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Direction de la séance

Projet de loi

État au service d'une société de confiance

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 330 , 329 )

N° 104

8 mars 2018


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Mme TAILLÉ-POLIAN, M. DURAIN, Mme MEUNIER, M. CABANEL, Mme ESPAGNAC, MM. LUREL et MAZUIR, Mmes PRÉVILLE, de la GONTRIE et JASMIN, M. FICHET, Mme BLONDIN, MM. COURTEAU, SUEUR

et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain


ARTICLE 8


Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... – Dans les douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’opportunité de la création d’un service de l’inspection judiciaire du travail, composée des agents du corps des inspecteurs du travail et du corps des contrôleurs du travail, spécialement désignés par arrêté des ministres chargés de la justice et du travail, habilitée à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction. Le service de l’inspection judiciaire du travail aurait compétence sur l’ensemble du territoire pour rechercher et constater les infractions mentionnées aux articles L. 8112-1 et L. 8112-2 du code du travail.

Objet

Comme l’a fort justement rappelé la Ministre du Travail le 12 février 2018, « il faut que les fraudeurs comprennent très clairement que le droit à l’erreur, ce n’est pas pour la fraude ». Pour rendre plus effectives les mesures annoncées par le Gouvernement dans la lutte contre la fraude et le travail illégal, les auteurs de cet amendement proposent de rendre plus efficients les dispositifs d’investigation des pouvoirs publics en la matière.   Guidés par la rationalisation de l’action de l’État et par le renforcement de l’efficacité de la réponse pénale vis à vis de la délinquance sociale, ils appellent le Gouvernement à mener une réflexion sur l’opportunité de la création d’un service de l’inspection judiciaire du travail.   Deux exemples viennent appuyer la nécessité de mener cette réflexion. Le premier, historique, est la création du service de douane judiciaire, créé lorsque la lutte contre la contrefaçon est devenue une priorité de l’action publique. Son efficacité est aujourd’hui saluée par tous les acteurs. Le second, d’actualité, est l’annonce récente de la création d'un service d'enquêtes judiciaires sur les affaires de fraude fiscale, disposant d'une compétence nationale, et opérationnel d'ici à dix-huit mois.   Pourquoi créer un service de l’inspection judiciaire du travail ? L’inspection du travail est chargée « de veiller à l’application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu’aux stipulations des conventions et accords collectifs. » Elle est également chargée « concurremment avec les OPJ et APJ de constater les infractions à ces dispositions et stipulations ».  Pour mener à bien ses missions, l’inspection du travail dispose d’un certain nombre de prérogatives (droit d’entrée, accès aux documents,…) et notamment de  rechercher et constater les infractions par procès-verbaux.

Néanmoins, certaines situations, notamment les plus complexes telles que les enquêtes suites à accident grave ou mortel, les contrôles coordonnées en matière de lutte contre le travail illégal ou les fraudes au détachement, la traite contre les être humains ou les enquêtes dans lesquelles la caractérisation de l’infraction repose largement sur les propos tenus par la personne soupçonnée (notamment les procédures de harcèlement, de discrimination ou encore de traite des êtres humain) nécessitent souvent, lorsque l’inspection du travail est à l’initiative d’une procédure pénale, des investigations complémentaires de la part d’un service de police judiciaire.

Or, ces interventions successives, indépassables dans le cadre de l’organisation actuelle de l’inspection du travail et de la police judiciaire sont une source d’inefficacité : cela allonge les durées de traitements des procédures, des actes d’investigations sont redondants (les services de police judiciaire refont ce qu’à déjà pu faire l’inspection du travail), parfois, les mis en cause ont disparu entre la découverte de l’infraction et la possibilité de tenue d’un procès pénal (et pas seulement en ce qui concerne les sociétés éphémères même si cette difficulté se pose avec particulièrement d’acuité dans ce cas).

Afin de résorber ces difficultés, les auteurs de cet amendement appellent à la création, d’un service dépendant du ministère du travail et que nous appelons l’inspection judiciaire du travail, qui se composerait d’inspecteurs et de contrôleurs du travail investi des prérogatives de police judiciaire sur le champ du droit pénal du travail dans un schéma organisationnel proche de celui des douanes judiciaires.

Les effets bénéfiques attendus de cette création sont les suivants :

1) Rationaliser l’action de l’État :

- En raccourcissant les délais de l’enquête pénale :

L’existence d’un service composé d’agents issus de l’inspection du travail d’agents et disposant d’une habilitation de police judiciaire permettrait, dès les premiers constats d’infraction et la compréhension, par l’agent de contrôle de l’inspection du travail qui en est l’auteur, de l’ampleur qu’elle revêt, de mobiliser ce service et, si cela s’avère nécessaire d’y développer une intervention concomitante ou à défaut successive mais de manière organisée et dès le début de la procédure.

Un exemple : En matière de fraudes complexes au détachement, lorsqu’un agent de contrôle, découvre, souvent de manière incidente une fraude, il s’écoule un certain délai entre les premières investigations et la prise en compte de l’ampleur de la fraude. A cet instant, il a la possibilité de s’appuyer sur un réseau régional d’agents spécialisés (les URACTI : Unités Régionales d’Appui et de Contrôle du Travail Illégal). Lorsque ces mêmes agents perçoivent, à leur tour, que l’ampleur d’une fraude peut les dépasser et peut nécessiter un traitement coordonné à l’échelon national, le GNVAC (Groupe National de Veille, d’Appui et de Contrôle) peut être amené à intervenir, mener des contrôles en lien avec les URACTI ou les sections concernées par les infractions. À la suite de ces nouvelles investigations, une procédure est transmise à un magistrat qui, compte tenu de la complexité de l’affaire en cours et des éléments de preuve nécessaires aux poursuites, désigne un service enquêteur chargé de collecter ces éléments manquants.

En effet, quels que soient la rigueur, le professionnalisme et la compétence des agents de l’inspection du travail, leurs prérogatives actuelles ne leur permettent pas de mener à leur terme certaines investigations. Ainsi, ces interventions successives amènent à des délais de traitements extrêmement long.

- En confiant le traitement des affaires à des agents qui en maîtrisent le contenu :

L’inspecteur du travail en section est un généraliste : il est donc compétent pour faire respecter l’ensemble des normes relatives au droit du travail. L’officier de police judiciaire (OPJ) est également un généraliste qui peut être sollicité sur l’ensemble des infractions prévues par le code pénal mais également par toutes les branches du droit prévoyant une réponse pénale en cas d’infractions (droit du travail, droit de la consommation, droit de l’environnement, droit de la santé, etc...).

Souvent, les interventions de l’inspection du travail faisant l’objet de relevés d’infraction et par la suite d’enquêtes pénales, nécessitent, pour être traités, une maîtrise conséquente du droit du travail.

En pratique, les services de police judiciaire, dans cette phase d’enquête, ont la possibilité de s’appuyer sur les agents de contrôle de l’inspection du travail. Toutefois, cette faculté ne permet pas de réduire les délais évoqués plus haut. Son usage dépend des contextes locaux plus ou moins favorables d’un travail en commun, des agendas et priorités respectifs des différents services.

Et, même s’il existe une réelle volonté institutionnelle de favoriser le partenariat entre ces services, en pratique, de multiples facteurs sont susceptibles de la contrarier. L’existence d’une inspection judiciaire du travail aurait pour effet de supprimer les difficultés liées aux échanges inter administration. 

- En concentrant les moyens de police judiciaire sur les actions prioritaires :

Sans hiérarchiser la gravité des atteintes, le contexte sécuritaire actuel nécessite de concentrer les moyens de police judiciaire disponibles sur des actions autres que le droit du travail : contre les atteintes aux biens, aux personnes, contre le terrorisme et le trafic de stupéfiant.  Une inspection judiciaire du travail permettrait de décharger les services de police judiciaire des investigations en matière de droit du travail.

2) Sécuriser juridiquement les procédures pénales de l’inspection du travail :

L’inspection du travail participe avec les officiers et agents de police judiciaire aux constats d’infractions au droit du travail. C’est ainsi que l’on a pu considérer qu’elle exerçait déjà des missions de police judiciaire. Toutefois, l’exercice de ces missions est partiel : il ne concerne qu’un champ restreint et des moyens d’investigations limitées. Ce qui entraîne parfois la nécessité de compléter ces investigations.

L’existence d’agents issus de l’inspection du travail dotés de prérogatives de police judiciaire permettrait également de généraliser le renforcement des droits de la défense sur un nombre plus grand de procédures et dès leur début. En effet la procédure pénale, permet à tout mis en cause, à chaque instant, de s’assurer du respect de ces droits. L’enquête puis le procès pénal se font à charge et à décharge. Dans le cadre des investigations de l’inspection du travail, bien qu’il soit évident que les observations des mis en cause soient quasi systématiquement recueillies, il ne s’agit pas d’une enquête pénale permettant aux mis en cause de disposer des mêmes garanties procédurales.

Or, l’évolution profonde de la procédure pénale, notamment sous l’influence des juridictions et institutions européennes, dans l’optique légitime de la préservation des libertés publiques, visent à approfondir le respect des droits de la défense. Ainsi, le déclenchement le plus en amont possible d’une enquête pénale a pour effet de renforcer le respect des droits de la défense et, ce faisant, de sécuriser juridiquement les procédures initiées par les constats des agents de l’inspection du travail. 

3) Renforcer l’efficacité de la réponse pénale vis à vis de la délinquance patronale :

Que ce soit pour des infractions en matière de droit du travail ou pour tout autre type d’infraction, le reproche principal fait au système judiciaire est la lenteur des suites données à la commission de l’infraction. L’effet bénéfique attendu de la création d’un service d’inspection judiciaire du travail est de permettre de réduire fortement ce délai par la réduction du temps consacré à l’investigation et donc répondre en partie à ce légitime souhait de donner une réponse pénale plus rapide.

Un autre effet bénéfique résulterait des moyens mobilisables par ce nouveau service, relatif au placement sous-main de justice (saisie) des produits de l’infraction ou des biens ayant permis leur commission avant une éventuelle confiscation définitive (qui est une décision de justice et donc intervient à l’occasion d’une éventuelle condamnation).

À l’heure actuelle, la seule sanction rapide en cas d’infraction au code du travail ne concerne que le travail dissimulé : il s’agit d’une sanction administrative de fermeture d’un établissement (ou l’arrêt d’un chantier) employant des salariés dont il a été constaté la commission de l’infraction de travail dissimulé. Cette fermeture est d’au plus 3 mois.

Outre, cette sanction administrative, qui n’est pas exclusive de poursuites pénales, le législateur a développé la possibilité de sanction administrative en cas de manquements aux dispositions du code du travail sur une partie du volet contraventionnel du droit pénal du travail. Ces amendes administratives sont exclusives de poursuites pénales.

L’objectif de cette nouvelle possibilité de sanction administrative est également de réduire les délais entre le constat d’infraction et la sanction. Il s’agit aussi de décharger une partie de la chaîne pénale (PJ/parquet/tribunaux). Ainsi, les objectifs qui ont prévalu dans le traitement de certaines infractions contraventionnelles doivent également être déclinés sur le champ délictuel par la création d’un service de l’inspection judiciaire du travail.

4) Renforcer l’attractivité du corps de l’inspection du travail :

Enfin, l’existence d’une habilitation « police judiciaire pour des agents issus de l’inspection du travail est de nature à renforcer l’attractivité pour le corps de l’inspection du travail à double titre :

D’une part en élargissant la base de recrutement des candidats en attirant des profils intéressés par l’aspect enquêteur.

D’autre part cela permet également d’attirer des profils orientés vers la recherche et le constat d’infraction : cela est bénéfique à l’ensemble de l’inspection du travail et non seulement à l’inspection judiciaire du travail en renforçant la volonté globale du corps de constater les infractions, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs.