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Commission spéciale sur la bioéthique

Projet de loi

Bioéthique

(Nouvelle lecture)

(n° 677 )

N° COM-1

12 juin 2021


 

AMENDEMENT

présenté par

Rejeté

M. LECONTE


ARTICLE 4 BIS


Supprimer cet article.

Objet

L’article 47 du Code civil dispose actuellement "Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité."  

L’article 4 bis tel que modifié à l’Assemblée nationale prévoit d’ajouter que « Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. »

D’une part, cet article est un cavalier législatif qui encoure l’inconstitutionnalité en ce qu’il ne présente aucun lien avec le présent projet de loi relatif à la bioéthique.  

D’autre part, si cet article 4 bis venait à être adopté, il concernerait l’ensemble des actes de l’état civil visés à l’article 47 du Code civil (actes de naissance, mariage, décès, ...) et porterait atteinte à leur force probante, leur reconnaissance et leur opposabilité en France. Ceci serait dramatique pour l’ensemble des Français nés et/ou établis hors de France et leurs familles, en complexifiant et en retardant l’ensemble de leurs démarches (demande de transcription, reconnaissance de filiation, obtention d’un certificat de nationalité française, de passeport ou carte nationale d’identité, etc.), et concernera aussi évidemment les actes et démarches des ressortissants étrangers résidant en France. Il est également à craindre que certains États n’appliquent le principe de réciprocité en rendant inopposables les actes de l’état civil français régulièrement dressés en France. Quid, par exemple, de la « réalité » de de la loi française qui prévoit les mariages post mortem, ou encore des actes de naissance français des enfants naturels dans les Etat dont la législation ne connait que les enfants légitimes ?

De surcroit, les administrations françaises -déjà surchargées de tâches à effectuer-, si elles devaient pour chaque acte étranger de l’état civil qui leur sera soumis vérifier que le droit local qui a conduit à dresser l’acte est conforme à la loi française, devront mobiliser un grand nombre de moyens humains. Rappelons que nos postes consulaires et diplomatiques ont déjà vu leur nombre d’ETP réduit, et leurs fonctions « recentrées » sur leur cœur de métier. Un tel article ne peut donc pas, en tout état de cause, être adopté sans étude d’impact qui envisagerait les conséquences quant aux moyens qui devront y être consacrés, sauf à ce que l’ensemble des démarches des personnes concernées ne prennent des mois, voire des années de plus. Les difficultés qu’engendrera cet article 4 bis, renvoient à celles rencontrées sous l’empire de la précédente rédaction de l’article 47 du Code civil (en vigueur du 27/11/2003 au 15/11/2006) qui permettait à l’administration « saisie d’une demande d’établissement, de transcription ou de délivrance d’un acte ou d’un titre » de surseoir à la demande en cas de doute, entrainant le cas échéant la saisine du Procureur de la République et allongeant de plusieurs mois des délais de délivrance. Or, c’est bien parce qu’elle a été estimée non efficace et chronophage que cette rédaction a été réformée en 2006.

De plus, cet article 4 bis est aussi inutile, dès lors qu’il existe dans notre droit international privé l’exception d’ordre public international, permettant de s’opposer à la reconnaissance et l’opposabilité en France d’actes ou décisions de justice qui porteraient atteinte à notre ordre public de fond ou procédural ; tel est par exemple le cas du refus de reconnaissance des mariages polygames, ou encore des divorces étrangers de types "répudiations" qui portent à la fois atteinte au principe d’égalité femme-homme et au principe du contradictoire.

Enfin, et surtout, depuis l’examen du présent projet de loi en première lecture au Sénat, notre droit a évolué concernant la préoccupation de ceux et celles qui ont inséré au texte cet article 4 bis, qui était annoncé comme ayant pour but d’empêcher la transcription intégrale « automatique » des actes de naissance des enfants français nés hors de France par GPA, et donc de voir leur filiation établie à l’égard des parents portés à l’acte de naissance étranger (acte pourtant régulièrement dressé par les autorités locales). Aujourd’hui, il n’en est rien, et notre droit positif rappelle bien depuis des instructions du Procureur de Nantes en date de mars 2020, qu’en aucun cas il n’est procédé à une transcription « automatique ». Nous sommes désormais face à un système équilibré, permettant à la fois d’éviter la fraude et de respecter l’intérêt exclusif des enfants à voir leur filiation intégrale établie, dans le respect de la CEDH et conformément à une jurisprudence devenue constante de la Cour de cassation. Un « retour en arrière » opéré par l’adoption de l’article 4bis serait dramatique pour ces enfants, et sera évidemment à nouveau sanctionné par la CEDH.  

En effet, la CEDH impose, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, une procédure respectant les critères de « célérité » et « d’effectivité » dans son (énième) arrêt de condamnation de la France à ce sujet, en date du 10/04/2019. Or, apprécier la « réalité » des faits portés à l’acte de naissance étranger au regard de la « loi française » impliquera aussi de discriminer les mères de ces enfants, car seul la filiation paternelle sera à nouveau reconnue, comme telle était le cas avant que la jurisprudence de la Cour de cassation n’évolue afin de respecter les critères de la CEDH, et surtout placera l’enfant dans une situation d’insécurité juridique insupportable. Cela imposera que ces mères d’intention (et parfois biologiques, si l’enfant a été conçu avec leurs gamètes) seront contraintes d’adopter leur propre enfant (contrairement au père) via une procédure longue qui ne respectera en rien les deux critères de la CEDH. La réforme en cours de l’adoption ne résoudra rien, si ce n’est pour le seul cas de l’adoption intrafamiliale des couples non mariés, mais en excluant toujours les mères françaises, seules, séparées, ou veuves (pour lesquelles l’adoption de leur enfant restera prohibée par la loi) qui n’auront aucun moyen de voir leur filiation établie à l’égard de leur propre enfant qui sera en droit français purement et simplement dépourvu de filiation.

Pourtant, la Cour de Cassation a bien tiré les conséquences de cet arrêt de la CEDH, par des arrêts du 4/10/2019 et deux arrêts du 18/12/2019, étendant l’exigence d’une transcription intégrale à l’ensemble des configurations familiales tout en l’encadrant strictement pour les enfants français nés à l’étranger d’une GPA. Suite à ces arrêts, le Procureur de la République de Nantes a pris le 11/03/2020 de nouvelles instructions. Elles ont donné lieu à une note diplomatique de la Sous Direction de l’état civil et de la nationalité du MAEE en date du 24/04/2020, adressée à nos postes consulaires. Aujourd’hui, la transcription intégrale des actes de naissance de ces enfants français n’est possible que si et seulement si certaines conditions sont réunies, afin d’éviter toute fraude, tout en répondant aux critères de « célérité » et « d’effectivité » posés par la CEDH, et ce dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette note diplomatique précise bien « il ne résulte pas de ces arrêts une validation automatique et générale des demandes de transcription intégrale des actes de naissance étrangers des enfants nés de GPA, de sorte que plusieurs situations sont à distinguer. », et elle les distingue sur 9 pages !

Par conséquent, une transcription totale d’acte de naissance d’enfant français né de GPA à l’étranger étant désormais possible en droit positif, sous certaines conditions et strictement encadrée par ces instructions, l’article 4 bis (qui engendrera des conséquences néfastes en matière de reconnaissance de tous les actes étrangers de l’état civil, bien au-delà du seul sujet des enfants nés d’une GPA) n’a donc pas lieu d’être – et ce bien entendu y compris dans sa rédaction initiale issue du Sénat- et doit être supprimé.