Direction de la séance |
Projet de loi Immigration, droit d'asile et intégration (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 553 , 552 , 527) |
N° 2 8 juin 2018 |
Exception d'irrecevabilitéMotion présentée par |
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Mmes ASSASSI et BENBASSA, M. BOCQUET, Mmes BRULIN, COHEN et CUKIERMAN, MM. GAY et GONTARD, Mme GRÉAUME, MM. Pierre LAURENT et OUZOULIAS, Mme PRUNAUD et MM. SAVOLDELLI et WATRIN TENDANT À OPPOSER L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ |
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 553, 2018-2019).
Objet
La présente motion propose de déclarer irrecevable le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, en raison des graves difficultés constitutionnelles qu’il soulève.
Ce projet de loi porte atteinte au droit d’asile tel qu’il découle du préambule de la Constitution qui affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République », et consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ».
Ce projet de loi porte gravement atteinte au droit au recours effectif des demandeurs d’asile. La prétendue amélioration des délais de traitement de la demande d’asile passant par une réduction excessive des délais de procédure devant l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), conduisant à une justice expéditive.
Le 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt de condamnation à l’encontre de la France, considérant que la procédure prioritaire alors prévue pour l’examen de certaines demandes d’asile n’était pas conforme au droit au recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En dépit des recommandations du Défenseur des droits dans ses avis n° 14-10 et n° 15-05 relatifs à la réforme de l’asile puis dans le Rapport sur les droits fondamentaux des étrangers, l’article 8 de ce projet de loi élargit les cas où le recours devant la CNDA ne présentera plus de caractère automatiquement suspensif. Seront ainsi concernés en particulier : les demandeurs d’asile provenant d’un pays dit « sûr », ceux en procédure de réexamen et ceux présentant une menace grave pour l’ordre public.
De même sont bafouées les exigences du droit au recours effectif tel que protégé par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme par la nouvelle réduction du délai de recours contre une décision de transfert « Dublin » à 7 jours (contre le rétablissement de 15 jours à l’Assemblée nationale qui est revenue sur la proposition de loi Warsmann). Le délai de 15 jours ayant déjà toujours été considéré comme trop court par le Défenseur des droits.
Ce projet de loi conforte la notion de pays d’origine « sûrs » qui constitue un déni du droit d’asile et porte atteinte au devoir de protection des personnes menacées dans leur pays inscrit dans notre législation nationale et reposant sur 4 principes : une protection élargie, un examen impartial de la demande d’asile, un droit au maintien sur le territoire ainsi qu’à des conditions d’accueil dignes pendant toute la durée de l’examen.
Autre atteinte excessive aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile : l’orientation directive des demandeurs d’asile menacés de perdre le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. En outre l’article 9 porteur de cette disposition contrevient également au droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de la détresse.
Les mesures d’enfermement posent également question. Concernant la rétention administrative, même si la commission des lois du Sénat a supprimé la durée maximale de 90 jours pour revenir aux 45 jours existants, elle l’a augmenté jusqu’à 6 mois pour certains exilés suspects, et a réintroduit la possibilité de placer en rétention les « Dublinés » ayant refusé de donner leurs empreintes. Ces mesures constituent des atteintes graves aux droits des personnes qui n’ont commis aucun délit alors même que la France a déjà été condamnée six fois par la Cour européenne des droits de l’Homme à cause de ses conditions de rétention.
Enfin, garantir un droit d’asile effectif comme le propose l’intitulé de ce projet de loi devrait d’abord conduire le Gouvernement à le garantir pour les plus vulnérables des exilés : les enfants. Aussi conformément aux obligations conventionnelles de la France relatives à l’intérêt supérieur du mineur rappelées à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’Homme, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine, ce projet de loi aurait dû supprimer toute possibilité de maintenir des mineurs en zone d’attente ou en centre de rétention administrative, quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis dignement sur notre territoire et mis sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.