SIMP |
Projet de loi Simplification de la vie économique (1ère lecture) (n° 550 ) |
N° COM-167 rect. 28 mai 2024 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mme BELLAMY, M. PIEDNOIR, Mmes MICOULEAU et CHAIN-LARCHÉ et M. CUYPERS ARTICLE 5 |
Supprimer cet article.
Objet
L’article 5 du projet de loi de simplification de la vie économique prévoit d’unifier le contentieux de la commande publique au profit de la compétence du juge administratif. Désormais, les contrats relevant de la commande publique passés par « les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial » seront qualifiés d’administratifs.
En pratique, il s’agit des contrats passés par les sociétés d’HLM, les sociétés d’économie mixte, les sociétés publiques locales, ou encore les associations financées par la ressource publique, entités qui n’ont absolument pas été consultées. Cela impactera particulièrement les entreprises locales de distribution, qui jouent un rôle majeur dans nos territoires (Sociétés d’économie mixte et sociétés d’intérêt collectif agricole et leurs filiales, Entités gérant des réseaux d’électricité et de gaz, Entités de commercialisation d’énergie, Entités de production d’énergies renouvelables).
En théorie du droit, cette unification simplifie le droit au recours contentieux, puisque ne se posera plus la question du juge à saisir. Mais il n’y a pas toujours de contentieux, et cette question ne se pose finalement que très rarement. En effet, l’état actuel du droit ne pose pas de difficultés telles justifiant une réforme aussi profonde sans concertation, ni étude d’impact analysant les conséquences de cette réforme sur le monde économique. Le volume de requêtes concernant le contentieux des contrats privés de la commande publique devant les 11 tribunaux judiciaires de première instance spécialement désignés est faible, avec moins de 30 affaires enregistrées devant le Tribunal Judiciaire de Paris en 2022 et 2023, et aucune autre dans les autres tribunaux depuis 2021.
Loin de ne concerner que le juge à saisir, cette réforme aura des conséquences lourdes sur le fond du droit applicable (passation et exécution des contrats) pour de nombreux acteurs économiques, en particulier dans le secteur de l’énergie, et sera donc à l’origine d’une véritable complexification de l’activité des acteurs privés de la commande publique:
L’unification du contentieux conduira à ce qu’une partie de l’activité des organismes concernés relève de la compétence du juge administratif, tandis qu’ils continueront de relever, pour le reste, du juge judiciaire, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis. Cette unification conduira également à l’ouverture du recours des tiers privilégiés ou intéressés (« recours Tarn-et-Garonne »), multipliant ainsi le risque de recours injustifiés ou abusifs Deux régimes contractuels coexisteront, entre les contrats conclus avant et après la réforme, ce qui sera source de confusion et de complexité ;L’exécution des contrats concernés se trouvera bouleversée sur de nombreux aspects, rendant obligatoire les Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG), ce qui nécessitera un profond travail d’adaptation des contrats des entités adjudicatrices de droit privé dotées pour la plupart depuis des décennies de juristes et d’acheteurs de droit privé et non de juristes et d’acheteurs de droit public ;Les grands principes régissant les contrats administratifs auront vocation à s’appliquer à l’ensemble de ces contrats : plafonnement des pénalités pour certains marchés, modification et remise en cause unilatérale des contrats… Des pouvoirs exorbitants du droit commun en contradiction avec l’esprit de négociation commerciale, pourtant inhérent à la vie des affaires, et viendraient déséquilibrer les relations entre ces entités et leurs fournisseurs.
Enfin, rappelons que le juge judiciaire est le juge naturel des affaires et des entreprises. Si les personnes morales de droit privées peuvent être amenées à conclure des contrats de la commande publique, et donc à se rapprocher de la « sphère publique », il n’en demeure pas moins que la distinction entre contrat administratif et contrat de droit privé n’est pas anodine. Le Conseil constitutionnel a ainsi pu rappeler que « les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et des régimes différents » (QPC n°020-857 du 2 octobre 2020, Société Bâtiment mayennais), justifiant ainsi des différences de traitement qui ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant la loi (à propos de l’absence de recours « Tarn-et-Garonne » devant le juge judiciaire) ;
Le Conseil d’État observe dans son avis rendu sur le projet de loi, qu’il convient « de ne pas surestimer les avantages de la mesure en termes de simplification pour les entreprises », ajoutant que « le partage actuel du contentieux ne conduit que très rarement à des difficultés quant à la désignation du juge compétent ou à des divergences d’interprétation entre les deux ordres de juridiction »
Loin de simplifier la vie de nos entreprises, cette réforme entrainera des coûts supplémentaires notamment en matière de ressources humaines, grèvera l’attractivité de ces opérateurs auprès de leurs fournisseurs et allongera les délais de traitement et d’attribution des contrats.
Le présent amendement propose en conséquence de supprimer l’article 5 du projet de loi et de maintenir ainsi l’état actuel du droit.