Direction de la séance |
Proposition de loi Ferme France (1ère lecture) (n° 590 , 589 ) |
N° 10 12 mai 2023 |
Question préalableMotion présentée par |
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MM. SALMON, LABBÉ, BENARROCHE, BREUILLER et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE, GONTARD et PARIGI et Mmes PONCET MONGE et Mélanie VOGEL TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE |
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France (n° 590, 2022-2023).
Objet
Le calendrier d’examen de la proposition de loi « Choc de compétitivité en faveur de la Ferme France » n’est pas respectueux du processus de concertation en cours, mis en place par le Gouvernement à l’échelle nationale et à l’échelle régionale, sur la construction de la future Loi d’orientation et d’avenir agricoles.
Pour le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires, cette concertation était déjà, en elle-même, insuffisante : pour construire une véritable loi d’Orientation et d’avenir agricoles. Elle aurait dû être plus large et renforcée.
En effet, de nombreuses associations et syndicats ont dénoncé un manque de respect du pluralisme et une concertation biaisée, notamment en régions où des organisations agricoles se sont vu refuser la participation aux concertations régionales, ou forcées de se regrouper pour pouvoir assister aux réunions ou voter sur les propositions.
Par ailleurs, la consultation des citoyens a été très sommaire, réduite à 17 jours, pendant une période de vacances scolaires, avec un questionnaire dont les formulations ne permettaient pas une véritable expression.
Ces concertations ont ainsi été dénoncées par le Collectif Nourrir qui rassemble 54 organisations paysannes et citoyennes travaillant sur les politiques agricoles et alimentaires.
La définition de notre politique agricole et alimentaire constitue une décision structurante pour notre société car elle impacte nos territoires, notre environnement et notre santé, et notre souveraineté pour les années et décennies à venir. Ainsi, alors qu’il aurait été nécessaire d’élargir encore plus la concertation, la présente proposition de loi fait tout l’inverse, en proposant une orientation de notre politique agricole avant même que ne soient remontées les propositions des acteurs.
Alors que la politique agricole est un enjeu majeur pour la biodiversité, la qualité de l’eau, de l’air, et pour le climat, l’article 7 de la Charte de l’environnement rappelle que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
La participation du citoyen à ces choix est donc garantie constitutionnellement et contourner ainsi cette participation en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour dans un tel calendrier n'est pas acceptable.
De même, ce texte propose, au-delà des thématiques agricoles, des évolutions fortes en termes de politique sociale, en modifiant les missions générales de Pôle emploi ou en organisant le cumul d’activité rémunérée et du RSA.
Or, une concertation sur une loi travail doit se mener dans les prochains mois. Il apparaît donc peu opportun de voter des mesures aussi structurantes dans ce contexte, et ce, sans attendre le dialogue social et sans même une saisine de la commission des affaires sociales du Sénat.
Ainsi, le calendrier de ce texte apparaît particulièrement peu opportun, et irrespectueux des processus démocratiques.
Par ailleurs, ce texte compte de nombreuses dispositions qui semblent contraires au droit européen, remettant en cause la protection de l’environnement et de la santé :
Alors que les dérogations au principe d’interdiction des épandages aériens doivent être limitées et justifiées par l’absence d’autre solution viable ou la présence d’« avantages manifestes », ce texte propose une expérimentation très large pour l’épandage par drone. Pourtant l’ANSES a publié, en 2022, un rapport montrant un manque de données, et des risques potentiels, notamment pour les riverains.
Alors que le règlement européen sur les pesticides établit que l’objectif de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, devrait primer l’objectif d’amélioration de la production végétale, le texte s’en affranchit en proposant une «balance des bénéfices et des risques sanitaires, environnementaux et économiques », qui interroge sur sa conformité au Règlement 1107/2009. Gty3yr4⁵
Alors que le délai de grâce pour écouler les stocks de pesticides retirés du marché est une possibilité offerte par le règlement européen, le texte rend systématique ce délai dans sa durée maximale ; ce qui interroge, une fois de plus, sur sa compatibilité avec le droit européen.
On peut également s’interroger sur la conformité à la directive cadre sur l’eau de l’établissement par la loi, avec un encadrement quasi-inexistant, du stockage et du prélèvement d’eau pour l’irrigation comme étant d’intérêt général majeur.
Ce texte, en plus de priver les citoyens d’une protection sanitaire et environnementale garantie par l’Union européenne, pourrait ainsi, à rebours de ses ambitions, se révéler générateur de nombreux contentieux, et plonger les agriculteurs dans une insécurité juridique peu propice à leur « compétitivité ».
Par cette motion, le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires estime donc qu’il n’y a pas lieu de délibérer et demande au Sénat, afin de garantir la sincérité du débat, de reporter l’examen des thématiques agricoles, pour pouvoir bénéficier des résultats d’une véritable concertation, et afin de pouvoir débattre de mesures conformes au droit européen sur la protection de la santé et de l’environnement, plutôt que débattre d’un texte qui viendra simplement alimenter du contentieux.