« L’exclusion de l’assiette de la taxe en application des dispositions précédentes du présent paragraphe n’est pas applicable dès lors que le message publicitaire ou de parrainage s’adresse spécifiquement à des personnes mineures, notamment lorsque le message prend place dans une publication destinée à la jeunesse ou dans un programme audiovisuel diffusée principalement à l’attention d’un public composé de personnes mineures.

« V. – La taxe est calculée en appliquant au montant des encaissements annuels auprès de chaque annonceur et passait, hors taxe sur la valeur ajoutée, qui excède 10 000 euros les taux de :

« 1° 10 % pour la fraction égale ou supérieure à 10 000 € et inférieure à 100 000 € ;

« 2° 20 % pour la fraction égale ou supérieure à 100 000 € et inférieure à 1 000 000 € ;

« 3° 30 % pour la fraction égale ou supérieure à 1 000 000 € et inférieure à 10 000 000 € ;

« 4° 40 % pour la fraction égale ou supérieure à 10 000 000 € ;

« VI. – les personnes mentionnées au II déclarent chaque année, avant le 31 mars de l’année suivant celle au titre de laquelle la taxe est due, les sommes mentionnées au III, en distinguant par annonceur ou par parrain et selon que la somme entre ou non dans le champ d’application de la taxe.

« La taxe est payable, sur la base d’un titre de recette établi au vu de cette déclaration, par l’administration fiscale, à partir du 1er octobre de l’année suivant celle au titre de laquelle la taxe est due. 

« Les dispositions du livre des procédures fiscales relatives au contrôle, au contentieux et au recouvrement de l’impôt sont applicables.

« VII. La taxe sur la publicité alimentaire est affectée aux régimes obligatoires de sécurité socialeen application du 10° de l’article L. 131-8 du code de la sécurité sociale. »

II. – À l’article L. 131-8 du code de la sécurité sociale, après l’avant-dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 10° Le produit de la taxe sur la publicité alimentaire prévue à l’article L. 3232-10 du code de la santé publique. »

III. – Pour l’année 2025, les taux prévus aux 1° à 4° du V de l’article L. 3232-10 du code de la santé publique sont fixés respectivement à 2 %, 4 %, 6 % et 8 %.

Objet

Au début du mois de septembre de cette année, la société Danone a annoncé qu’elle n’afficherait plus le Nutri-Score sur ses produits laitiers, notamment des marques Actimel, Danonino et Activia. Cette décision, qui suit de quelques semaines celle de la marque française Bjorg, spécialisée dans le biologique, aurait été prise à la suite de la révision des critères du logo nutritionnel. La révision aurait relégué en bas du classement les notes de certains produits vedettes de Danone, notamment ses yaourts à boire.

Cette décision, mal avisée et qui ne manquera pas d’entacher la réputation d’entreprise responsable de Danone, est très inquiétante. Même si elle ne touche qu’un nombre réduit de produits, dès lors qu’elle émane d’un acteur majeur de l’industrie agroalimentaire, elle risque d’inciter d’autres acteurs à faire de même. L’Etat se doit de réagir vigoureusement pour encourager l’ensemble des acteurs du marché à persister dans leur affichage du Nutri-Score, une signalétique largement adoptée, notamment par la grande distribution et plébiscitée par les consommateurs. L’enjeu est d’autant plus élevé que le Nutri-Score également populaire chez nos voisins allemands, belges ou hollandais, est en revanche vivement contesté par d’autres Etats membres de l’Union européenne ce qui menace son avenir. Il y a probablement de la jalousie car, rappelons-le, le Nutri-Score, inspiré des travaux d’une agence étatique britannique, est la création d’une équipe de recherche universitaire française.

Le rapport d’information n° 638 (2023-2024) de la Commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 29 mai 2024 intitulé « La fiscalité comportementale en santé : stop ou encore ? » préconise des politiques publiques plus ambitieuses, comprenant notamment des outils fiscaux dont l’objet serait d’abord incitatif avant d’être financier. La proposition n° 16 qu’il formule demande au Gouvernement qu’il plaide pour un Nutri-Score obligatoire à l’échelle européenne grâce à une révision du règlement EU n° 1169/2011. En attendant une éventuelle modification du règlement de l’Union européenne, qui n’interviendra pas dans l’immédiat si toutefois elle intervenait, il convient les inciter les entreprises à utiliser davantage le Nutri-Score. 

A cet effet, dans la philosophie du rapport de la Commission des affaires sociales, il est proposé, non pas de taxer les produits, ce qui reviendrait à diminuer le pouvoir d’achat des consommateurs, mais de taxer la publicité pour les produits (art. L. 3232-10 nouveau, I).

Pour des raisons pratiques, il est proposé d’imposer non pas les annonceurs mais les diffuseurs de la publicité (Art. L. 3232-10 nouveau, II). Tous les circuits de diffusion sont concernés : publicité audiovisuelle (TV, radio, média à la demande, cinéma) (1°), publicité dans la presse (2°), courrier publicitaire et imprimés sans adresse (3°) et affichage notamment urbain et transports (4°). Les petites entreprises, au sens de l’article L. 123-16 du code de commerce, sont exclues du champ d’application de la taxe.

La taxe est assise sur le montant hors taxe des sommes versées au cours de l’année civile à la personne redevable par les annonceurs et les parrains, ou leur intermédiaires quels qu’ils soient, en contrepartie de la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage, dès lors que ce message porte, à titre principal ou non, sur une denrée alimentaire (art. L. 3232-10 nouveau, III). Sont exclues de l’assiette les recettes de publicité portant sur les produits porteurs du Nutri-Score (3°), ainsi que celles portant sur les produits porteurs de signes de qualité (1°), sur les produits biologiques (3°) ou encore sur les produits exclus du champ d’application du Nutri-Score par décision de l’administration (4°).

A noter que, dans la ligne du rapport de la commission des affaires sociales de mai 2024, la publicité pour les produits alimentaires destinée spécifiquement à la jeunesse est taxée sans bénéfice d’aucune exemption. La proposition n° 15 de ce rapport est en effet d’ « interdire à la télévision et sur internet les publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans. »

Le dispositif fiscal institué par cet amendement comporte deux garde-fou destinés à éviter les contournements. En premier lieu, dès lors qu’un contenu audiovisuel ou un document écrit comporte, même à titre accessoire, un message publicitaire portant sur une denrée alimentaire, la totalité du montant versé, directement ou indirectement, en contrepartie de la diffusion de ce contenu ou de ce document, est incluse dans l’assiette de la taxe. Par exemple, un dépliant publicitaire diffusé au profit d’une grande surface présentant une denrée alimentaire parmi de très nombreux produits non alimentaires ou une émission de télévision mettant en avant différentes marques d’un même annonceur, y compris une marque de denrée alimentaire qui ne bénéficie pas d’exemption, entrent dans le champ d’application de la taxe. Il n’y a pas de prorata : l’ensemble du prix de la diffusion du dépliant ou du programme rentre dans l’assiette de la taxe. C’est à la fois une mesure visant à éviter le contournement de la taxe et une mesure de simplification pour les diffuseurs. En second lieu, pour qu’une dépense de publicité soit exclue de l’assiette de la taxe, il faut que la publicité en cause porte exclusivement sur un ou plusieurs produit bénéficiant de l’exemption.

Le taux de la taxe sera progressif de 10 % jusqu’à 40% pour les montants de dépenses de l’annonceur excédant 10 millions d’euros (art. L. 3232-10 nouveau, V).

La taxe sera recouvrée sur la base d’une déclaration effectuée chaque année et selon les règles de droit commun des impositions (art. L. 3232-10 nouveau, VI).

Le produit de la taxe sera affecté aux régimes obligatoires de sécurité sociale (art. L. 3232-10 nouveau, VII), à l’instar des droits sur les tabacs, dont la consommation est dommageable pour la santé.

L’instauration d’une telle taxe, qui pèsera sur les diffuseurs, a pour finalité de réduire voire éliminer la publicité pour les denrées alimentaires à faible qualité nutritionnelle en la renchérissant. Ce renchérissement sera indirect puisqu’il faudra que les diffuseurs répercute le coût de la taxe sur les prix de prestations qu’ils facturent aux annonceurs et parrains. 

C’est d’ailleurs pour cette raison que l’amendement introduit une disposition transitoire qui réduit le taux de la taxe d’un facteur 5 la première année. Cette année de transition permettra si besoin de renégocier les contrats et de revoir les grilles tarifaires dont la temporalité n’est pas forcément l’année civile.

Sur le plan pratique, il sera aisé pour le diffuseur de déterminer si une publicité donnée entre ou non dans le champ de la taxe. 

En premier lieu, c’est l’ensemble des publicités pour une gamme de produits de l’annonceur qui entrent ou n’entrent pas dans le champ d’application de la taxe et non telle ou telle denrée en particulier. En effet, en vertu du II de l’article R.3232-7 du code de la santé publique : « L’engagement des fabricants et des distributeurs dans la démarche volontaire d’utiliser la forme de présentation complémentaire recommandée (…) porte sur l’ensemble des catégories de denrées alimentaires qu’ils mettent sur le marché sous leurs propres marques (…) ».

En second lieu, l’Oqali, c'est-à-dire l’observatoire de l’alimentation prévu à l’article .L. 230-3 du code rural et de la pêche maritime dispose d’une base des données des produits revêtus du Nutri-Score. En effet en vertu de l’arrêté du 31 octobre 2017 fixant la forme de présentation complémentaire à la déclaration nutritionnelle recommandée par l’Etat, les fabricants et les distributeurs du secteur alimentaire, qui s’engagent à utiliser le Nutri-Score, en informent la section nutritionnelle de l’Oqali.

S’il est attendu un impact de l’amendement en termes de rendement financier de la taxe et de changement de comportement des annonceurs à l’égard du Nutri-Score, l’impact sur les diffuseurs et sur le marché de la publicité en général devrait être très limité.

En effet, l’alimentation ne représente qu’un peu moins de 6% d’un marché publicitaire qui s’élève à 17,3 milliards d’euros en 2023 d’après le Baromètre unifié du marché publicitaire. L’alimentation se classe derrière la mode, le tourisme, l’automobile, la banque et l’assurance et surtout loin derrière la distribution qui pèse 19% du marché publicitaire. Autrement dit, en supposant même que l’ensemble de la publicité pour la distribution soit affecté par la taxe, parce qu’elle porte sur des denrées alimentaires non exemptées, celle-là ne toucherait au grand maximum qu’un quart du marché publicitaire. Sans doute, certaines modalités de publicité seraient plus directement affectées : en particulier la distribution dans les boîtes aux lettres, mode de communication largement utilisé par la grande distribution généraliste qui met souvent en avant des produits à faible qualité nutritionnelle tels que les pâtes à tartiner, les biscuits, les sodas et les produits laitiers sucrés.

En tout état de cause, passé la phase d’ajustement il est probable que la taxe fasse son plein effet c'est-à -dire qu’elle incite les marques à adopter la signalétique de valeur nutritionnelle, ce qui les ferait échapper aux effets de la taxe. Seule la publicité spécifiquement destinée à la jeunesse, essentiellement télévisuelle, resterait impactée par la taxe puisque dans ce cas l’exemption« Nutri-Score » ne jouera pas.