Direction de la séance |
Projet de loi Immigration et intégration (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 434 rect. , 433 ) |
N° 602 rect. 8 novembre 2023 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Le Gouvernement ARTICLE 23 |
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le chapitre III ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative est complété par un article ainsi rédigé :
« Art. L. 773-11. – I. – Le présent article est applicable au contentieux des décisions administratives prononcées sur le fondement des articles L. 212-1, L. 224-1, L. 225-1 à L. 225-8, L. 227-1 et L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, de l’article L. 562-2 du code monétaire et financier, des articles L. 222-1, L. 312-1 et L. 312-3, L. 321-1, L. 332-1, L. 432-1 et L. 432-4, L. 511-7, L. 512-2 à L. 512-4, L. 631-1 à L. 631-4, L. 731-3 et L. 731-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France et des articles 21-4 et 21-27 du code civil, dès lors qu’elles sont fondées sur des motifs en lien avec la prévention d’actes de terrorisme.
« II. - Lorsque des considérations relevant de la sûreté de l’État s’opposent à la communication d’informations ou d’éléments sur lesquels reposent les motifs de l’une des décisions mentionnées au I, soit parce que cette communication serait de nature à compromettre une opération de renseignement, soit parce qu’elle conduirait à dévoiler des méthodes opérationnelles des services mentionnés aux articles L. 811-2 ou L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, l’administration peut, lorsque la protection de ces informations ou éléments ne peut être assurée par d’autres moyens, les transmettre à la juridiction par un mémoire séparé en exposant les raisons impérieuses qui s’opposent à ce qu’elles soient versées au débat contradictoire.
« Dans ce cas, la juridiction, qui peut alors relever d’office tout moyen et procéder à toute mesure d’instruction complémentaire en lien avec ces informations ou pièces, statue sur le litige sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni en révéler l’existence et la teneur dans sa décision. Lorsque les éléments ainsi communiqués sont sans lien avec les objectifs énoncés au précédent alinéa, le juge informe l’administration qu’il ne peut en tenir compte sans qu’ils aient été versés au débat contradictoire. L’administration décide alors de les communiquer ou non. »
Objet
En l’état actuel de la législation, la défense contentieuse de certaines mesures de police administrative visant des étrangers dangereux (dégradation de titre, expulsion, etc.) bute sur la difficulté liée au fait que certaines informations sensibles qui ont motivé la décision ne peuvent pas être produites car leur versement au contradictoire serait contre-productif du point de vue des méthodes des services de renseignement et conduirait à compromettre des opérations de surveillance ou à exposer des méthodes opérationnelles des services.
Le présent amendement vise à lever cette difficulté en transposant dans le code de justice administrative le principe d’un contradictoire aménagé afin de produire à la juridiction compétente des éléments complémentaires qui, au regard de leur sensibilité, ne pourraient être versés au contradictoire sans mettre en péril l’activité des services de renseignement.
Un tel mécanisme existe déjà dans d’autres domaines. Ainsi dans les instances civiles ou commerciales, dans lesquelles le juge peut, en application de l’article L. 153-1 du code du commerce (issu de la n° 2018-670 du 30 juillet 2018) en présence de pièces couvertes par le secret des affaires, déroger au principe du contradictoire, limiter la communication ou la production des pièces à certains éléments, restreindre l’accès de ces pièces et adapter la motivation de sa décision aux nécessités de la protection du secret des affaires, « sans préjudice de l’exercice des droits de la défense ».
En matière de protection de certains secrets dans le domaine de la sécurité intérieure, le contradictoire aménagé a déjà été validé à de nombreuses reprises, tant par les juges nationaux que les juges européens. Ainsi :
- dans sa décision OFPRA du 19 juin 2017 (n° 389868), le Conseil d’État s’est prononcé quant à la possibilité laissée à la CNDA de prendre en compte des informations confidentielles versées au contradictoire, sauf en ce qui concerne leurs auteurs, afin de protéger la source à l’origine du renseignement. « L’OFPRA pouvait refuser de révéler l’identité des personnes ou des organisations ayant fourni les informations qu’il verse au contradictoire, lorsqu’une telle divulgation aurait été de nature à compromettre la sécurité de ces sources. Dans cette hypothèse, le juge tient compte des informations en cause, mais ne saurait s’appuyer exclusivement sur elles pour fonder sa décision » ;
- La CJUE a admis au regard des motifs impérieux propres à la lutte anti-terroriste, une « exception d’asymétrie » au principe du contradictoire (arrêt CJUE, 18 juillet 2012, Kadi II, aff C-584/10 P, relatif au contentieux des mesures restrictives). Cette exception est mise en œuvre dans le règlement de procédure du Tribunal de l’Union en vigueur depuis le 1er juillet 2015 dans une nouvelle section relative au Traitement des renseignements, des pièces et des documents confidentiels produits dans le cadre des mesures d’instruction ;
- La CEDH a jugé que, même dans les instances impliquant une décision sur une accusation en matière pénale relevant de l’article 6, le droit à un procès pleinement contradictoire peut être restreint dans la mesure strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt public important tel que la sécurité nationale, la nécessité de garder secrètes certaines méthodes policières de recherche des infractions ou la protection des droits fondamentaux d’autrui. En ce qui concerne les dispositions limitant la communication des informations interceptées, la Cour rappelle que le droit à la divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu. Les intérêts de la sécurité nationale ou la nécessité de garder secrètes certaines méthodes d’enquête en matière pénale doivent être mis en balance avec le droit général à une procédure contradictoire (voir, mutatis mutandis, Edwards et Lewis c. Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 et 40461/98, § 46, CEDH 2004-X).