Direction de la séance |
Projet de loi Représentation devant les cours d'appel (1ère lecture) (n° 140 , 139 ) |
N° 27 rect. 18 décembre 2009 |
AMENDEMENTprésenté par |
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MM. FOUCHÉ, Paul BLANC, CHATILLON, BERNARD-REYMOND, HOUPERT, LEFÈVRE et BEAUMONT ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 13 |
Après l'article 13, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de publication de la présente loi ont droit à une indemnité destinée à compenser le préjudice de carrière résultant de la perte de leur outil de travail.
Cette indemnité est calculée :
1° En prenant pour base la différence entre la moyenne des revenus annuels imposables du bénéficiaire sur les trois derniers exercices comptables dont les résultats sont connus de l'administration fiscale à la date de publication de la présente loi et la somme de 73.000 €, correspondant au revenu annuel imposable moyen des avocats ;
2° En multipliant ce résultat par :
- 1 pour les bénéficiaires ayant plus de 65 ans au jour de la publication de la présente loi ;
- 2 pour les bénéficiaires ayant entre 60 et 64 ans au jour de la publication de la présente loi ;
- 3 pour les bénéficiaires ayant entre 55 et 59 ans au jour de la publication de la présente loi ;
- 4 pour les bénéficiaires ayant entre 50 et 54 ans au jour de la publication de la présente loi ;
- 5 pour les bénéficiaires ayant entre 45 et 49 ans au jour de la publication de la présente loi ;
- 6 pour les bénéficiaires ayant entre 40 et 44 ans au jour de la publication de la présente loi ;
- 7 pour les bénéficiaires ayant entre 35 et 39 ans, au jour de la publication de la présente loi ;
- 8 pour les bénéficiaires ayant entre 30 et 34 ans, au jour de la publication de la présente loi ;
- 9 pour les bénéficiaires ayant entre 25 et 29 ans, au jour de la publication de la présente loi ;
- 10 pour les bénéficiaires ayant moins de 25 ans, au jour de la publication de la présente loi.
II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Objet
Le présent amendement a pour objet d'indemniser les avoués à la Cour en exercice du préjudice spécifique causé par la suppression de leur profession, c'est-à-dire la perte de leur outil de travail.
Il ne crée aucun droit nouveau mais se borne à appliquer le droit existant tel que l'a précisé la Cour européenne des Droits de l'Homme, par exemple dans l'arrêt du 22 avril 2002 n° 46044/99 - Lallement contre France. Il comble ainsi une lacune du projet de loi, et vise à prévenir les recours devant le Conseil Constitutionnel, le Conseil d'Etat et la Cour Européenne des Droits de l'Homme que les personnes spoliées ne manqueraient pas d'intenter.
On sait en effet, que par un arrêt du 8 février 2007 (arrêt Gardedieu) le Conseil d'État a décidé que la responsabilité de l'État pouvait être engagée du fait de la contrariété d'une loi à un engagement international, sur le terrain de la responsabilité pour faute, sans qu'il soit alors besoin de prouver un préjudice anormal et spécial, tout préjudice étant susceptible d'être indemnisé.
Or, dans l'affaire Lallement c/ France, la Cour européenne des droits de l'homme, a rappelé le principe de la « restitutio in integrum » (cf. arrêt en satisfaction équitable, § 10), c'est-à-dire de la réparation intégrale, dès lors que le manquement de l'Etat est constaté.
Par son arrêt principal du 11 avril 2002, elle a « constaté que l'expropriation litigieuse a eu pour effet d'empêcher le requérant de poursuivre de manière rentable son activité. L'intéressé ayant perdu son « outil de travail » sans indemnisation appropriée, la Cour a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1. Elle a en outre souligné que seul le préjudice causé spécifiquement par cette violation de la Convention est susceptible de justifier l'allocation d'une somme au titre de « satisfaction équitable ». (cf. arrêt en satisfaction équitable, § 10).
Par son arrêt en satisfaction équitable du 12 juin 2003, elle a retenu, pour chiffrer la somme due par l'Etat français, un total de 10 ans de pertes de revenus au titre de la perte de l' « outil de travail » (nb : déduction faite des sommes perçues par ailleurs au titre de l'expropriation proprement dite, indemnité de réemploi comprise).
Il convient de rappeler que le Président de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale a lui-même souligné que « l'indemnisation doit tenir compte, au cas par cas, de la situation, faute de courir le risque d'une annulation par la juridiction administrative, pour non-respect de la Convention européenne des droits de l'homme » (cf. Compte rendu des travaux en Commission du 23 septembre 2009, page 14).
- Le principe de l'indemnisation du préjudice de carrière
Le préjudice de carrière consiste à apprécier la perte de revenus futurs subie par un professionnel qui se voit privé de son outil de travail et de son métier.
Il n'est pas sérieusement contestable, et constitue le poste essentiel de l'indemnisation, puisqu'il appréhende la problématique de l'avenir.
L'indemnisation des avoués ne peut pas se limiter à la valeur de leur office : car il s'agit de la perte d'un outil de travail, c'est-à-dire d'un actif dynamique créateur de valeur dans le temps. Sa disparition induit à l'évidence une perte d'exploitation pendant de longues années, de sorte qu'il est impossible de raisonner comme s'il s'agissait d'indemniser un actif statique (ex. un terrain ou une maison dans le cadre d'une expropriation).
Le Rapport de l'Assemblée Nationale a souligné que « les avoués ne pourront pas continuer à exercer leur profession », « que le projet de loi va (...) avoir pour effet de priver les avoués de leur clientèle », (qui constitue un bien au sens de l'article premier du premier protocole additionnel à la Convention EDH), et rappelé que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme commandait d'indemniser le préjudice spécifique résultant de la perte d'un outil de travail (cf. Rapport, pages 32 et suivantes).
Le principe du préjudice de carrière est donc acquis.
- Les modalités d'indemnisation du préjudice de carrière
Il s'agit du volet dynamique et subjectif de l'indemnisation. Il est évident que sur ce point la disparition de la profession aura des conséquences très différentes selon les situations.
L'arrêt Lallement c/ France, déjà cité, commande « d'examiner chaque situation individuelle in concreto » (cf. supra).
Le Rapporteur, devant la Commission des lois de l'Assemblée Nationale, a proposé que les avoués perçoivent « une indemnité couvrant le préjudice du fait de la perte de revenus résultant de la suppression de leur office », et évoqué « une indemnisation au cas par cas ».
Le Président de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale a quant à lui souligné la nécessité de prendre en compte « le préjudice économique, qui varie selon la situation individuelle des avoués ».
Le préjudice de carrière dépend en effet de deux paramètres essentiels :
- les revenus antérieurs à la loi (i).- l'âge du professionnel (ii),
(i) La perte de revenus futurs implique de prendre en considération les revenus antérieurs à la loi.
Le rapport Cazes définit le préjudice de carrière comme « la somme des revenus attendus de l'activité professionnelle jusqu'à l'âge de la retraite minorés des revenus potentiels » (cf. rapport, page 50).
Il rappelle que le revenu annuel moyen des avocats est de 73.000 €.
Pour apprécier la perte annuelle de revenus subie, il convient donc, comme en droit commun, de faire la différence entre :
- les revenus antérieurs à la loi (moyenne des 3 dernières années),- et le revenu annuel moyen des avocats, soit 73.000 €.
Il convient de relever que ce calcul minore le préjudice réel puisqu'en réalité :
- les avoués ne percevront pas avant plusieurs années la rémunération moyenne d'un avocat,- la constitution d'une clientèle d'avocat exigera, dans le meilleur des cas, entre 5 et 10 ans.
(ii) Il est évident que le préjudice « de carrière » est d'autant plus important que la carrière du professionnel est devant lui.
Le fait d'être privé d'un outil de travail lorsque l'on commence à s'en servir, ou lorsque l'on a fini de s'en servir (ou sur le point de finir), est radicalement différent.
Le préjudice de carrière, s'il existe chez les professionnels âgés, est bien sûr beaucoup plus important chez les professionnels les plus jeunes (nb : les avoués de moins de 40 ans ne représentent que 20% de la profession).
Tous les barèmes de capitalisation utilisés en droit commun retiennent d'ailleurs des coefficients multiplicateurs décroissant avec l'âge (cf. par exemple le barème Lambert Faivre, appliqué par les juridictions).
Il convient donc logiquement de multiplier la perte annuelle de revenus par un coefficient décroissant avec l'âge ; des tranches d'âge de 5 ans permettent de respecter une certaine progressivité dans le calcul de l'indemnité.
NB : le calcul est volontairement limité à une période ne pouvant excéder 10 ans, alors qu'en réalité certains professionnels - les plus jeunes - subiront cette perte de revenus sur une période beaucoup plus longue.