Direction de la séance |
Projet de loi Projet de loi de finances pour 2025 (1ère lecture) PREMIÈRE PARTIE (n° 143 , 144 ) |
N° I-96 rect. 24 novembre 2024 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mme Nathalie GOULET et les membres du groupe Union Centriste ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 26 |
Après l’article 26
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre Ier du titre Ier de la première partie du code général des impôts est ainsi modifié :
A. – Au 2 de l’article 119 bis, les mots : « lorsqu’ils bénéficient à » sont remplacés par les mots : « lorsque leurs bénéficiaires effectifs sont » ;
B. – L’article 119 bis A est ainsi modifié :
1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Le 1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « , dans la limite du montant correspondant à la distribution de produits de parts ou d’actions mentionnée au b » sont remplacés par les mots : « ou transfert de valeur » ;
b) Les a et b sont ainsi rédigés :
« a) Le versement ou transfert de valeur est conditionné, directement ou indirectement, à la distribution de produits d’actions, de parts sociales ou de revenus assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis, ou son montant est établi en tenant compte de ladite distribution ;
« b) Le versement ou transfert de valeur est lié, directement ou indirectement :
« – à une cession temporaire desdites actions ou parts réalisée par la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France au profit, directement ou indirectement, de la personne qui est établie ou a sa résidence en France ;
« – ou à une opération donnant le droit ou faisant obligation à la personne qui est établie ou a sa résidence en France de revendre ou de restituer, directement ou indirectement, lesdites actions ou parts à la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France ;
« – ou à un accord ou instrument financier ayant, directement ou indirectement, pour la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France, un effet économique similaire à la possession desdites actions ou parts ; »
3° Au 3, les mots : « mentionné au 1 apporte la preuve que ce versement correspond » sont remplacés par les mots : « ou transfert de valeur mentionnés au 1 du présent I apporte la preuve que ce versement ou transfert de valeur correspondent » ;
4° Le 4 est ainsi rédigé :
« 4. La personne qui effectue le versement ou le transfert de valeur mentionnés au 1 du présent I transmet à l’administration fiscale, à sa demande et sous format dématérialisé, le montant, la date, l’identité de l’émetteur des actions ou parts objets de l’opération mentionnée au 1 du même I et celle du bénéficiaire effectif desdits versement ou transfert de valeur.
« Lorsque la personne mentionnée au premier alinéa du présent 4 n’est pas en mesure de déterminer l’identité du bénéficiaire effectif mentionné au même alinéa, ladite personne transmet, en lieu et place de l’identité dudit bénéficiaire, les informations nécessaires à l’identification de sa résidence fiscale. » ;
5° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – 1. Lorsque les produits des actions et parts sociales et les produits assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis et les revenus visés au 1 du I du présent article sont versés à une personne qui est établie ou a sa résidence dans un État ou territoire ayant signé avec la France une convention d’élimination des doubles impositions qui ne prévoit pas ou exonère de retenue à la source ces produits, la personne qui effectue le versement des produits applique, lors de la mise en paiement, le taux de retenue à la source prévu à l’article 187 du présent code.
« 2. Le bénéficiaire des produits mentionnés au 1 du présent II peut obtenir le remboursement de la retenue à la source s’il apporte la preuve qu’il en est le bénéficiaire effectif et que le versement de ces produits dans l’État ou territoire mentionné au 1 a principalement un objet ou un effet autre que d’éviter l’application d’une retenue à la source ou d’obtenir l’octroi d’un avantage fiscal.
« 3. La personne qui effectue le versement des produits et revenus mentionnés au 1 du présent II transmet à l’administration fiscale, à sa demande et sous format dématérialisé, le montant, la date, l’identité de l’émetteur des actions ou parts objets des opérations mentionnées au 1 du I du présent article et celle du bénéficiaire effectif desdits produits et revenus.
« Lorsque la personne mentionnée au premier alinéa du présent 3 n’est pas en mesure de déterminer l’identité du bénéficiaire effectif mentionné au même alinéa, ladite personne transmet, en lieu et place de l’identité dudit bénéficiaire, les informations nécessaires à l’identification de sa résidence fiscale. » ;
C. – Au 2 de l’article 187, après la référence : « 117 bis », sont insérés les mots : « et à l’article 119 bis A »
Objet
Le présent amendement est issu d'une proposition de loi très largement cosignée et transpartisane, et vise à mettre un terme aux pratiques d'arbitrage de dividendes qui sont utilisées aujourd'hui à des fins de fraude et d'évasion fiscales. L'évasion fiscale est un fléau majeur qui coûte chaque année entre 80 et 120 milliards d'euros aux finances publiques.
Il résulte aussi d'un combat constant mené à chaque PLF depuis 2018.
Il ne serait pas étonnant que, compte tenu de la situation financière de notre pays, ce sujet trouve cette année des ouvriers défenseurs de la 25ème heure .
C'est deux fois le budget de l'éducation nationale et plus de huit fois le budget du ministère de la justice. Si notre pays veut relever les grands défis qui se dressent devant lui d'une manière socialement juste et acceptable, il est nécessaire de récupérer cet argent.
Mettre fin aux pratiques d'arbitrage de dividendes est donc un pas dans cette direction.
En octobre 2018, l'enquête dite des « CumEx Files » réalisée par 19 médias européens a révélé l'ampleur des pertes fiscales dues à cette pratique. En 2021, la perte est estimée à 140 milliards d'euros sur vingt ans pour les États européens. La France est le pays le plus touché avec 33 milliards d'euros de manque à gagner sur vingt ans.
L'arbitrage de dividendes est une technique répandue d'optimisation fiscale qui profite aux actionnaires possédant des actions en France. Les banques françaises le pratiquent à grande échelle afin de permettre à leurs clients étrangers d'éviter la retenue à la source de 30% sur les dividendes par l'administration fiscale.
Deux techniques principales existent.
Le « CumCum » : un actionnaire transfère des titres ou des droits à une entité établie en France (montage « interne ») ou dans un pays avec lequel la France a signé une convention fiscale favorable (montage « externe) - souvent une banque car la fiscalité sur les sociétés est plus avantageuse que celle sur les particuliers - juste avant de recevoir des dividendes afin d'éviter la fiscalisation à la source. La banque rend ensuite l'action et les dividendes au propriétaire moyennant une commission (la banque est donc complice !).
Le « CumEx » : des actionnaires étrangers multiplient les échanges d'actions juste avant le versement des dividendes. L'administration fiscale n'est alors plus en mesure de déterminer qui détient l'action. Ensuite, les actionnaires demandent tous le remboursement de la retenue d'impôts à l'administration (alors que la retenue d'impôt n'a été effectuée qu'une seule fois par l'administration, voire jamais).
Ces pratiques représentent un contournement manifeste de la loi puisque les mécanismes mis en oeuvre visent à tromper l'administration fiscale et à percevoir des remboursements indus.
Pourtant, elles continuent à être utilisées à grande échelle par les actionnaires et les banques françaises. Les échanges de titres, mais également de produits dérivés de ces titres, sont massivement utilisés à des fins d'évasion fiscale. Le présent amendement vise donc à mettre fin à ces pratiques.
Depuis les révélations de 2018, que s'est-il passé ? Un collectif citoyen mené par le député Boris Vallaud a déposé plainte dès octobre 2018 et le Parquet National Financier (PNF) a ouvert une enquête. La justice fait donc sa part du travail comme le montrent les perquisitions menées par le Service d'Enquête Judiciaire des Finances (SEJF) et le PNF au printemps dernier dans les locaux français de cinq banques : Société générale, BNP Paribas, Exane (filiale de BNP Paribas), Natixis (groupe BPCE) et HSBC. La décision du Conseil d'État du 8 décembre 2023 a certes annulé les retenues à la source sur les dividendes réclamées par l'administration fiscale.
Mais cela ne dédouane pas les banques et ne leur assure pas l'impunité. La procédure pénale se poursuit. La décision du Conseil d'État montre d'ailleurs qu'il est temps que le législateur agisse pour définir une règle claire et inflexible en matière d'arbitrage de dividendes afin d'éviter à l'avenir les feuilletons juridiques interminables.
Le présent amendement reprend les amendements qui ont été défendus ces dernières années, notamment par la députée Charlotte Leduc, pour combler les lacunes de notre arsenal législatif. Il s'attaque à tous les types de montages, même les plus sophistiqués, supprime la limite des 90 jours autour de la date de versement des dividendes et précise tous les cas où la retenue à la source doit s'appliquer.
Enfin, cet amendement permet d'appliquer automatiquement la retenue à la source de 30 % à tous les flux financiers partants à l'étranger. Charge ensuite à la personne établie dans un pays ayant une convention fiscale favorable avec la France de prouver qu'elle est bien la bénéficiaire effective de ce versement afin d'obtenir le remboursement de la retenue à la source. Cette personne ne peut donc plus servir d'intermédiaire pour un tiers résidant dans un pays n'ayant pas de convention fiscale favorable avec la France. De même, la proposition de loi s'attaque aux pratiques de « CumEx » en conditionnant les possibilités de remboursements à une vérification de l'administration fiscale.
La prise de conscience du danger que représente l'arbitrage de dividendes est aujourd'hui mondiale. La Belgique a fait évoluer son droit dès 2019 pour combattre les montages « CumEx ». C'est désormais au contribuable de prouver qu'il a droit à l'exonération de la retenue à la source sur les dividendes et non à l'administration fiscale de vérifier si les conditions pour l'obtenir s'appliquent. Les délais autorisés pour les audits et contrôles fiscaux des dossiers dans lesquels un abattement ou une réduction de l'impôt sur les dividendes a été octroyé ont également été doublés en 2023. L'administration fiscale peut ainsi effectuer des contrôles supplémentaires et enquêter sur les omissions fiscales dans les cas complexes d'arbitrage de dividendes. L'Allemagne a également agi en introduisant dans son droit de nouvelles dispositions visant à contrer les stratégies d'arbitrage de dividendes. Les organisations internationales se sont, elles aussi, emparées du sujet. L'OCDE juge ainsi dans son rapport « Fraude fiscale aux dividendes, Renforcer la sensibilisation aux montages d'arbitrage de dividendes » publié en décembre 2023, que « des modifications de la législation peuvent également s'avérer nécessaires ». C'est donc dans un contexte international favorable à une réglementation plus stricte de ces pratiques que nous souhaitons permettre à notre administration fiscale de disposer de nouveaux outils pour lutter contre l'arbitrage de dividendes.
Tout l'intérêt du dispositif présenté est qu'il permet de combattre efficacement les pratiques d'arbitrage de dividendes sans passer par une renégociation longue et incertaine des conventions fiscales signées par la France avec ses partenaires internationaux.
Le travail transpartisan réalisé devrait permettre de réunir une majorité sur ce texte et montrerait à nos concitoyennes et concitoyens l'importance que leurs représentants attachent à la justice fiscale.
Le 1 supprime la notion des 90 jours autour de la date de versement des dividendes et élargit les cas où la retenue à la source doit s'appliquer. Cet article propose également un mécanisme qui permet de combattre l'instrumentalisation des conventions fiscales à des fins d'évitement de l'impôt. En effet, la retenue à la source de 30% est appliquée automatiquement pour tous les flux financiers partants à l'étranger. Charge ensuite à la personne établie dans un pays ayant une convention fiscale favorable avec la France de prouver qu'elle est bien le bénéficiaire effectif de ce versement afin d'obtenir le remboursement de la retenue à la source.
Le 2 soumet au taux majoré de prélèvement à la source applicable aux flux de revenus payés dans des pays ou territoires non coopératifs l'ensemble des cas définis dans l'article 1er. Il permet également de s'attaquer au schéma de « CumEx » en interdisant qu'un remboursement de la retenue à la source ait lieu sans que l'administration fiscale ait pu au préalable vérifier de l'effectivité de cette retenue.