Direction de la séance |
Projet de loi Projet de loi de finances pour 2024 (1ère lecture) PREMIÈRE PARTIE (n° 127 , 128 , 132) |
N° I-249 rect. 24 novembre 2023 |
AMENDEMENTprésenté par |
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M. LAFON, Mme de LA PROVÔTÉ, M. HINGRAY, Mme Pauline MARTIN, MM. KERN, SAVIN et LEVI, Mmes BELRHITI et JOSEPH, M. LÉVRIER, Mmes MORIN-DESAILLY, BORCHIO FONTIMP, VENTALON et BILLON et MM. Cédric VIAL et RAMBAUD ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 5 NOVODECIES |
Après l'article 5 novodecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après la section II bis du chapitre I bis du titre III de la deuxième partie du livre premier du code général des impôts, est insérée une section II ter ainsi rédigée :
« Section II ter : Taxe sur la diffusion en ligne d’enregistrements phonographiques musicaux ou de vidéomusiques
« Art. 1609 sexdecies C. – I. – Il est institué une taxe sur la diffusion en ligne d’enregistrements phonographiques musicaux ou de vidéomusiques due à raison des opérations :
« 1° De mise à disposition du public de services permettant l’accès à des enregistrements phonographiques musicaux ou des vidéomusiques, sur demande individuelle formulée par voie de communications électroniques dans le cadre des diffusions en flux et mis à disposition à titre onéreux à des personnes autres que des entreprises qui sont établies, ont leur domicile ou ont leur résidence habituelle en France ;
« 2° De mise à disposition du public de services de diffusion de messages publicitaires et de parrainage sur un service permettant l’accès à des enregistrements phonographiques musicaux ou des vidéomusiques, sur demande individuelle formulée par voie de communications électroniques et destiné à des personnes autres que des entreprises qui sont établies, ont leur domicile ou ont leur résidence habituelle en France ;
« 3° Sont exonérés les services répondant aux conditions cumulatives suivantes :
« a) L’accès aux enregistrements phonographiques musicaux ou vidéomusiques présente un caractère accessoire ;
« b) Leur objet principal n’est ni l’information du public ni la promotion auprès du public d’œuvres musicales, ni la fourniture d’informations relatives à ces œuvres.
« II. – Sont redevables de la taxe les personnes, qu’elles soient établies en France ou hors de France, qui mettent à disposition du public les services mentionnés au I.
« III. – La taxe est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, du prix acquitté en contrepartie de l’accès aux services mentionnés au I.
« Ces sommes font l’objet d’un abattement de 66 % pour les services fournis à titre gratuit donnant l’accès à des contenus audiovisuels créés par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communautés d’intérêt. À cette fin, les contreparties encaissées par une personne autre que le fournisseur qui sont reversées sont réputées être encaissées par le bénéficiaire de ce reversement. Lorsque plusieurs personnes sont redevables au titre d’un même service mentionné au présent I, le montant de la taxe est établi séparément pour chacune d’elles à partir des seules contreparties qu’elle a encaissées.
« Sont réputés constituer la contrepartie des services mentionnés au I :
« 1° Les prix perçus par les redevables concernés pour l’accès aux services mentionnés au 1° du I ;
« 2° Les sommes versées par les annonceurs et les parrains aux redevables pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage sur les services mentionnés au 2° du I.
« Pour chaque opération, sont, le cas échéant, déduits de ces prix les montants acquittés au titre des impositions de toutes natures mises en place dans un autre État membre de l’Union européenne et portant spécifiquement sur ces services.
« IV. – L’exigibilité de la taxe intervient lors de l’encaissement d’une ou plusieurs contreparties d’un service taxable mentionné au I.
« V. – Le taux de la taxe appliqué au montant de la somme des contreparties est fixé à :
« 1° Pour les services mentionnés au 1° du I :
« a) 0 % pour la fraction inférieure à 20 millions d’euros ;
« b) 1,25 % pour la fraction comprise entre 20 millions d’euros et 400 millions d’euros ;
« c) 1,75 % pour la fraction supérieure à 400 millions d’euros ;
« 2° Pour les services mentionnés au 2° du I : 1,75 %.
« VI. – Par dérogation au V, pour les entreprises dont le montant des sommes encaissées en contrepartie des services mentionnés au 1° du I fournis au niveau mondial l’année civile précédente est inférieur à 750 millions d’euros, le taux est de :
« 1° Pour la fraction relevant du taux défini au b du 1° du V :
« a) 0,5 % pour l’imposition établie au titre de 2024 ;
« b) 1 % pour l’imposition établie au titre de 2025 ;
« 2° Pour la fraction relevant du taux défini au c du 1° du V :
« a) 1 % pour l’imposition établie au titre de 2024 ;
« b) 1,5 % pour l’imposition établie au titre de 2025.
« VII. – La taxe est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes sanctions garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les mêmes règles applicables à cette même taxe.
« VIII. – Le produit de la taxe est affecté au Centre national de la musique dans la limite d’un plafond annuel. »
II. – Après l’article L. 163 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 163 bis ainsi rédigé :
« Art. L. 163 bis. – Le Centre national de la musique peut recevoir de l’administration des impôts tous les renseignements relatifs au montant de la taxe mentionnée à l’article 1609 sexdecies C du code général des impôts. »
Objet
Le Centre national de la Musique (CNM) a été créé par la loi du 30 octobre 2019, après neuf années de réflexion de la part des pouvoirs publics et de la filière. Dès cette date, la commission de la culture, par la voix de son rapporteur Jean-Raymond Hugonet, avait marqué son fort soutien à cette initiative, mais également sa préoccupation quant aux moyensqui allaient permettre au CNM d’exercer une action significative sur le secteur. Les ressources initialement allouées étaient en effet inférieures à ce qui avait été envisagé dans les travaux préparatoires, la question autant alors renvoyée à plus tard.
Cependant, la crise pandémique qui a balayé le secteur a occupé toutes les énergies. Le CNM s’est trouvé dès sa constitution en charge du soutien au secteur, et a ainsi été amené à gérer les plus de 500 millions d’euros affectés par les pouvoirs publics pour éviter littéralement un naufrage de la création et de la filière du spectacle. Si du temps a été perdu sur la pérennité des financements, il a cependant été gagné par le CNM en termes de légitimité. Il a ainsi, de l’aveu général, exercé dans des conditions plus que complexes une action décisive et unanimement saluée par l’ensemble de la filière.
Aujourd’hui arrive pourtant l’heure des décisions, d’autant plus que les ressources initialement allouées se sont avérées inférieures aux prévisions en raison de l’impact de la pandémie et d’une décision de la cour de Justice de l’Union européenne. Le sujet des modalités de financement pérenne du Centre doit donc être traité. En effet, si le CNM a pu poursuivre son activité de soutien en 2023, c’est grâce aux reliquats des crédits d’urgence. En 2024, si aucune décision n’est prise, le montant des aides sélectives passera de 65 millions d’euros en 2023 à 25 millions, soit une baisse de plus de 60 %.
Le Gouvernement a donc confié l’année dernière une mission sur le futur du CNM à l’ancien rapporteur pour avis de la commission de la culture Julien Bargeton. Rendu le 20 avril 2023, après un travail minutieux d’écoute et d’analyse, le rapport conclut sans ambiguïté à la nécessité de prévoir des modalités de financement solides pour le CNM, et met en avant la solution d’une taxe sur les écoutes en ligne, dite « taxe streaming ». Cette proposition a d’ailleurs été soutenue par le Président de la République dans une déclaration du 21 juin dernier.
Le Gouvernement a jusqu’à présent privilégié le recours à des contributions « volontaires » des plateformes, en espérant que ces dernières s’engageraient pour un montant satisfaisant. Cet espoir a été réaffirmé par la ministre de la culture lors de son audition devant la commission de la culture le 25 octobre, et explique probablement pourquoi trois amendements identiques portés par les groupes Renaissance, Modem et Horizon créant la taxe « streaming » n’ont pas été retenus dans le cadre de l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution. Cependant, à date, les engagements sont très loin de correspondre aux besoins même minorées du CNM.
L’objet du présent amendement est donc d’instaurer une taxe sur l’écoute en ligne et de mettre ainsi à contribution, selon des modalités équilibrées, les plateformes d’écoute de musique gratuites et payantes.
Cette taxe suscite cependant de fortes oppositions du secteur de la musique enregistrée. Pour autant, il convient de replacer cette taxation dans le cadre global du marché de la musique.
Sans retrouver le niveau du pic de 2002, le chiffre d’affaire de la musique enregistrée s’est établi à 920 millions d’euros en 2022, dont 680 millions pour le numérique (streaming payant, vidéo et financé par la publicité), devenu la première ressource du secteur. En 2023, le secteur de la musique enregistrée devrait connaitre sa 7ème année consécutive de hausse, avec une progression de 10 % au premier semestre. Il s’agit donc d’un secteur en croissance, et rien ne permet de penser que le faible niveau de taxation envisagé par le présent amendement entraverait la dynamique du secteur. Bien au contraire, en confortant la création française via le soutien aux artistes, il agit comme un mécanisme vertueux, sur le modèle éprouvé depuis plus de 70 ans avec le Centre National du Cinéma.
Conformément à la préconisation du rapport, il est donc proposé d’appliquer un taux marginal (1,75 %) à une assiette élargie (chiffre d’affaires publicitaire et généré les abonnements). S’agissant de l’imposition du chiffre d’affaires des services d’accès par abonnement, il est en outre proposé d’introduire des mécanismes de progressivité pour préserver les équilibres économiques de la filière.
Tel est l’objet du présent amendement, qui permet d’assurer la cohérence temporelle de l’action publique en mettant à niveau des engagements et des espoirs de 2019 les moyens du CNM.